Lettre aux futurs vacanciers : et si le confinement nous avait appris à voyager autrement ?
Depuis la fin du confinement, la vie semble reprendre la voie de la « normale » au grand dam de lâenvironnement ! La question aura traversé lâesprit de beaucoup : de quelle vie veut-on au juste ? Cette période particulière a été lâoccasion pour chacun de réfléchir à ses habitudes de vie et à sa place dans la société moderne. Pour Mr. Mondialisation, Sarah Roubato imagine comment la crise du coronavirus aura pu influencer et â éventuellement â changer nos envies de voyager.
Sortir, sortir, sortir ! Mais où aller cette année ? On se prépare à des vacances bien particulières. Aller voir la mer, la montagne, les collines, les villages pittoresques, les belles villes ! Tant pis pour le voyage prévu à lâautre bout de lâocéan. Cette année, on voyagera à domicile. Il paraît quâon a un beau pays. Pour les Français, câest le pays le plus visité au monde, rendez-vous compte ! Justement, on va pouvoir sâen rendre compte. Heureusement la limite de circuler dans un rayon de 100 km est levée. Car oui, nous nous sentons à lâétroit dans 100km carrés. Mais comment faisaient donc nos ancêtres ?
Le confinement nous a appris à regarder autrement notre voisinage. à porter attention à ce devant quoi on passait, en se disant que câétait bien banal. Quâallons-nous faire de cette acuité retrouvée ? Saurons-nous ressortir de cette expérience transformés ? Cet été, câest peut-être lâoccasion de redécouvrir non seulement nos propres pays, mais peut-être aussi une autre manière de voyager. Car câest chouette de liker les photos des eaux claires de Venise, mais si câest pour se ruer sur nos propres plages et villes, ou pour prendre un soda près dâun lac de montagne dans une structure super aménagéeâ¦
Quand même, ce ne sont pas les mêmes proportions que le tourisme de masse ! Nous ne débarquons pas en cars ou en bateaux de croisière. Nous, on arrive en voiture, on loue un petit appartement en Airbnb au centre ville, ou bien un bungalow, un camping car, une villa à plusieurs ou une cabane dans un village vacances. Suivant les bourses et les standings. On arrive le samedi soir, on se rue au supermarché le plus proche â on est bien contents dâailleurs dâen trouver, câest plus pratique ! On est en vacances, on ne va pas perdre du temps à faire les courses chez les petits producteurs du coin. Le dimanche matin, quand on regarde par la fenêtre du centre ville ou du village, pas un enfant du coin ne court dans les belles rues pavées, pas une vieille femme ne se penche au balcon, aucune file dâattente ne se forme le matin devant le boulanger du coin, car il y a bien longtemps quâil nây a plus de boulanger du coin. Dâautres comme nous se baladent, appareils photos en bandoulière, casquette sur la tête et crème solaire badigeonnée sur le visage. à midi les restaurants et les cafés font le plein. Ãa donne du boulot aux gens tout ça. Dâailleurs sans nous, câest sûr, tous ces lieux seraient morts, les locaux nâauraient pas de quoi vivre, car que pourraient-ils faire dâautres après tout ? Ils habiteraient peut-être ici, mais au chômage !
Lâindustrie du tourisme sait merveilleusement sâadapter aux styles et aux porte-monnaie de chacun. Elle sait présenter une offre qui semble dâune grande diversité. Mais derrière lâapparente variété des formules, câest toujours la même expérience quâon nous vend. Le soleil tape. La place est noire de monde. Les marchands crient pour nous attirer vers leurs échoppes colorées. Les peintres agitent leurs pinceaux, les musiciens chantent plus fort, les serveurs des cafés guettent un regard pour nous proposer le menu. De quelle place je parle ? Si vous posez la question, câest que vous avez compris : je pourrais aussi bien parler de la Grand Place de Bruxelles que de la place Jemaa el Fna de Marrakech, de Istiqlal dâIstanbul ou de la place du Tertre à Paris. Toutes les places et les centre villes finissent par se ressembler, parce quâils offrent tous la même expérience. Ce qui change, câest quâici on mange des crêpes et là des gaufres, ici des jus dâorange et là des grillades. Lâartère principale présente les mêmes enseignes de boutiques de vêtements low-cost et de fastfood. Sur les terrasses de la place du Tertre, le café se déguste à 3 euros. On consomme de lâauthentique montmartrois en sâinstallant là où jadis les artistes avaient la place, où ils nâont plus quâun couloir. Dans les petites rues on va acheter des mugs et des t-shirts quâon retrouvera à lâidentique dans de petits villages typiques, sauf le nom imprimé dessus bien sûr. Dans les petits villages, les boutiques « artisanales » nous présenteront en petit paquet des spécialités régionales fabriquées à 100 kilomètres de là par de grosses usines et vendues cinq fois plus cher. Il faut dire que lâemballage est bien soigné, dans des couleurs vintage. Nous visitons le musée, la grotte, le site, la fontaine, le pic, lâéglise, les yeux grands ouverts et la tête levée. En sortant nous avons déjà oublié à peu près tout ce quâon a lu sur le guide. Quand nous rentrons de tout ça, que nous reste-t-il ? Des clichés, une série de visites qui se passent toujours sur le même mode.
Alexis Marcotte
Et si le confinement pouvait nous apprendre à voyager autrement ? Si ce quâil restait de la visite dâune église, câétait de longues minutes de silence, de quiétude, de fraîcheur, dâintrospection ? Si vivre dans un centre ville ou un village pouvait vouloir dire, avoir pris un coup tous les soirs avec un vieil homme quâon retrouve au bistro, et lâavoir écouté nous raconter comment câétait avant, depuis combien de temps sa famille y vit, sâil est fier de son coin de pays, ce quâil a vu passer⦠ces histoires qui ne figurent dans aucun guide. Si on se permettait, en route pour une visite, de sâarrêter devant des enfants qui jouent, de sâautoriser à changer de programme, et de finir par rester tout un après-midi à apprendre des jeux quâon ne connaissait pas ? Si on voyait les arrières-boutiques des petits commerçants, des fermes, des paysans du coin, qui finiraient par nous inviter à prendre un café chez eux ? Si soudain on pouvait dire à quoi rêvent les gens de ce coin de pays, quâest-ce quâils craignent, quâest-ce qui les met en colère, quâest-ce qui les intrigue ? Et si on se permettait de retourner plusieurs fois dans le même coin de campagne, sur le même rocher devant la mer, et quâon y prenne le temps de bien regarder, dâapprécier une autre température, une autre heure de la journée, et pourquoi pas, de faire le point sur sa propre vie ? Bref, et si on boycottait les codes du tourisme de masse ?
Un paysan vivant depuis trente ans sur sa ferme, et qui avait bien bourlingué par le passé, me disait alors que nous montions lâeau avec les bÅufs : « Je fais ce chemin tous les jours depuis trente ans, et je ne me suis jamais ennuyé. Les gens font des kilomètres mais ils ne savent pas ce que câest voyager. » Une adolescente me racontait que pendant le confinement, elle ne pouvait aller que dans le petit bois près de chez elle. Elle y est allée tous les jours. Et elle nâavait jamais eu une expérience aussi riche : dâun coup, elle voyait les choses en train de se faire, les plantes pousser, les arbres verdir, les bourgeons devenir fleurs. Elle ne sâest pas ennuyée une seule fois.
Quand nous voyageons, nous avons tendance à vouloir voir et visiter le plus possible en un minimum de temps, pour ne rien « rater » dit-on. Nous consommons des expériences sur mesure sans toujours y trouver lâauthenticité. Comme nous reproduisons la même expérience partout, on finit par confondre les souvenirs. On revient chez soi pour mieux recommencer sa vie comme avant.
Alors à la veille de ces vacances estivales, je vous souhaite de savoir ce que vous allez chercher en voyageant. De vous laisser surprendre, de sortir des sentiers prémâchés, de découvrir dans les petites scènes naturelles et humaines, de quoi nourrir lâesprit, vous chatouiller lââme, de quoi apaiser les inquiétudes qui sont en ce moment si exacerbées. Je vous souhaite que ces vacances de la crise sanitaire soient celles dont vous vous souviendrez toute votre vie, celles qui vous auront fait toucher à lâessentiel, pour, qui sait, revenir transformés.
Sarah Roubato
https://www.youtube.com/watch?v=VGcSq7WpBEE
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