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Hommage national à Delors : c'est encore la première droite qui parle le mieux du père de la deuxième gauche

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Loin de nous l’idée de nous acharner sur un défunt, encore plus le jour de l’hommage que lui rend la nation, mais tout de même : si vous n’êtes pas encore convaincu que la deuxième gauche incarnée par Jacques Delors jusqu’à sa mort le 27 décembre était en vérité une première droite, vous pourrez vous faire une religion en écoutant les hommages rendus par les différentes personnalités présentes lors de la cérémonie aux Invalides, ce vendredi 5 janvier.

À l’heure où socialistes et macronistes s’écharpent quant à savoir qui est l’héritier le plus légitime du papa de l’Europe libérale – ce qui n’empêche pas les premiers de vibrionner sur le dumping social et le règne de la dérégulation – les oraisons au défunt en disent long sur ce que la « gauche de gouvernement » autoproclamée a encore de « gauche ».

Mais revenons à la cérémonie et laissons au chef de l’État le soin de rappeler le bilan politique de Jacques Delors. Côté européen : « La libre circulation des personnes et des biens, des services et des capitaux, le marché unique et son Acte unique (…), l’Europe du dialogue social réconciliant patronat et syndicat, l’union économique et monétaire, l’euro dont il pose les bases, la Banque centrale européenne qu’il fait aboutir en mobilisant tous ses talents de négociateur, l’Europe de la croissance et de la solidarité qui ne laisse personne sur le côté, soutient les régions les plus défavorisées (…) ; une Europe consciente de la nécessité de s’élargir et de s’approfondir simultanément. » Emmanuel Macron oublie le consciencieux démantèlement des services publics nationaux au nom de la sacro-sainte concurrence européenne, mais on ne peut pas penser à tout. Ajoutons qu’il n’est pas certain que la nature « solidaire » de l’Europe saute aux yeux des citoyens grecs ou des anciens ouvriers français.

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Côté français justement, c’est bien sûr au tournant de la rigueur de 1983 sous François Mitterrand que se réfère Emmanuel Macron. Alors ministre de l'Économie, Jacques Delors « lance contre l’inflation des mesures difficiles mais efficaces » : « Fin de l’indexation des salaires sur les prix et restrictions budgétaires ». Les grandes heures du socialisme, donc. On se pince tout de même en entendant Emmanuel Macron qualifier ce virage historique « d’œuvre de réconciliation ». Qu’on se rassure, il s’agissait seulement de « réconcilier le socialisme de gouvernement avec l’économie sociale de marché, réconcilier véritablement la France avec l’Europe ». Certainement pas les Français entre eux, donc.

Qu’Emmanuel Macron ne retienne de Jacques Delors que ses legs libéraux et européistes, quoi de plus naturel ? Mais qu’en disent les « socio-démocrates » revendiqués ? Surprise : la même chose. « C’est sous sa présidence que l’on va lancer, par l’Acte unique, le marché intérieur, qu’on va préfigurer l’union économique et monétaire, qui elle-même sera la préfiguration de l’union bancaire, c’est-à-dire qu’on jette les fondements d’une Europe à la fois de la solidarité, mais également de la compétitivité, de l’efficacité économique, et d’une Europe qui puisse rayonner au plan international », commente ainsi l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve sur France 2.
« Jambe sociale »

En plateau, son « camarade » Pierre Moscovici, autre héraut de la gauche de droite, livre quant à lui un commentaire involontairement comique : « Dans la Commission européenne, il y a des hommes et des femmes qui sont de droite et de gauche. Mais attention, ils sont de droite ET de gauche, pas mélangés. De ce point de vue-là, Jacques Delors était assurément un social-démocrate. C’était un socialiste. Un socialiste particulier en France, parce que la social-démocratie n’a jamais existé dans notre pays, quelqu’un qui était attaché à des compromis, entre le capital et le travail, le marché et le social, la droite et la gauche sur des causes d’intérêt général. » Des compromis, Jacques Delors n’en a pourtant jamais fait beaucoup… du moins avec la gauche. Et « Mosco » d’ajouter : « Il partait toujours de l’idée qu’il fallait que le marché soit régulé, équilibré, c’est vrai qu’il n’a pas pu complètement construire la jambe sociale, mais c’était sa préoccupation constante. » Une jambe libérale en parfait état de marche – on devrait dire de course –, une jambe sociale claquée : ça ne vous rappelle personne ?

À en croire les analystes invités par le service public pour commenter la cérémonie, on jurerait que ce déséquilibre manifeste – et significatif – résulte de la faute à pas de chance. « Il n’a pas pu faire son volet social, il n’en a pas eu le temps », assure ainsi la journaliste Michèle Cotta. « N’oublions pas qu’en 2004, il souscrit à un texte qui s’appelle Traité pour une Europe sociale, avec Michel Rocard, qui est une conception de l’Europe qui de facto n’est pas celle qu’Emmanuel Macron promeut aujourd’hui », ajoute l’historien Jean Garrigues. Pas celle d’Emmanuel Macron, mais celle qui l’a rendue possible. On se marre carrément en entendant Serge Raffy, éditorialiste jonglant entre L'Obs et LePoint, affirmer : « Jacques Delors était quelqu’un qui a lutté toute sa vie, il n’a pas toujours réussi, contre l’ultralibéralisme, qui était en train de gagner l’Europe année après année. Donc quelque part il y a une défaite de Jacques Delors. »

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Photo de profil de Rélou Le Relou

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Au fond, c’est encore l’ancien commissaire européen Michel Barnier – de droite – qui résume le mieux la nature idéologique profonde de Jacques Delors et de ses héritiers politiques, consensus libéral élevé au rang de pensée unique. « Qu’est-ce que ça veut dire d’être de gauche ou de droite quand on parle de l’Europe ? À Bruxelles, à Strasbourg, on travaille avec des hommes et des femmes de toutes les sensibilités pour l’intérêt général européen. (…) Il avait de l’Europe une idée qui correspond à la mienne : non seulement un grand super marché, mais aussi un espace de vie économique, sociale, humaine. » Deux intrus se sont glissés dans cette liste.

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