Charles de Courson et des présidents de groupes parlementaires : « Un nouveau déni de démocratie ne pourrait susciter qu’une désaffection aggravée pour nos institutions »

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Ce qui est en jeu à l’Assemblée nationale, ces dernières semaines et ces prochains jours, n’est rien de moins que la défense des droits des parlementaires, des droits de l’opposition et donc, pour partie, de notre démocratie.

Gaston Monnerville [1897-1991] fut un illustre président du Sénat car hermétique aux pressions dont il fut la cible. En 1962, il proclamait : « C’est un fait d’expérience que, dans une république, lorsque la majorité veut étouffer les minorités, il se développe un esprit factieux incompatible avec la démocratie. Aussi les démocraties édictent-elles des formes constitutionnelles qui enlèvent au pouvoir exécutif – et même parfois au pouvoir législatif - le droit de prendre des dispositions contraires à la nature des institutions libres. »

La proposition de loi abrogeant le recul de l’âge effectif de départ à la retraite fait l’objet de toutes les manœuvres possibles pour empêcher le vote de la représentation nationale. L’examen de ce texte en commission, mercredi 31 mai, a vu un artifice encore jamais utilisé, la présidente de la commission des affaires sociales ayant simplement décidé que ne seraient pas examinés les sous-amendements déposés, au mépris du droit d’amendement.

Mais cela n’est rien comparé au scénario, cousu de fil blanc, écrit par la présidente de l’Assemblée nationale, sous la dictée du président de la République. Si l’on se fie à ses déclarations récentes, cette dernière s’apprête à déclarer irrecevables les amendements de rétablissement de l’article premier qui prévoit d’abroger le report de deux ans de l’âge de départ à la retraite.

Une attaque d’ampleur inédite

Agir ainsi et empêcher l’examen d’un amendement rétablissant une disposition d’un texte initial, dont la recevabilité a été reconnue à deux reprises (par le bureau de l’Assemblée et par le président de la commission des finances) constituerait un précédent inédit et dangereux. Nous rappelons, comme le disait Charles de Gaulle, qu’une Constitution, « c’est un esprit, des institutions, une pratique ».

Or, si la présidente de l’Assemblée est juge interne de la recevabilité financière des amendements au préalable de leur discussion en séance publique, il est de jurisprudence constante que cet examen se fasse sur la base de référence la plus favorable à l’initiative parlementaire : le texte initial déposé en commission. En droit, sur cette base, les amendements de rétablissement doivent être déclarés recevables. Et mis en débat, jeudi 8 juin. Toute autre décision de Yaël Braun-Pivet constituerait une remise en cause de la pratique constante de la Constitution et du règlement et une attaque d’une ampleur inédite à l’initiative parlementaire.

Dans la Ve République, le pouvoir exécutif fort a côtoyé un Parlement dit « rationalisé ». La réforme constitutionnelle de 2008 est venue donner quelques droits nouveaux bienvenus au Parlement et, spécifiquement, aux groupes d’opposition. Deux avancées indéniables sont aujourd’hui menacées par la majorité relative et l’exécutif. La première concerne les « journées d’initiative parlementaire ». Elles permettent aux groupes d’opposition et minoritaires de disposer d’une seule journée, par an, pendant laquelle ils proposent les textes en débat dans l’Hémicycle. C’est dans ce cadre que le groupe LIOT [Liberté, indépendants, outre-mer et territoires] a fait le choix d’inscrire sa proposition de loi d’abrogation. La seconde avancée aujourd’hui menacée est la disposition réservant la présidence de la commission des finances à un député issu de l’opposition. Ce choix permet pourtant de donner à l’opposition un poste bénéficiant de nombreuses prérogatives au sein d’une commission stratégique.

Colère et violence

Remettre en cause ces deux avancées illustre cet « esprit factieux incompatible avec la démocratie » que Gaston Monnerville décrivait comme une dérive des majorités. Il se donne à voir pour une raison simple : il n’existait pas au Parlement de majorité pour voter une réforme des retraites, injuste et précipitée, qui aura des répercussions sur les vies de générations de Français.

Pour nos concitoyens, un nouveau déni de démocratie ne pourrait susciter qu’une désaffection aggravée pour nos institutions – qui se manifeste déjà sous la forme d’un abstentionnisme croissant –, voire un accroissement de la colère et de la violence. Au contraire, les signataires de cette tribune demandent la tenue d’un vote, non biaisé, qui permettrait à l’Assemblée nationale de se prononcer sur un report de deux années de l’âge légal de départ à la retraite.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/05/charles-de-courson-et-plusieurs-presidents-de-groupes-parlementaires-un-nouveau-deni-de-democratie-ne-pourrait-susciter-qu-une-desaffection-aggravee-pour-nos-institutions_6176210_3232.html

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