Le piège d’un monde sans cash
Le numérique cannibalise progressivement chaque recoin de notre quotidien, y compris notre portefeuille. La disparition du cash s’impose comme une prophétie autoréalisatrice. Le discours dominant nous promet une société fluide et sécurisée, mais il masque une vérité plus insidieuse : l’abolition du billet est une perte de liberté, une société de surveillance déguisée en progrès.
Mais derrière cette évolution, des fractures se creusent. Les populations rurales et âgées, les catégories sociales les plus modestes qui sont dépendantes du cash sont laissées sur le bas-côté de cette révolution. Ainsi, la numérisation du paiement est un révélateur de l’exclusion socio-économique plutôt qu’un vecteur de modernité universelle.
Comme l’a brillamment analysé Shoshana Zuboff dans l’Age du capitalisme de surveillance, le basculement vers une économie sans cash n’est pas une simple transition technique. Chaque transaction numérique enrichit les bases de données des géants de la tech, leur conférant un pouvoir exorbitant sur nos vies. En France, la CNIL a récemment alerté sur le danger des micropaiements traçables, qui transforment l’intimité économique en matière première de surveillance. La liberté du consommateur ? Un mirage dans l’ère de l’algorithme.
En Suède, pionnière du « cashless », près de 90% des paiements sont électroniques. Mais l’enthousiasme initial a laissé place à une désillusion : en 2022, le gouvernement a dû légiférer pour garantir un accès minimal au cash, face à l’impréparation des systèmes numériques aux cyberattaques. On oublie trop souvent qu’aucun système ne saurait prétendre être parfaitement sécurisé. Derrière la disparition des pièces et billets se cache un enjeu bien plus vaste : celui de notre souveraineté économique et démocratique. Accepter un monde sans cash, c’est ouvrir la porte à une société de contrôle intégral, où la liberté se paiera… sans contact.