Les aides sociales sont-elles les mères de tous les vices ? - Élucid
« 1 800 euros tombent tous les mois sans bosser ! ». En septembre 2023, le Youtubeur Mertel déclenchait la polémique en proposant des formations en ligne à 300 euros pour permettre à ses « étudiants » de percevoir l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Un tollé en forme de pain béni pour les pourfendeurs des mânes de l’État providence français.
« Responsable » du chômage, encourageant « l’oisiveté », promouvant les mères célibataires plutôt que « la famille classique », privilégiant les chômeurs avec des « progénitures foisonnantes » au foyer classique avec deux enfants, le système des prestations sociales est très régulièrement sous le feu des critiques, comme un joker tombant de la manche au moment opportun. Mais est-il réellement plus « rentable » de demander des « aides » que d’avoir une activité salariée conventionnelle ?
Les mères isolées dans le viseur
En 2008, l’allocation parent isolé, créée en 1976, a basculé dans le champ du revenu de solidarité active (RSA). Le RSA majoré est accordé, sans condition d’âge, à un parent isolé qui assume seul la charge d’un ou de plusieurs enfants. Le principe de base est le même que celui du RSA : permettre aux allocataires de bénéficier d’un revenu minimum garanti.
Pour les parents isolés, une majoration est versée jusqu’au troisième anniversaire de l’enfant le plus jeune, ou pour une durée d’un an si tous les enfants ont plus de 3 ans au moment de la séparation. Les éventuelles autres ressources sont déduites du montant de l’allocation.
Un parent isolé avec un enfant perçoit au maximum 966,99 euros. Autant dire que sans logement social, le « bénéfice » net de « l’opération » est bien mince après le règlement du loyer… Fin 2020, 232 900 foyers touchaient le RSA majoré, dont 96 % de femmes. La moitié des bénéficiaires avaient moins de 30 ans. Si l’on prend en compte les personnes à charge, 704 600 personnes étaient couvertes par le RSA majoré, soit 1 % de la population.
Depuis cette réforme, l’administration pousse avec insistance les femmes élevant seules des enfants vers le marché du travail. « Coincées » avec des enfants très jeunes, sans les moyens de payer une assistante maternelle, ces femmes qui n’ont pas de proches pour les seconder se voient obligées d’accepter les emplois (mal rémunérés) proposés sans jamais être libérées de l’obligation d’être de « bonnes mères » – autant dire : des mères présentes et investies dans l’éducation avec la même ferveur que les mères au foyer ou les femmes des catégories sociales supérieures.
Pis, les mères isolées des couches défavorisées sont les premières à être l’objet de signalements auprès de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), même en cas d’absence de maltraitances – la pauvreté étant considérée comme une « menace » pour la progéniture.
Si la famille est une des « valeurs refuge » les plus prônées par les Français (un sondage IFOP mené en 2017 démontrait que près de 9 sur 10 considéraient la famille comme le premier lieu de solidarité et le principal amortisseur social), les couches les plus populaires sont les principales victimes d’une double précarité économique et affective au travers du délitement de la famille, présentée comme une avancée par des « élites » sociétales qui mènent bien mieux leur barque. Ce qui fait d’ailleurs dénoncer à Emmanuel Todd une des nombreuses hypocrisies de notre temps :
« Au XIXe siècle, les classes moyennes officiellement puritaines autorisaient leurs hommes à prendre des maîtresses […] aujourd’hui, des classes moyennes officiellement ouvertes à toutes les expériences sexuelles retournent en cachette à une vie familiale sécurisante. »
En d’autres termes, plus grossiers : la petite bourgeoisie intellectuelle composée de cadres prône les foyers monoparentaux, la multiplication des partenaires sexuels à usage unique et les pères absents, mais a toujours les moyens matériels et économiques de composer avec le « manque à gagner » de ces nouveaux modèles. Les plus pauvres, en revanche, ne peuvent élever dignement leurs enfants sans la solidarité familiale « classique ».
Le RSA plutôt que le SMIC ?
Fin 2021, la France comptait 1,93 million de foyers bénéficiaires du RSA selon une étude publiée par le service statistique du ministère de la Santé (Dress). En septembre 2023, le montant du RSA s’élevait à 608 euros par mois pour une personne seule sans enfant, soit 44 % du SMIC net à temps plein. Pour un couple avec deux enfants, il atteint 1276 euros.
Le niveau de vie reste, sans conteste, plus élevé au SMIC, quelle que soit la composition familiale. Entre 1990 et 2023, le pouvoir d'achat moyen des bénéficiaires du RSA, qui a succédé au RMI, a augmenté de +9 % selon les calculs de la Dress, mais le pouvoir d'achat des salariés payés au SMIC a lui progressé de +33 % sur la même période.
Le RSA permet certes d’accéder à des droits connexes, ensemble d’aides sociales secondaires attribuées au niveau national (prime de Noël, chèque énergie, complémentaire santé solidarité…) ou au niveau local par les communes, départements ou régions (gratuité de la cantine, des transports, etc.), mais la vie au RSA est loin de l’image que veulent laisser paraître les youtubeurs fraudeurs ou les influenceurs de droite tendance « faf ».
Après paiement des dépenses contraintes (loyer, assurances, abonnements), le niveau de vie mensuel est inférieur à 470 euros pour la moitié des membres des ménages bénéficiaires du RSA, contre 1 070 euros pour l'ensemble de la population. « Il reste moins de 10 euros par jour et par unité de consommation à un quart des membres des ménages bénéficiaires du RSA », conclut la Drees.
L’AAH, une aubaine ?
Selon les chiffres avancés par l’Observatoire des inégalités, la moitié des personnes handicapées a un niveau de vie inférieur à 1 512 euros par mois, soit 300 euros de moins que le niveau de vie médian des personnes valides. Ainsi, 19,5 % des adultes handicapés vivent sous le seuil de pauvreté. « Parmi les familles en difficulté économique que nous accompagnons ici, j’ai remarqué qu’un quart d’entre elles ont un membre concerné par un handicap », témoigne Pascale Desplats, la référente handicap à l’antenne du Secours populaire à Nangis (77).
Une réalité révélatrice d’un phénomène peu décrit : les proches des personnes concernées par le handicap sont obligées d’arrêter de travailler, totalement ou partiellement, afin de prendre en charge et d’accompagner un proche handicapé (enfant, conjoint ou parent). Il y a 9 millions de personnes en France qui sont « aidants », sans que l’on sache la part exacte qui travaille encore à temps plein. Cette situation découle largement d’un sous-investissement public dans les établissements et les personnels spécialisés.
Ici, la prestation de compensation permet de payer le salaire d'une aide à domicile ou d'acheter un fauteuil électrique, mais ne représente pas une source de revenus pour vivre. Les frais sont les mêmes que ceux des personnes dites « valides », auxquels il convient d’ajouter les frais liés au handicap : réparations du fauteuil électrique, aménagements de l’appartement, soins non pris en charge par la Sécurité sociale, etc.
Exonérations, crédits d'impôt : un « assistanat » jamais dénoncé
Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, zones franches, exonération de la taxe foncière, facilités comptables, niches et allégements en tous genres : au fil des décennies, les pouvoirs publics ont taillé un environnement fiscal et réglementaire sur mesure pour le patronat, sans aucune contrepartie. Preuve qu’à l’inverse, l’État-providence fonctionne très bien pour les entreprises...
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