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Rien ne passe après tout si ce n‘est le passant
Cet article est le dernier publié par Jacqueline Jencquel, 78 ans, qui défendait la fin de vie choisie, et s’est donnée la mort comme elle l’avait souhaitée en fin de semaine dernière. L’information a été confirmée par son fils à Nathalie Rouiller, journaliste de Libération. «Le Temps», 2 avril 2022.
C‘est une chose au fond que je ne puis comprendre, cette peur de mourir que les gens ont en eux. Comme si ce n‘était pas assez merveilleux que le ciel nous ait paru un moment si tendre (Aragon).
Et pourtant , au moment de passer à l’acte, j’ai peur. Je ne peux pas écrire un texte, que je voudrais militant, alors qu’en réalité je ne suis qu’une vieille égoïste qui ne se résigne pas à changer son style de vie dont elle n’a plus les moyens. Je regarde autour de moi, je vois bien la souffrance de la majorité de la population mondiale Quelle importance a ma vie ou ma mort? C’est un privilège de pouvoir écrire et d’être publié, même si on n’écrit que des conneries. Je ne suis un exemple pour personne. Une hédoniste qui peut choisir le moment de sa mort. Quel luxe! J’ai vécu la vie que j’ai voulu vivre. J’ai fait du mieux que j’ai pu et maintenant je suis au bout du rouleau. Et alors? Je ne cherche pas la compassion car je ne suis pas une victime.
J’aurais aimé pouvoir mettre mes talents au service de la communauté mais je ne sais pas comment m’y prendre ni à qui m’adresser.
Je réfléchis sans trouver de réponse ni de solution, alors je suis résignée et en même temps, je n’aime pas ce mot car -au risque de me répéter – je ne suis pas une victime.
Je veux mourir chez moi, entourée de mes livres de mes photos et de mes objets familiers. Personne ne pourra m‘accompagner. Pourquoi pas? Car il y a une loi idiote: non- assistance à personne en danger. En danger de quoi? De mourir? Mais j‘ai l‘âge de mourir. Le danger est de vieillir encore plus. La dépendance et la décrépitude me font bien plus peur que la mort. Je ne veux pas devenir plus vieille. C‘est mon choix. Mon droit aussi. Il est inscrit dans la Constitution, ce droit. Et pourtant , on ne me permet pas de festoyer, entourée de mes proches. Et pire encore, si je n‘avais pas le pentobarbital, interdit pour les humains , mais autorisé pour les chiens – il faudrait que je me jette sous un train, traumatisant ainsi le conducteur et les passagers. Ou bien que je fasse comme mon voisin , Romain Gary, me tirer une balle dans la bouche, offrant le spectacle de ma cervelle éclatée pendant que je baignerais dans une mare de sang. Est-ce plus légitime que de prendre le bon barbiturique pour m‘endormir tranquillement?
Par contre, on fait de la pub pour des cercueils, des tombes, des couronnes mortuaires. Et ces pubs vous affirment qu‘il faut préparer sa mort. Ce n‘est pas préparer sa mort que se soucier de son cercueil, puisqu‘une fois dedans, on sera déjà mort. Je ne veux ni de cercueil ni de tombe. Je veux être incinérée et me transformer en plante dans le jardin de mon fils à Bali. Si ce n‘est pas possible, ce n‘est pas grave.
Rien n‘est grave, sauf le locked- in syndrome (Frédéric Beigbeder).
Je n‘ai pas eu envie de m‘exiler pour mourir et j‘ai la chance de pouvoir choisir car j‘ai le bon produit. Pourquoi? J‘y ai pensé en amont. C‘est tout.
Législateurs français, quand allez-vous comprendre que cette liberté n‘enlève rien à personne? Et que cette interdiction me prive, moi, de ceux que j‘aime lorsque le moment est venu pour moi de mourir? Ce moment est très important et je veux le vivre en pleine conscience. J‘ai 78 ans , pas 48, ni 58 ni même 68. C‘est assez, non?
Je ne veux pas assister à ma propre déchéance. Je ne veux pas être déjà mourante pour avoir le droit de mourir. Je suis vieille mais encore lucide et capable de discernement.
Le monde ne me plaît plus. Il n‘y a plus de sages ni de philosophes qui le dirigent. Plus que des idéologues fanatiques et des imbéciles qui les suivent. Paris est sale. La Seine est devenue une poubelle, tout comme les lacs et les océans de toute la planète.
Et maintenant, la guerre! On s’y attendait et on ne s’y est pas préparé. Et pourtant, c’était tellement prévisible.
Je suis trop vieille pour protéger mes enfants. Autant ne pas être une charge additionnelle. Le moment est venu.
Je me suis battue pour des libertés encore fragiles, même si elles semblent acquises: les vrais droits des femmes: droit de vote et de planifier nos familles en utilisant la contraception et- dans le pire des cas – l‘ IVG.
Aujourd‘hui je revendique mon droit à l‘ IVV (interruption volontaire de vieillesse).
Je regrette de ne pas pouvoir être entourée de ceux que j‘aime.
Je n‘ai pas envie de mourir dans un autre lit que le mien.
Je ne veux être à la charge de personne et je ne peux pas attendre de mon mari – qui ne m‘aime plus – de continuer éternellement à m‘entretenir. J‘ai accompli ma tâche: lui donner une belle descendance dont je me suis bien occupée et à laquelle j‘ai transmis mon amour des mots, de la réflexion et de la beauté. Grâce à lui, j‘ai pu passer mes dernières années dans de beaux endroits, accompagnée de personnes que j‘ai eu envie de voir et sans obligations autres que celles que je me suis imposées à moi-même.
En fait , je pars au bon moment. Un peu triste de ne pas pouvoir le partager, ce moment. En même temps, pourquoi obliger les enfants à voyager en cette époque de Covid et de guerre?
Ils ont assez de soucis et voir sa mère mourir n’est probablement pas tellement marrant. Alors festoyer? Je n’en ai même plus envie. Le malheur des autres est omniprésent. Je veux juste m’endormir, ne plus avoir mal à la tête, mal au bide, tous ces maux qui accompagnent la vieillesse et dont on n’a pas envie de parler car cela n’intéresse personne.
Difficile à réaliser, ce planning d’une mort choisie et organisée, comme un mariage ou un baptême. J’aurais pu le faire il y a deux ans, comme prévu. Mais la naissance de mon petit-fils le jour de mon anniversaire a été comme un moment volé au destin.
On ne refuse pas ces moments- là. Et puis , la vie a repris son cours malgré le Covid et tout le reste. Je n’ osais plus fixer de dates et en même temps , je savais qu’il fallait y aller car je ne rajeunissais pas. Maintenant , je prends cette décision seule et en pleine conscience. Personne ne me pousse à la prendre. Pourtant, j’aurais aimé revoir mes enfants et leurs petits, passer du temps sur une île avec eux ou en haut d’ une montagne, n’ importe où … mais j’ai la tête qui explose et je ne peux plus attendre.
J‘ espère que la loi va changer et que d‘autres, après moi, auront la possibilité de partir, entourés de leurs proches, lorsqu‘ils l‘auront décidé et qu‘ils auront atteint l‘hiver de leurs vies.
Devoir se cacher pour mourir, voilà ce à quoi nous sommes réduits si nous refusons de vieillir au-delà du seuil qui nous paraît acceptable. Et si nous sommes malades, il faut s‘exiler si nous ne voulons pas finir dans une chambre d‘hôpital, perfusés et ventilés. Infantilisés dans le meilleur des cas et maltraités dans le pire. On l‘a bien vu pendant le premier confinement: il fallait nous protéger sous prétexte que nous étions vulnérables, donc nous enfermer sans plus revoir personne, puis mourir étouffés.
Est-ce que quelqu‘un nous a demandé notre avis? Peut-être que certains d‘entre nous auraient préféré être écoutés et respectés plutôt que protégés.
Tellement absurde d‘interdire un passage doux de la vie à la mort. Tellement absurde de criminaliser les médecins qui accompagnent leurs patients jusqu‘au bout lorsque les patients le leur demandent. Absurde d‘utiliser des verbes comme tuer dans ce contexte. Le verbe euthanasier ne veut rien dire non plus. L‘euthanasie (en grec la bonne mort) ne se conjugue pas. On aide, on accompagne, on embrasse, on sourit en pleurant. C‘est la fin de la vie. A la fois triste et normal.
Je meurs seule. C‘est vrai. Mais je suis chez moi. Je regarderai intensément le visage de mes enfants avant de fermer les yeux pour toujours. Je penserai à tout l‘amour qu‘ils m‘ont donné et que je leur ai bien rendu.
Il ne me reste qu‘à remercier Le Temps pour avoir hébergé mon blog, ainsi que ma fidèle amie, le docteur Erika Preisig, qui n‘aurait pas hésité à m‘aider si j‘étais allée à Bâle pour mourir.
Merci à mes lecteurs, avec lesquels j‘ai aimé débattre et aux militants de l‘ADMD – France, qui m‘ont accordé leur confiance pendant tellement d‘années. Je vous souhaite à tous de bien profiter des moments, en sachant que si des problèmes se présentent, vous saurez les surmonter. Et que s‘ils deviennent insurmontables et que votre vie n‘ est plus la Vie, que vous puissiez descendre du train au moment de votre choix, sans devoir vous cacher comme des criminels.
Un vieillard qui meurt , c’est dans l’ordre des choses, tout comme un bébé qui naît. Pourtant, personne ne nous serre dans ses bras pour nous dire au-revoir. Pas le droit. C’est illégal en France. Un pays qui est fier de fabriquer et d’exporter des armes qui servent à tuer, mais ne laisse pas les vieux mourir accompagnés, s’ ils en font le choix lucide et éclairé! Le pays de Voltaire et de Montesquieu nous interdit un droit garanti par notre Constitution.
Celui de disposer de nos corps. Le suicide n’est pas un crime et ne peut donc pas être puni. Mais quid de l’accompagnement? Non assistance à personne en danger? Vous rendez- vous compte de l’absurdité de cette phrase dans le contexte d’un suicide voulu et consenti d’une personne arrivée au terme de sa vie? Plutôt que de vouloir me protéger écoutez-moi et respectez-moi, au lieu de m’obliger à me cacher et à me taire.
Jacqueline Jencquel le 29 mars 2022 dernier article sur le blog du Temos
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