ILS EN SONT REVENUS ENCHANTÉS

C'était quand j'étais au CE1. Un soir, autour de la table familiale, Papa me proposa de m'inscrire en colonies pour les grandes vacances, genre :
« Tu peux y aller une fois voir si ça t'plaît. Pis si ça t'plaît pas, on t'obligera pas à y retourner.
- Vous m'aviez dit la même chose pour l'école et vous m'obligez à y retourner tout l'temps »

répondis-je en éclatant en sanglots.
Maman répliqua :
« On t'avait jamais dit ça. C'est un malentendu. L'école est obligatoire pour tous les enfants. On t'a jamais fait croire le contraire.
- Si, Nani m'avait dit : "l'école maternelle, c'est pas obligatoire. Tu verras si ça t'plaît. Si ça t'plaît pas, tu s'ras pas obligée d'y r'tourner".
- Ben oui, j'croyais qu'l'école maternelle était pas obligatoire,
se défendit Nani. C'est c'que j'avais dit à Doudoune. »
Maman rectifia :
« Nan. L'école maternelle n'est pas obligatoire, c'est vrai, et c'est pour ça qu'on avait préféré qu'vous la fréquentiez un an ou deux avant votre entrée à la grande école, afin que vous puissiez vous y adapter dans une ambiance plus détendue. Mais une fois qu'on y est, faut y rester.
- Alors, c'est d'ma faute. C'est moi qu'avais pas compris et qu'ai induit Doudoune en erreur,
se lamenta Nani.
- Oh non, Miron ! c'est pas d'ta faute, s'exclama maman. T'avais drôlement bien préparé ta p'tite sœur pour qu'èe s'plaise à l'école. Elle aurait dû s'y plaire… si elle était pas tombée sur une maîtresse aussi méchante. C'est cette idiote qu'a tout gâché.
- Ben alors, quand vous avez vu qu'elle avait pas une bonne maîtresse, ç'aurait pas été possible de lui faire sauter la maternelle et d'attendre l'année d'après pour la mettre directement à la grande école ?
insista timidement Nani.
- Roh, non ! c'est pas évident. Si on l'avait retirée de l'école dès qu'ça allait pas, ça l'aurait conditionnée à l'échec.
- Quel échec ?
protestai-je. Tous les matins, quand j'me r'trouve à devoir aller à l'école, c'est un échec et tout le monde s'en fiche. Tous les pas que j'fais sur l'chemin de l'école, c'est : échec - échec - échec - échec… Mais faudrait surtout pas que j'réussisse à vous faire comprendre qu'j'ai rien à faire à l'école parce que ça risquerait d'être un échec ?! Pour qui ?
- Mais qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ?! C'est pas nous qui t'obligeons à aller à l'école, c'est l'éducation nationale. Moi non plus, quand j'étais p'tite, j'aimais pas l'école. Moi, ma vocation, c'est d'élever mes enfants ; c'est pas l'école qui m'l'a appris. J'ai quand même été obligée d'y aller et maintenant, chuis encore obligée d'revivre ça au travers de mes propres enfants en les poussant à aller à l'école à leur tour. Tu crois qu'ça m'fait plaisir ? Tu vois : j'te mens pas, j'te raconte pas d'histoires, j'te dis les choses telles qu'èes sont. Si j'pouvais t'garder à la maison, j'le f'rais. Chuis pas d'ces mères qui collent leurs enfants en collectivité pour s'débarrasser d'eux. T'es chez toi, ici. Si tu veux pas aller en colonies, t'iras pas. Personne te forcera. »

À ce moment-là, Papa sortit de son silence et parla à son tour :
« Au bureau, mes collègues m'ont pas mal vanté les mérites des colonies de vacances du comité du Crédit Lyonnais. Leurs enfants y sont allés, ys sont tous revenus enchantés et réclament à y retourner. C'est pour ça qu'j'me suis dit qu'ça pourrait t'plaire à toi aussi.
- Et leurs enfants, quand ys vont à l'école, ys en r'viennent enchantés et réclament à y retourner ?
- Justement, non. »

me répondit Papa en secouant la tête d'un air entendu, signe que c'était précisément ce qu'il voulait dire.
« Alors, reprit-il, si tu veux bien y aller une fois voir c'que ça donne, tu s'ras libre de pas y retourner par la suite, si tu veux pas ; par contre, là, j'te préviens qu'tu s'ras obligée d'y rester jour et nuit jusqu'à la fin d'la session. Les colonies de vacances, ça coûte cher. J'vais pas donner un chèque au comité du Crédit Lyonnais pour te voir passer l'mois d'juillet dans ta chambre. Quand on s'engage à quelque chose, faut s'y tenir jusqu'au bout. »
Là, Caki et Nani dirent ensemble que ça devait être bien, les colonies, pour les enfants, qu'on devait drôlement bien s'y amuser. Eux-même n'y étaient jamais allés parce qu'ils étaient nés dans les années 50 et que ça se faisait moins, en ce temps-là. À leur époque, les vacances, ça se passait traditionnellement en famille. La généralisation des colonies de vacances était liée au mouvement féministe qui poussait les femmes à quitter leurs maisons et prendre un travail ; ce qui était contemporain de mon enfance.
Bref, Caki et Nani ne connaissaient pas les colonies de vacances mais ils supposaient que ça devait être drôlement plus chouette que l'école, qu'on devait bien s'y amuser, dans une bonne ambiance, que je pourrais sûrement m'y faire des copines plus facilement qu'à l'école…
Nani, ne voulant pas, toutefois, que je fusse déçue et me sentisse trahie, s'évertua à peser honnêtement le pour et le contre.
« Par contre, c'est mixte, les colonies de vacances, souligna-t-elle. Y a des garçons. Moi, quand j'étais petite, j'chais pas si j'aurais voulu y aller, en colonies, à cause des garçons. J'aurais eu peur qu'ys m'embêtent.
- J'ch'rai avec des garçons ?!
- Ben… y en aura… mais tu s'ras pas forcément avec eux.
- J'veux aller en colonie de vacances !!! »

Dès lors que le comité du Crédit Lyonnais eut confirmé à Papa que j'étais inscrite pour la session de juillet à la colonie de vacances de Champlitte, Nani m'en reparla souvent, pour m'y préparer psychologiquement, avant de dormir, les soirs où je couchais dans sa chambre.
Allais-je réussir à me faire une copine en un mois de colonies, alors que je n'y étais jamais parvenue en trois ans d'école ? La solitude me faisait tant souffrir à chaque instant passé à l'école !
Et puis, un soir, avant de dormir, Nani me reparla de mon amoureux de maternelle.
« Tu penses encore à lui, des fois ? La ville de Courbevoie a pour projet de mettre la mixité dans les écoles à partir de la sixième. Ça t'laisse pus beaucoup d'années à attendre pour être avec les garçons, puisque c'est c'que tu souhaites. Peut-être que tu retrouveras Camille, en sixième. Seulement, il aura sans doute changé. Tu sais, après tant d'années, c'est rare de s'retrouver comme avant. Faut pas qu'tu t'fasses de faux espoirs pis qu'tu sois déçue. Il était petit, en maternelle. Peut-être qu'y t'a oubliée. Peut-être pas mais…
- Je sais qu'y m'a oubliée. J'l'avais vu dans ses yeux le jour où j'l'avais croisé sur les marches de la poste. Il avait pas oublié qui chuis, y m'a r'connue mais j'ai vu qu'ça r'présentait pus rien dans son cœur.
- Ben tu vois. Alors, de ton côté, faut pas qu'tu restes trop attachée à lui.
- D'façon, lui aussi, j'sens qu'il est parti d'mon cœur, surtout depuis qu'j'ai vu qu'c'est pas d'lui dont j'rêve.
- Oui, c'est bien de faire des beaux rêves d'amour mais après, c'est dans la réalité qu'il faut chercher à concrétiser ses rêves. »

C'est ainsi que Nani en arriva là où elle voulait en venir depuis le début :
« P'têt que tu vas avoir un amoureux, en colonies. »


SEX AND DESTROY un nouveau son rock ?
2ème partie : LA PRINCESSE DANS LE DONJON
Chapitre 12 : C'est mes potes
section 17 sur 20


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