Pierre Shasmoukine… à bientôt !
Il y a à peu près un mois, je me suis réveillé au milieu de la nuit en disant « Pierre Shasmoukine !!! ». Aussi sec j’ai surfé sur son site… et me suis rendormi. Hier, sur Mastodon, urbanbike pouétait le Décès de Pierre Shasmoukine. De toute façon la période n’est pas propice pour se projeter dans l’avenir. J’imagine mal le Lion qu’était Pierre supporter plus longtemps le carcan qu’ils nous font vivre.
Dans les années 90, j’étais étudiant dans une école d’art et spectacle. Pierre nous avait fait l’immense honneur de nous accueillir. Toutes les semaines, pendant une année, nous tentions de créer, pour au final exposer nos « œuvres » dans la Galerie Za, à Gorodka, son village de chalets à tendance russe au milieu du sarladais.
Pierre me faisait peur. Pour moi, il était un ogre d’imagination, d’intelligence, de sensibilité et de générosité. Je n’osais le regarder dans les yeux, et encore moins lui parler. Il m’a bien fallu toute une saison pour oser croiser son regard. À l’époque, je vivais une caméra au poing en permanence et filmais Gorodka sous tous les angles. Des mois ont passé ainsi. Un jour, Pierre est venu me voir : « Tu filmes le vent, ou quoi ? » « Comment ?… » « Je n’ai jamais rien vu de tes images. Tu filmes vraiment ? » La semaine d’après, j’étais heureux de lui offrir la cassette VHS d’un montage de neuf mois de tournage. Il semblait soulagé, puis est revenu vers moi après l’avoir visionnée. Il était interloqué et m’a uniquement demandé : « Comment tu as fait pour le générique ? ». Il est vrai que c’était du générique de haute volée, très artisanal, mystérieux que j’avais réalisé avec l’aide du compère Ghislain. Nous avions essayé (et réussi sur ce coup) d’être à la hauteur de la grandiloquence de Pierre Shasmoukine !
Il avait quand même réalisé tout un village, une serre bioclimatique, des œuvres en lumière noire, la maîtrise de la peinture à l’huile avec toute la magie que peut engendrer l’eau et l’huile, une sculpture faite pour choquer les politiques « l’initiative à la broche »…
Il éditait une revue ; avait écrit toute une encyclopédie que le commanditaire n’avait jamais achetée.
Il possédait une vidéothèque monstrueuse. Dans la galerie Za, il nous projetait des films durant tout un après-midi, alors que notre inspiration créatrice était nulle. Par exemple c’est à cette occasion que j’ai découvert avec ravissement les Monty Python.
Mais surtout, ce qui m’impressionnait, c’était son jusqu’au boutisme. Il avait peint une série de sept tableaux. Où au final, il s’était sculpté le buste au vitriol. Ce n’est pas tout. Il s’était aussi coupé des phalanges de la main pour ensuite les coller au centre du dernier tableau. Il représentait la violence et la guerre.
Quand on est jeune comédien, on ne peut qu’être impressionné par tout ça… ainsi que par sa générosité. Pierre nous invitait à le suivre à différents vernissages. Il avait exposé nos tableaux, nous cuisinait d’immenses repas, que nous mangions goulûment à sa grande table qu’il présidait. En échange, nous faisions des concerts dans la galerie Za. Liz McComb était même venue chanter avec nous ! Ou c’était nous qui chantions avec elle, chez Pierre.
Il nous racontait ses difficultés. J’ai lu dans un des articles annonçant sa mort : « Il aura été un artiste incompris… »… Que le journaliste se rassure… Nous le comprenions très bien. Quand avec lui, nous peignions dans le froid. Ou que les lumières de la galerie s’allumaient uniquement quand entrait dans le village un visiteur. On comprenait parfaitement ses difficultés financières.
Nous rêvions tous, comme Pierre, de créer un village à nous. Et ensuite, nous avons aussi eu envie, de faire comme lui. Ce jour, alors qu’il conduisait sa camionnette. Qu’il en avait marre de tous ces virages. Il a fait le pas que nous n’osons pas faire. L’ultime virage… il ne l’a pas pris ! Pierre est allé tout droit… pour malheureusement s’enliser dans le champ. Du panache je vous dis !
Tu nous manques déjà Pierre. À bientôt !
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Source : https://archive.ph/yXTaQ
