Les voyages tous frais payés de 2 députés ultra-marins en Azerbaïdjan pour dénoncer "le colonialisme français"
Parmi les 577 députés du Palais Bourbon, Marcellin Nadeau et Jean-Victor Castor ne sont pas vraiment les plus connus. Le premier co-préside le parti indépendantiste martiniquais Péyi-A tandis que le second est membre du mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES) de Guyane. Ils ont tous deux étés élus aux dernières élections législatives de juin 2022, forts d’un soutien de La France Insoumise. S’ils se montrent discrets en séance au sein du groupe communiste, les deux élus ultramarins ont davantage brillé par leurs prises de positions autour de tables rondes organisées à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan.
Début juillet d’abord, Jean-Victor Castor a été invité à l’initiative du « centre d’analyse des relations internationales de l’Azerbaïdjan » pendant quatre jours, tous frais payés, à la conférence ministérielle des pays non-alignés, une coalition refusant historiquement le choix entre le bloc de l’ouest et le bloc de l’est. Sous le patronage de l’autocrate azerbaïdjanais Ilham Aliyev, l'événement regroupait une centaine d’États (Arabie Saoudite, Turquie, Iran ou encore Burkina Faso), dont certains pas forcément recommandables. Mais que venait donc faire un député français dans ce rassemblement ? Sa présence tenait surtout à la conférence intitulée : « Dans la direction de l'élimination totale du colonialisme ».
La France décrite comme « un régime colonial »
Cet évènement était « dédié aux peuples soumis au colonialisme dans le monde entier, en particulier dans les dernières colonies françaises des îles des Caraïbes, d'Amérique du Sud, du Pacifique et de l'océan Indien », selon le compte-rendu de séance. Et Jean-Victor Castor n’était pas le seul homme politique présent. L'Azerbaïdjan avait convié l’ensemble des partis indépendantistes d’outre-mer, souvent les plus radicaux. « Ces partis n’ont ni moyens financiers ni tribune internationale, Bakou leur offre une opportunité », décrypte une source bien introduite. Durant la conférence, la France est décrite comme « un régime colonial (…) à la politique néfaste qui menace l’existence de certaines personnes à long terme. »
Une mauvaise blague ? Pas du tout, la réunion a même accouché de la naissance d’une ONG : le groupe d’initiative de Bakou « contre le colonialisme français », toujours selon la déclaration finale. Et pour garantir son « indépendance », l’ancien vice-premier ministre Abbas Abbassov, classé quinzième fortune du pays en 2006, en a pris la présidence. Fin de l’histoire ?
Pas du tout ! Après une inauguration de leurs locaux à Bakou en octobre, toujours en présence de représentants de partis indépendantistes d’outre-mer, cette même « ONG » montée de toutes pièces, proche du pouvoir azerbaïdjanais, a doublé la mise en conviant fin novembre le député Marcellin Nadeau. Thème de la conférence, cette fois : « Néocolonialisme : la violation des droits de l'homme et l’injustice ». Le parlementaire y a réitéré sa volonté de modifier la constitution française afin de reconnaître les territoires outre-mer comme nation, d’après la presse azerbaïdjanaise.
Étranges alliances
Depuis quelques mois, l’Azerbaïdjan s’érige en premier soutien des mouvements indépendantistes français, quitte à appuyer des groupes pas franchement alliés. En octobre dernier, l’Agence de Presse Nationale d’Azerbaïdjan annonçait le lancement au sein du Milli Medjlis, l’Assemblée nationale locale, d'un groupe de soutien à « la lutte du peuple corse en vue de restaurer son identité nationale et de garantir ses droits et libertés fondamentaux ».
Pourtant, l’assemblée corse, à la majorité autonomiste Femu a Corsica, avait adopté en 2020 une résolution visant à apporter son « soutien aux populations arméniennes du Haut-Karabakh (envahi en septembre dernier et occupé depuis lors par l'Azerbaïdjan, N.D.L.R.) et [la] reconnaissance de la République d'Artsakh. »
Tensions entre Paris et Bakou
Qu’à cela ne tienne. « C’est une manière pour Ilham Alyiev de rendre la monnaie de sa pièce à Emmanuel Macron et aux parlementaires français », selon l’analyse d’un diplomate français. Depuis 2020 et la guerre des 44 jours entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, les relations entre Paris et Bakou se sont dégradées avec en point d’orgue, les deux résolutions portées par les parlementaires français à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le 23 avril dernier, la Chambre haute a adopté, à l’initiative du président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, une résolution « visant à appliquer des sanctions à l’encontre de l’Azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien ». Quelques semaines plus tôt, les députés en votaient une autre à l'unanimité pour exiger « la fin de l’agression de l’Azerbaïdjan à l’encontre de l’Arménie » et l'établissement d'une « paix durable dans le Caucase du Sud. »
Surtout, la tension est montée d’un cran entre les chefs d’État des deux pays en septembre dernier. Emmanuel Macron avait appelé l’Azerbaïdjan à « une cessation immédiate de l’offensive » lors de la dernière attaque sur le Haut-Karabakh, sans succès. Avec le soutien de la Turquie, l’Azerbaïdjan occupe désormais ce territoire de 4500 km2 disputé depuis la chute de l’URSS avec l’Arménie, forçant plus de 120 000 civils arméniens à plier bagage. Depuis, la France s’est engagée à réarmer l’Arménie.
Interrogé sur sa présence à la conférence du groupement d’initiative de Bakou, le député Marcellin Nadeau explique à Marianne : « Je suis un progressiste, un pro-féminisme. Je ne vois donc pas pourquoi je refuserai une invitation pour en parler ainsi que du colonialisme. » Quant à sa présence à Bakou et la situation au Haut-Karabakh ? « Les chefs d’Etat vont bien à Dubaï faire la COP 28. Pourquoi j’irais plus à Riyad qu’à Bakou ? » Avant d’apporter son soutien… au camp d’en face : « je soutiens tous les peuples, y compris les Arméniens. » Les autorités azerbaïdjanaises apprécieront. Le député refuse en revanche de dévoiler la provenance de son invitation. Joint, Jean-Victor Castor n'a de son côté pas donné suite à nos sollicitations.
L’Azerbaïdjan en quête de nouveaux relais ?
Cette offensive chez les indépendantistes serait-elle aussi la conséquence d’une perte d’influence de l’Azerbaïdjan dans la vie politique française ? En juillet 2022, après les élections législatives, les députés français ne s’étaient pas bousculés pour faire partie du groupe d’amitié, par crainte d’abîmer leur image. Le groupe avait peiné à rassembler 11 députés, deux fois moins que lors de la mandature précédente.
D'après les informations de La Lettre, le pays du Caucase, en période faste de la diplomatie du caviar, avait alors mandaté un cabinet de lobbying pour effectuer le casting. Depuis la fin septembre et la dernière offensive azerbaïdjanaise au Haut-Karabakh, les membres Renaissance du groupe d’amitié ont démissionné ce qui a poussé à sa mise en sommeil par le président Les Républicains (LR) Pierre Vatin, vivement encouragé par Yaël Braun-Pivet.
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