David Djaïz, ex-conseiller à l’Élysée : « Ça va très mal se finir »

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avid Djaïz est toujours allé très vite. À 8 ans, il interrogeait le maire de sa ville sur sa politique en matière de pistes cyclables. À 34 ans, le voilà déjà major de Normale sup, énarque, inspecteur des Finances, enseignant à Sciences Po, coprésident d'une agence de conseil… et ancien conseiller du président de la République.
Sa mission à l'Élysée, où Emmanuel Macron le charge en septembre 2022 de suivre les travaux du Conseil national de la refondation (CNR), dont il est nommé rapporteur national, aura été brève. Dès août 2023, l'intellectuel quitte l'instance, censée « bâtir des consensus » entre forces politiques, partenaires sociaux, représentants des entreprises et associations, pour se consacrer à ses projets entrepreneuriaux et éditoriaux.

Devant l’impasse, j’ai préféré arrêter, car je suis incapable de faire “semblant”
David Djaïz

Une déconvenue qu'il évoque avec un humour teinté d'amertume. Dans ses moments de solitude, n'a-t-il pas eu l'impression d'être un capitaine de pédalo ? « La promesse initiale était de conduire une révolution copernicienne du service public à partir du premier kilomètre et de l'usager, mais l'investissement politique, humain et financier du gouvernement et de la technostructure dans cette démarche était tellement famélique qu'il était difficile d'en faire plus qu'un gadget, explique-t-il. Devant l'impasse, j'ai préféré arrêter, car je suis incapable de faire “semblant”. » Philippe Grangeon, membre fondateur d'En marche et autre conseiller déçu d'Emmanuel Macron, analyse : « Il s'est frotté aux contradictions de l'exécutif entre une méthode collaborative et une pratique parfois trop verticale du pouvoir. »
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Alternance entre « la purge et le chèque »

La désillusion nourrit le pessimisme de ce grand angoissé, insomniaque jovial aux sourcils broussailleux, qui garde dans ses tiroirs un manuscrit sur l'extermination des chiens errants dans les rues d'Istanbul, en 1910. « J'ai l'impression que la classe politique se contente de gérer le déclin, en alternant entre la purge et le chèque. Ça va très mal se finir. La France peut connaître une énorme crise des finances publiques, ou une révolte sociale à côté de laquelle les Gilets jaunes et les agriculteurs sont des gâteaux apéritifs. »
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Le haut fonctionnaire, ancien directeur de la stratégie et de la formation de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (2020-2021), a observé les dysfonctionnements français, le « déficit de pensée stratégique », la paperasse qui décourage les meilleures volontés dans les hôpitaux et les écoles : « J'ai vu de l'intérieur à quel point l'État était épuisé intellectuellement et opérationnellement. »
Un partage des tâches entre l'Europe, la nation et le local

Il juge urgent « un partage des tâches beaucoup plus simple entre une Europe qui assure notre avenir – en investissant massivement sur les sujets climatiques, militaires et technologiques –, une nation qui nous protège et fasse vivre la démocratie, et des bassins de vie à hauteur d'homme pour les services publics et la cohésion sociale ».

Je crains un peu l’occasion manquée, et c’est dommage car Macron a des fulgurances et de bons diagnostics.
David Djaïz

Son argumentaire pour une « société de la responsabilité » rappelle parfois les accents du Emmanuel Macron de 2017… « Je crains un peu l'occasion manquée, et c'est dommage car il a des fulgurances et de bons diagnostics, confie-t-il au sujet du chef de l'État. Depuis l'introduction du quinquennat, les présidents cherchent à être sur tous les ballons, alors qu'ils devraient peut-être se concentrer sur les deux ou trois sujets essentiels à l'avenir du pays. »
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L'ancien chevènementiste, petite main de la campagne à la primaire de la gauche d'Arnaud Montebourg en 2011, est aujourd'hui plus libéral. « Laissons les soignants s'organiser comme ils le souhaitent dans un centre de santé sans avoir à justifier chaque fait et geste du coordinateur. Laissons enseignants et personnels de direction s'organiser plus librement dans un établissement scolaire en fonction d'un diagnostic qu'ils construisent avec la communauté éducative élargie », écrit-il dans un article paru dans l'hebdomadaire Le 1.
Souci du consensus

Autant d'idées exposées dans ses essais. Dans Le Nouveau Modèle français (2021), il suggère de rebâtir la France autour de trois piliers : désir d'ancrage territorial, prise de conscience de l'urgence écologique, attachement à la République. Son souci de consensus le conduit parfois, selon ses détracteurs, à enfoncer des portes ouvertes.

La social-démocratie, le solidarisme, l’art du compromis : c’est tout le contraire d’un truc de chiffe molle.
David Djaïz

Le natif d'Agen, terre radicale-socialiste, se défend de tout irénisme : « La social-démocratie, le solidarisme, l'art du compromis, c'est tout le contraire d'un truc de chiffe molle. Dans la société ultra-polarisée où nous vivons, ça nécessite même une sacrée dose de courage et de fermeté de faire travailler des gens si dissemblables à une œuvre commune. »

Inlassable, il publie La Révolution obligée (coécrit avec Xavier Desjardins, professeur d'urbanisme à la Sorbonne), plaidoyer pour une transition écologique à l'échelle européenne. Face aux modèles chinois et américain, les auteurs appellent le continent à mener une «  révolution politique et industrielle en moins de trente ans  », à travers un «  nouveau pacte de production et de consommation  ».
Une place dans une gauche de gouvernement ?

Au fond, ce trentenaire qui se déplace à vélo et ne rechigne pas aux anglicismes reste assez classique. Au point d'évoquer un personnage d'un autre temps, égaré à l'ère du dérèglement climatique et des deep fakes. Un Jerphanion, héros du roman Les Hommes de bonne volonté, de Jules Romains, un normalien idéaliste et provincial qui a le cœur à gauche et deviendra ministre des Affaires étrangères.

Des parents professeurs, un père kabyle, une enfance passée entre Agen et le Maroc, où il découvre le terrorisme lors de l'attentat de Casablanca (2003) et le gouffre des contrastes sociaux. « Mes parents m'ont donné le culte du mérite, du diplôme. Mon père m'a toujours répété que dans la famille, on n'avait que l'école. Cette expression de “patrimoine de ceux qui n'en ont pas” résonne vraiment à mes oreilles. »

Sa densité tranche avec les automatismes des clones du macronisme, rigidifiés par les écoles de commerce. « David Djaïz, c'est une très vaste culture, une intelligence conceptuelle aiguë. Il condense le meilleur d'une certaine France dont on ne sait pas si elle existe encore », s'enthousiasme son premier éditeur, Jean-François Colosimo, directeur du Cerf. Continue-t-il d'échanger avec Emmanuel Macron, ce président dont il fut le stagiaire lorsqu'il était secrétaire général adjoint de l'Élysée et qui a l'âge d'être son grand frère ? « On ne se parle pas souvent, mais nos rapports sont francs », élude-t-il.

Si le bloc central se fissure, David Djaïz pourrait contribuer à la réémergence d’une gauche de gouvernement
Jérôme Fourquet

Contribuera-t-il à dessiner les contours de l'après-Macron ? « Si le bloc central se fissure, David Djaïz pourrait contribuer à la réémergence d'une gauche de gouvernement, réformiste, qui aurait fait son aggiornamento idéologique et intellectuel », anticipe l'essayiste Jérôme Fourquet. L'intéressé confie : « Il y a de la place pour un grand courant démocrate, républicain, écologiste pragmatique, et surtout soucieux de retrouver un esprit de conquête collectif dans un pays. Mais je n'ai pas encore trouvé l'organisation dans laquelle je pourrais m'épanouir. »
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Au-delà des formations politiques, Djaïz cherche l'homme qui pourra appliquer ses grands desseins. « Je pense que j'ai les idées claires, mais je n'ai pas toujours misé sur les bons chevaux. Une fois, Jacques Attali m'a dit : “Là où j'ai eu de la chance par rapport à vous, c'est qu'à 30 ans j'avais déjà rencontré Mitterrand.” Je n'ai pas trouvé mon Mitterrand. »
Passer à l'action

Peut-être en viendra-t-il à défendre lui-même ses projets… Faire de la politique, n'en rêve-t-il pas depuis l'enfance ? Jérôme Fourquet : « David Djaïz a pas mal produit intellectuellement, mais on croit sentir son envie de passer à l'action. La difficulté, c'est de se faire une place, d'arriver à exister dans les appareils politiques, les rapports de force. » « Est-ce que c'est un homme à se satisfaire de l'influence ou est-ce qu'il veut le pouvoir ? » se demande Jean-François Colosimo.
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Reste à savoir si ce jeune homme sympathique et réservé serait capable d'accomplir une telle mue. La frénésie d'action exprimée par cet amoureux des concepts semble un brin naïve. Pour un François-Xavier Bellamy qui a réussi à se frayer un chemin dans les instances des Républicains et au Parlement européen, combien d'intellos se sont-ils égarés dans des aventures politiques hasardeuses ? « J'ai la patience des arbres. C'est bien d'être un peu buriné par les épreuves de la vie, de se préparer intellectuellement, d'avoir des expériences professionnelles différentes, veut-il croire. Ça viendra peut-être ou peut-être pas. »

Sa carrière politique pourrait commencer à Agen, où il organise chaque année des rencontres philosophiques – la prochaine, qui aura lieu en novembre, portera sur le thème de la paix. « Il a la puissance intellectuelle pour peser dans le débat national, et en même temps, il est bien de chez nous, loue Jean Dionis du Séjour, le maire de la ville, qui le connaît depuis l'enfance. C'est sans doute au niveau local qu'il aurait l'apprentissage le plus important à faire. »

Cette conquête serait-elle une première étape, en attendant de viser plus haut ? À moins qu'une victoire du RN en 2027 ne le condamne à de longues années d'attente… Dans ses moments de doute, David Djaïz se demande-t-il parfois si, avec ses déboires à l'Élysée, il a déjà laissé passer sa chance ? Il connaît la fragilité des destins, lui dont les parents se sont rencontrés lors d'un autostop sur l'autoroute de Bordeaux. « Je ne suis pas pressé », assure-t-il.

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