Rachetés, non entretenus, détruits… La lente disparition des «chemins noirs»

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Près de 200.000 kilomètres de sentiers ruraux auraient disparu en 40 ans. Pour stopper cette hémorragie, un député de Haute-Vienne va déposer une proposition de loi.

Les chemins ruraux sont en danger ! Anonymes, non répertoriés sur les guides de grandes randonnées, ces «chemins noirs» mis en avant par l'écrivain Sylvain Tesson (*) dans son périple du Mercantour à la Manche, disparaissent petit à petit, sans faire de bruit, malgré leur aspect patrimonial et le rôle majeur qu’ils jouent dans le maillage des territoires ruraux isolés.

« Parmi les quelque 750 000 kilomètres de chemins ruraux que compte la France, des milliers disparaissent chaque année, alerte Charles Péot, directeur du collectif de défense des sentiers en milieu rural Codever, en s’appuyant sur le rapport du sénateur Yves Détraigne. Je reçois chaque semaine un à trois avis d'enquête d'utilité publique lancés par des communes qui veulent se séparer d'un à plus de 10 chemins ruraux d'un coup, en les vendant à des riverains agriculteurs, particuliers ou industriels ». Un mauvais calcul. « Ces chemins constituent un vrai patrimoine, favorable au développement touristique, à la randonnée pédestre, équestre ou cycliste, insiste Stéphane Delautrette, député PS de la 2e circonscription de Haute-Vienne. C'est un patrimoine à préserver. Il faut stopper leur hémorragie. Plus de 200 000 kilomètres de chemins ruraux ont disparu en France depuis 40 ans », ajoute l'élu, qui prépare une proposition de loi « visant à améliorer la protection des chemins ruraux et à conforter la propriété privée des communes ».

Alors qu’ils sont classés dans le domaine privé des communes depuis l'ordonnance du 7 janvier 1959, certains villages n’hésitent plus à se débarrasser de ces sentiers en les revendant, faute de moyens pour les entretenir. « On ne peut pas répondre à toutes les enquêtes d'utilité publique que lancent les communes avant d'aliéner les chemins ruraux tellement elles sont nombreuses, admet Charles Péot, également conseiller municipal dans le sud de l'Yonne. On se concentre sur les plus importantes. C'est un travail de fourmis. Avant d'émettre un avis défavorable, notre association tient à vérifier au cas par cas l'utilité de ces chemins ».
«Certains barrent le passage par une clôture électrique, un tronc d'arbre»

Exemple dans le Loiret, où la mairie de Coulon, près de Gien, a récemment lancé une enquête d'utilité publique pour la vente de 13 chemins ruraux. « Pour certains chemins nous avons émis un avis favorable car il s'agissait de petits tronçons en cul-de-sac sans utilité, affirme Charles Péot. En revanche pour certains chemins qui sont en bon état, visiblement utilisés par le public, nous avons émis un avis défavorable. En effet, une commune ne peut céder des chemins ruraux que si ceux-ci ne sont plus utilisés par le public. Cette désaffectation doit résulter d'un manque d'intérêt du public, et non d'un empêchement causé par des obstacles entravant volontairement la circulation. On voit dans certains cas que des bouts de chemins en question ont été accaparés par des riverains, voire carrément incorporés dans l'emprise de sites industriels ! Le maire peut faire usage de ses pouvoirs de police pour faire lever les entraves à la circulation ».

L'autre raison de la disparition de ces chemins ruraux est leur accaparement illégal par les riverains. « Les riverains bien informés de leurs droits se les approprient progressivement en barrant leur passage par une clôture électrique, un tronc d'arbre ou en laissant les brousses pousser, raconte Jacky Boucaret, membre de l'association vie et paysages, animateur du collectif national des Chemins en danger. Dans ces conditions, les randonneurs les désertent petit à petit et au bout de trente ans, ils ne sont plus empruntés. Ces riverains peuvent faire jouer en justice leur droit de prescription trentenaire. Ils deviennent alors propriétaire de fait. Les communes aux ressources budgétaires limitées n'auront plus à s'occuper de ces espaces et se taisent la plupart du temps ».

C'est le cas dans le Tarn, où un agriculteur est devenu propriétaire cet été d'un bout de chemin rural qui passait dans ses parcelles, à proximité de ses bâtiments. Ce contournement avait pourtant été justement aménagé par la commune de Larroque pour éviter aux randonneurs de passer trop près de ses bâtiments. « Il a pu convaincre la justice, qui visiblement n'a pas lu notre dossier circonstancié, qu'il entretenait depuis plus de 30 ans ce chemin alors que c'est totalement inexact, déplore incrédule Daniel Fleckinger, habitant le hameau des Abriols. Trois chemins convergeaient à cet endroit et se terminent en cul-de-sac désormais. La mairie ne nous a malheureusement pas suivis dans notre action judiciaire de tierce opposition car elle avait perdu en première instance. Nous allons sans doute aller en appel à Toulouse ».

« Avec le temps, beaucoup de chemins ont été privatisés, parfois de manière illégale, et ont disparu, confirme Stéphane Delautrette. Nous voulons garantir aux communes la propriété de ces sentiers ruraux Cette PPL, qui sera déposée dans les semaines à venir, interdira aux riverains de pouvoir désaffecter eux-mêmes ces sentiers pour en obtenir la vente, à leurs profits. »

Parfois, la mobilisation des associations et des élus contre la disparition des chemins ruraux paye. « En 2021, la commune de Châtillon en Bazois dans la Nièvre, a renoncé à son projet de vente d'une dizaine de chemins ruraux à un grand propriétaire forestier, se souvient Benoist Grangier. Certains étaient inscrits au plan départemental des itinéraires de promenades et de randonnées, donc inaliénables, d'autres étaient mitoyens avec des communes qui n'avaient pas été prévenues. Face au risque de perdre en justice, le projet a été retiré ».
Patrimoine rural

« Au 19ème siècle, les chemins étaient inaliénables et faisaient partie intégrante du patrimoine rural, rappelle Benoist Grangier. Ils ont été façonnés par nos aînés, ces chemins étaient issus des droits d'usage d'avant la révolution, ils ont une histoire et on ne peut en faire table rase ». « Ces chemins ont commencé à gêner avec l'apparition de la mécanisation agricole après-guerre, ajoute Jacky Boucaret. Le remembrement en a détruit plus de 250 000 kilomètres ». Pourtant, ces sentiers ont, encore aujourd’hui, toute leur utilité. « Ils servent de corridors de transit pour la faune, des points d'accès aux pompiers pour les incendies ainsi que de pare-feu entre deux parcelles, énumère Benoist Grangier. Ils ont un usage multiple de circulation qu'ils n'avaient pas à leur origine, où ces loisirs n'existaient pas. Ils sont empruntés par des randonneurs, des joggeurs, des chasseurs, des vététistes ainsi que des motards ou conducteurs de quad. Ils doivent être empruntés au maximum pour ne pas disparaître. Il faudrait les remettre dans le tableau des voiries communales, car ils seraient inaliénables ».

Pour ce faire, encore faudrait-il gagner la confiance des riverains, agriculteurs ou particuliers. « 81% des projets d'aliénation des chemins ruraux sont faits par des gens qui souhaitent acheter leur tranquillité , complète le responsable de Tous en Chemin rural. Au maire d'agir pour faire respecter le code rural et demander à la police de l'environnement d'agir pour retirer les entraves ou faire tailler les haies des riverains ».
«S'ils n'ont plus d'utilité, c'est normal qu'ils soient rachetés»

La Safer est également sensibilisée sur ce point. « Je défends les chemins ruraux là où ils ont une utilité comme la desserte d'un bois, d'une pâture ou la continuité d'un itinéraire de randonnée existant permettant de faire une boucle, assure Emmanuel Hyest, président de la FnSafer, également maire rural et agriculteur normand. S'ils n'ont plus d'utilité et ne sont plus entretenus, c'est normal qu'ils soient rachetés par les riverains, particuliers ou agriculteurs. Il faut raisonner au coup par coup. »

Pour mettre en relation tous les usagers des sentiers ruraux, les 30es Journées annuelles des Chemins se dérouleront du 2 au 17 mars 2024 dans toute la France. « Cette opération consiste en des chantiers de réouverture et d'entretien des chemins ruraux, ou de nettoyage de chemins souillés par des dépôts d'ordures sauvages par exemple, commente Charles Péot. Depuis 1994, plusieurs centaines de communes rurales ont accueil un chantier avec le soutien de leur maire. Ces journées permettent également aux adeptes des différentes activités (marche, VTT, cheval, moto, quad, 4x4, chasse, etc.) de se rencontrer et de tisser des liens favorisant une meilleure cohabitation. En 2023, plus de 600 bénévoles ont permis de ramasser une tonne et demie de déchets collectés, dont une épave de caravane, des lave-linge, des pneus… et rouvrir 64, 425 km de chemins ».

(*) Les chemins noirs, Sylvain Tesson, GALLIMARD.

https://www.lefigaro.fr/actualite-france/rachetes-non-entretenus-detruits-la-lente-disparition-des-chemins-noirs-20231112

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