A Mayotte, sur les barrages, des habitants toujours déterminés : « A 18 heures, tout le monde pense à rentrer chez soi à cause des agressions »

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Malgré les annonces du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, la colère est toujours présente sur les barrages et le collectif Forces vives continue de bloquer l’île en attendant des engagements écrits du gouvernement.

Deux planches traversées par des grands clous et deux plots de chantier barrent efficacement la route communale de Passamainty, au sud de Mamoudzou. Protégés du soleil brûlant par leur chapeau kaki, deux membres du collectif Forces vives de Mayotte organisent le trafic avec un plaisir apparent. Pour asseoir son autorité, l’un d’eux ne se prive pas d’utiliser son sifflet.

Impossible de passer si l’on n’appartient pas à un service de soins, de livraison, à la police, aux pompiers. Des voyageurs qui arrivent de l’aéroport sont contraints de faire rouler leurs volumineuses valises sur la chaussée. A Mayotte, où le mouvement Forces vives bloque les routes depuis trois semaines pour protester contre l’insécurité et le poids de l’immigration clandestine, le barrage de Passamainty est rangé dans la catégorie « normal ». Comprenez qu’il est filtrant. Dans l’ouest de l’île, celui de Chiconi est décrit comme une « montagne » d’arbres et de carcasses de voitures. Pas d’autre choix que d’opérer un demi-tour. Ailleurs, d’autres barrages sont contrôlés par des manifestants plus intransigeants.

Les mesures annoncées, dimanche 11 février lors d’un déplacement sur l’île, par le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, qu’il a qualifiées d’« extrêmement fortes, nettes, radicales », avec la suppression du droit du sol à Mayotte et la fin du titre de séjour territorialisé, suffiront-elles à lever les barrages ? Les leaders de Forces vives répondent non, en expliquant attendre des engagements écrits du gouvernement.

Ce courrier en forme de protocole d’accord devait leur être adressé dans la soirée du mardi 13, par Gérald Darmanin. En déplacement, lundi, à Rennes, le ministre a confirmé que le projet de loi concernant Mayotte serait déposé « avant l’été ». Pour la révision de la Constitution liée à la suppression du droit du sol à Mayotte, il a précisé que « nous avons plusieurs moments de réformes constitutionnelles possibles, (…) mais, là, il appartient au président de la République de choisir son moment »

.« On veut des actes »

Le collectif Forces vives a décidé de programmer un congrès mercredi 14 février « pour réfléchir et consulter la population ». A Passamainty, des discussions passionnées, parfois agitées, indiquent que l’heure de la fin du conflit n’est pas encore venue. « Non, toutes ces annonces ne me calment pas, lance Marie (un prénom d’emprunt, car elle souhaite rester anonyme). Mayotte souffre et a été abandonnée. Nos maisons sont équipées de barreaux et de caméras à cause de la violence et des vols. On veut des actes. Sinon, on va rester. On se méfie des écrits qui sont des coquilles vides. »

« Il faut des réponses claires et précises. C’est-à-dire arrêter de donner des titres de séjour à des gens qui entrent illégalement et créent cet appel d’air, insiste Safina Soula, une des leaders de Forces vives pour qui la levée des barrages n’est pas actée. J’espère que le ministre Darmanin a compris que Mayotte ne peut accueillir qu’un flux acceptable d’étrangers. Aujourd’hui, notre île est saturée. Et les Comores font tout pour empêcher notre développement. »

Sur l’autre barrage de Passamainty, plus au sud, Charia Anrafati cite les violentes crises de 2011 et 2018 pour dire son pessimisme : « Cela n’a rien changé. Les gouvernements n’entendent pas les cris des Mahorais. » « Il faudra bien étudier le document écrit que Paris va nous envoyer », annonce cette secrétaire scolaire de 47 ans, fière que ce mouvement soit « parti de la population ».

Dans une île où l’échange direct reste primordial, cette méfiance à l’égard du gouvernement trouve également sa source dans la forme de cette visite éclair de Gérald Darmanin. « Il n’a pas pris le temps de venir sur les barrages rencontrer les Mahorais et comprendre leur ressenti, reproche Marie. Il est resté dans les bureaux climatisés de la préfecture. »

Abdou (qui n’a pas souhaité donner son nom), enseignant dans un lycée, aurait aimé, lui aussi, parler avec Gérald Darmanin de son établissement devenu « une prison avec des barbelés et des portiques de sécurité » en raison des risques d’intrusion et des agressions entre bandes. Il y a quelques semaines, ce jeune professeur de 25 ans a été attaqué sur la route par l’un de ses anciens élèves, qui lui a placé un chombo (un sabre) sous la gorge. « Ce n’est pas possible, souffle Abdou, qui soutient le mouvement. Moi, j’ai grandi dans un bidonville. J’ai choisi l’école plutôt que la rue et la délinquance. Je suis prof pour aider les jeunes, car notre rôle, c’est aussi médiateur ou conseiller social. » « Trop de gens partent de Mayotte pour la sécurité et l’éducation de leurs enfants », déplore Aïsha Mouhamadi, 37 ans, secrétaire et comptable, qui attend « autre chose que des paroles du gouvernement ».

« Boule au ventre »

A Mamoudzou, la paralysie de l’île a pris une autre forme. Devant le service des étrangers de la préfecture, une douzaine de « mamans » du mouvement Forces vives sont installées sur des nattes devant les rideaux métalliques du bâtiment que le collectif a cadenassés. « Des gens viennent tôt le matin à 4 heures pour leurs papiers, mais nous sommes là pour leur dire que c’est fermé », explique Ichaan Madi, 40 ans, fonctionnaire. Sur une barrière, un nambawani, grande pièce de coton, où est représenté le visage de Zéna M’Déré, la leader des Chatouilleuses, ces femmes activistes à la pointe du combat pour que Mayotte soit française dans les années 1960, a été déployé.

« On restera là tant que le gouvernement ne nous a pas donné un calendrier avec des dates butoir, lance, déterminée, Yasmine Bora, 41 ans, agente de la commune. On a été tellement bernés par des promesses. » Ces mères de famille disent « se battre pour continuer à vivre chez [elles] ». « A 18 heures, tout le monde pense à vite rentrer chez soi à cause des agressions et nos enfants vont à l’école la boule au ventre », persiste Ichaan Madi. Les responsables, affirment ces mères de famille, sont « les enfants papiers ». « On les appelle comme ça, car leurs parents leur ont donné naissance pour avoir des papiers français, explique la militante du collectif. Il y en a qui ne suivent pas les cours. Certains ne sont ni français ni comoriens et ont la haine de la France. »

Selon les « mamans » qui bloquent le service des étrangers, l’Etat est coupable « de faire plus pour les étrangers à Mayotte que pour les Mahorais ». Début décembre 2023, le gouvernement d’Elisabeth Borne a pourtant attribué 150 millions d’euros au département. « La plupart va aller dans le social et donc pour les étrangers », se désespère Yasmine Bora.

Ces femmes du collectif revendiquent aussi « plus d’égalité » pour leur île. Une autre raison profonde de la crise, selon elles. « Ici, les prestations sociales sont bien moins importantes qu’à La Réunion ou en métropole. Mais la fiscalité est identique, s’emporte Ichaan Madi. Si nous crions au secours, c’est que Mayotte souffre réellement. Ce n’est pas le caprice d’un enfant qui réclame son goûter. »

https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/13/a-mayotte-sur-les-barrages-des-habitants-toujours-determines-on-a-ete-tellement-bernes-par-des-promesses_6216279_823448.html

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