La Thaïlande vers le scrutin le plus important des 30 dernières années
La Thaïlande se dirige vers les élections les plus importantes des 30 dernières années selon certains analystes avec une jeune génération de politiciens qui entend sortir du sempiternel statu quo.
Les élections législatives en Thaïlande prévues pour le 14 mai seront une fois de plus dominées par la confrontation entre le tout puissant establishment militaro-royaliste et les toujours très populaires partis d’opposition.
Cette opposition de forces entre ceux ayant le soutien des institutions et ceux ayant le soutien du peuple a façonné deux décennies tumultueuses marquées des manifestations de rue, des coups de théâtres judiciaires et des coups d’État militaires.
Si la crise du Covid-19 a permis aux élites au pouvoir d’étouffer, non sans mal, une nouvelle dynamique d’agitation lancée en 2020 par une partie de la jeunesse thaïlandaise, un tel cycle pourrait bien se reproduire selon que l’attribution de la gouvernance du pays reflète ou non le résultat des urnes.
Une élection clé dans l’histoire politique récente de la Thaïlande
Même si de nombreux partis seront engagés dans la course électorale, celle-ci se jouera essentiellement entre le parti Pheu Thai, mastodonte politique populaire au sein des classes populaires fondé par le magnat des télécommunications Thaksin Shinawatra, et les partis conservateurs dominés par les militaires, aux affaires depuis le coup d’État de 2014.
La perspective d’un gouvernement issu du processus démocratique, selon qu’il est pour ou contre la raison militaire, sera déterminante dans la trajectoire politique et économique de la deuxième économie d’Asie du Sud-Est, estiment certains analystes.
“Dans l’histoire contemporaine de la politique thaïlandaise depuis les années 1990, il s’agit de l’élection la plus importante“, a déclaré à Reuters Thitinan Pongsudhirak, politologue à l’Université Chulalongkorn de Bangkok.
Majorité écrasante requise pour l’opposition
Faisant campagne au nom du clan Shinawatra, Paetongtarn Shinawatra, fille du fondateur et ancien Premier ministre Thaksin, porte haut et fort les couleurs et les messages politiques du Pheu Thai dans les bastions du parti qui se trouvent principalement dans le nord et le nord-est du pays.
Cette jeune femme de 36 ans, qui est enceinte de son deuxième enfant, a su rassembler des foules enthousiastes depuis l’an dernier, et semble bien déterminée à obtenir le jour du scrutin la même ferveur qui a permis à son père et à sa tante, Yingluck Shinawatra, d’accéder au pouvoir par une écrasante majorité. Car avec un Sénat acquis à ses adversaires, une simple majorité ne suffira sans doute pas à gouverner.
Thaksin et Yingluck ont été renversés par des coups d’Etat militaires en 2006 et 2014, respectivement. Tous deux vivent actuellement à l’étranger où ils ont fui pour éviter des condamnations pour conflits d’intérêts, des décisions de justice que leurs alliés dénoncent comme étant uniquement destinées à empêcher leur retour politique.
Le putschiste en chef champion actuel de l’establishment
S’ils jouissent d’un fort soutien auprès des électeurs de la classe ouvrière et paysanne, les Shinawatras sont beaucoup moins appréciés au sein des classes moyennes et supérieures qui les accusent de népotisme au profit de leur entourage et d’acheter les pauvres avec des politiques populistes jugées inutiles et coûteuses pour les contribuables des villes.
Les Shinawatras rejettent ce genre de critiques.
Menant la campagne pour le camp conservateur, le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha, un ancien chef de l’armée au ton rugueux, est au pouvoir depuis le coup d’État en 2014 qu’il a lui-même dirigé contre le gouvernement de Yingluck Shinawatra, quelques jours après que cette dernière a été destituée par la Cour Constitutionnelle.
Ce militaire royaliste de 68 ans se présente sous la bannière d’un le parti formé récemment, le Ruam Thai Sang Chart, et en appelle au vote des conservateurs avec une promesse de fermeté et le slogan : «J’ai déjà accompli, je suis en train d’accomplir et j’entends continuer».
L’opposition plébiscitée dans les sondages
Mais s’il veut gagner, Prayuth va cependant avoir du pain sur la planche.
Il est en effet arrivé troisième dans un sondage de l’Institut national d’administration du développement (NIDA) publié dimanche qui demandait à 2.000 personnes en âge de voter quelle était selon elles la personnalité politique du moment qui ferait le meilleur chef de gouvernement.
Sans surprise, Paetongtarn Shinawatra est arrivée première avec 10 points de plus que lors du sondage précédent, suivi par Pita Limjaroenrat du parti progressiste Move Forward.
Mais il se pourrait bien que ce ne soit pas les électeurs qui décident qui emménagera au siège du gouvernement de Bangkok en tant que Premier ministre.
Le Sénat en embuscade
En effet, si les députés qui voteront pour choisir le chef du gouvernement auront été élus par le peuple, ce n’est pas le cas des quelque 250 sénateurs qui se joindront à eux, tous nommés par des institutions sous influence de l’establishment militaro-royaliste.
Un héritage de la dernière junte militaire qui a rédigé en 2017 une nouvelle Constitution dont un certain nombre de règles clés, comme celles concernant le rôle et le statut du Sénat, donnent un avantage déterminant au camp qui domine la bureaucratie.
Ainsi, à l’issu du scrutin, le chef du parti le plus représenté à la chambre basse pourrait très bien se voir refuser le poste de chef de gouvernement si le Sénat l’entendait autrement et faisait cause commune avec les partis minoritaires opposés de la chambre basse.
“L’un des facteurs les plus importants du résultat des élections est le pouvoir du Sénat, qui se rangera probablement du côté du candidat pro-militaire“, estime Titipol Phakdeewanich, analyste politique de l’Université d’Ubon Ratchathani.
Au cours de ces quatre dernières années, le Sénat a régulièrement voté en faveur de l’establishment, bloquant les propositions de législation proposées par l’opposition en dépit de l’approbation de la chambre basse élue.
Risque de soulèvement populaire
Tout en rappelant à l’envi aux électeurs que les coups d’État ne font que faire «reculer» le pays, Paetongtarn Shinawatra fait aujourd’hui campagne pour obtenir ni plus ni moins qu’un raz-de-marée électoral afin de surpasser le poids du Sénat lors de la nomination du Premier ministre, mais aussi du vote des lois par la suite. La jeune politicienne n’a toutefois pas dévoilé ses plans dans le cas où son parti se verrait refuser la possibilité de former un gouvernement malgré une victoire aux urnes.
Au cours des deux dernières décennies, les partisans du clan Shinawatra sont descendus plusieurs fois dans la rue en masse, tout comme leurs rivaux pro-militaires, provoquant à de multiples occasions des épisodes violents d’affrontements entre manifestants ou de répression policière ou militaire.
Mais l’un des mouvements de grogne populaire les plus significatifs pour la société thaïlandaise aura sans doute été celui mené à partir de 2020 contre le gouvernement de Prayuth Chan-O-Cha par une partie de la jeunesse thaïlandaise, principalement des étudiants et des collégiens.
Durant plusieurs mois des foules de jeunes toujours plus denses s’en sont pris à toute une série de préceptes conservateurs intervenant dans des domaines tels que l’éducation, la sexualité, la liberté d’expression ou encore la gouvernance des institutions. Les manifestants sont allés jusqu’à remettre en question le statut du roi lui-même, chose inédite depuis la fin de la monarchie absolue en 1932 dans un pays qui considère la royauté comme l’un des piliers de la culture et de l’autorité thaïlandaises, et dispose d’une des lois de diffamation les plus sévères au monde pour réprimer toute critique envers le palais.
Bon nombre de ces jeunes manifestants se sont ralliés au parti Move Forward.
Les deux principales factions qui forment aujourd’hui l’opposition -les partisans du Pheu Thai et ceux de Move Forward- fondent leurs espoirs de changement sur ces élections, souligne Thitinan Pongsudirak.
“Leurs doléances n’ont pas été entendues“, dit-il. “Elles ont été réprimées.”
Si cela devait se reproduire avec le maintien d’un régime pro-militaire, cela risquerait d’étouffer le pays au sortir de trois années extrêmement éprouvantes économiquement en raison de la pandémie de coronavirus.
“Si l’on retrouve plus ou moins le même type de gouvernement, la Thaïlande accumulera encore davantage les stigmates de sa décadence politique et de la stagnation économique“, prévient Thitinan Pongsudirak.
Lepetitjournal.com avec Reuters – 22 mars 2023
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