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Interpellé pour un tag anti-Bardella, il est accueilli au commissariat par une chanson pro-Bardella

Placé en garde à vue pour un tag « Bardella meurt », le 10 juin, un homme de 31 ans dénonce des injures de la part des policiers et un « comité d’accueil » un peu particulier au commissariat. La préfecture de police de Paris annonce l’ouverture d’une enquête administrative.

Dans la soirée du lundi 10 juin, au lendemain des élections européennes qui ont placé le Rassemblement national (RN) en tête et entraîné la dissolution de l’Assemblée nationale, Camille* a rejoint la manifestation de la place de la République, à Paris. Peu avant 22 heures, cet homme de 31 ans qui travaille dans l’audiovisuel rentre chez lui, dans le XIe arrondissement.

Quelques dizaines de mètres avant sa porte d’entrée, il s’arrête pour taguer « Bardella meurt » sur un mur, au feutre. Alors qu’il vient de terminer, une voiture de police sérigraphiée tourne dans son impasse et s’approche de lui.

Camille s’enfuit en courant, se précipite vers son immeuble alors que la voiture accélère et referme la porte au nez des policiers en uniforme qui l’ont « grillé ». Monter les escaliers quatre à quatre n’aura pas suffi : il entend trois coups de pied dans la porte, qui cède. Les policiers crient : « Arrête-toi ! » et l’interpellent entre le deuxième et le troisième étage.

« Je me sentais très con », résume le trentenaire au casier vierge. Selon son récit, les deux policiers bruns et la policière blonde aux cheveux attachés, âgés d’environ 35 ans, semblaient particulièrement « heureux de [l’]avoir arrêté ». La policière aurait fait remarquer à ses collègues qu’elle venait d’interpeller son « premier gaucho ».

Alors qu’il avait « les menottes aux poignets depuis quelques secondes » et restait silencieux, assis dans la voiture de police, il affirme que les fonctionnaires restés debout à côté du véhicule l’ont agoni d’injures « haut et fort dans l’impasse » : « trou du cul de gaucho », « fils de pute de gaucho », « avec ta casquette de pédé qui se fait enculer par des migrants » ; « quand ta mère et ta grand-mère se seront fait violer par des migrants, tu comprendras ».

Dans le même temps, l’un des fonctionnaires l’aurait saisi par la veste, puis à la gorge, pour l’impressionner. Camille dit aussi avoir entendu « Pas de chance pour toi, au commissariat on a tous voté Bardella » pendant son trajet vers le commissariat du XXe arrondissement.

Là-bas, la policière de l’équipage l’aurait pris en photo sans le prévenir avec son téléphone personnel pendant qu’elle le surveillait dans un couloir. Camille est placé en garde à vue – sa première – pour dégradation légère par inscription (le tag) et menaces de mort sur un élu (un délit passible de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende).

« Une policière essayait de contacter des avocats pour d’autres affaires. Comme ils ne répondaient pas, elle a dit : “Les avocats, c’est vraiment tous des fils de pute.” Les autres policiers dans la pièce ont renchéri. » Aux alentours de 23 heures, Camille est transféré au commissariat central du XIe arrondissement. « L’un des policiers qui m’avaient arrêté m’a pris par le bras pour m’emmener et s’est approché pour me dire : “On va passer la nuit ensemble, je vais bien m’occuper de toi, on va chanter des chansons.” »
« Ils m’ont fait une kermesse »

Au moment où il entre dans le commissariat du XIe arrondissement, Camille raconte qu’« une enceinte Bluetooth posée par terre, à côté de la porte, diffuse à fond une reprise de la chanson Angela, de Hatik, qui dit “Bardella, j’vais voter pour toi, pour que tu contrôles la zone” ». Ce clip à la gloire du candidat RN est devenu viral chez ses partisan·es.

Camille est escorté jusqu’à « une autre pièce » du rez-de-chaussée, où « environ cinq autres policiers [l]’ont accueilli en agitant chacun un drapeau bleu-blanc-rouge, en chantant la chanson et en criant : “Ouaaaaaais ! Super !” Ils étaient morts de rire. C’était complètement lunaire, ils m’ont fait une kermesse. Une policière qui agitait son drapeau m’a redit : “Qu’est-ce que vous lui voulez à Bardella ? Ici on a tous voté pour lui.” »

Après cette « haie d’honneur », Camille passe la nuit en cellule. « À partir de ce moment-là, ça s’est calmé », commente le trentenaire, qui a exercé ses droits à voir un médecin et être assisté d’un avocat. Dans son unique audition par un officier de police judiciaire, le mardi 11 juin en fin de matinée, il garde le silence sur les faits mais fait état des insultes et de la manière dont il a été reçu au commissariat. « Ces allégations vont faire l’objet d’une enquête administrative qui devra permettre de confirmer ou infirmer les faits », annonce la préfecture de police de Paris, sollicitée par Mediapart.

« Ces faits graves révèlent, s’ils étaient confirmés, un manquement majeur de la part de policiers à leur obligation de neutralité, commente l’avocat de Camille, Raphaël Kempf, par ailleurs candidat du Nouveau Front populaire aux législatives anticipées dans la première circonscription de Paris. Ils révèlent en outre le sentiment très inquiétant de ce que des policiers pourraient se sentir autorisés à manifester leurs opinions politiques en cas d’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. »

Au terme de dix-huit heures de garde à vue, Camille a été libéré sans poursuites. Contacté par Mediapart, le parquet de Paris confirme avoir classé sans suite, le jour même, la procédure ouverte à son encontre. Quant au tag, il est toujours là.

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