« De Sadia Sheikh à Mila, en passant par toi, mon ancienne étudiante aujourd’hui mariée de force »
Où étions-nous, qu’avons-nous fait, ou que n’avons-nous pas fait, collectivement ?
lundi 21 juin 2021, par siawi3
« De Sadia Sheikh à Mila, en passant par toi, mon ancienne étudiante aujourd’hui mariée de force »
L’œil de Marianneke
Par Nadia Geerts
Publié le 21/06/2021 à 7:00
Pendant que des activistes du féminisme intersectionnel battent le pavé, de vraies victimes se taisent et subissent en silence pressions et violences. Leur liste ne cesse de s’allonger. Elle va de Sadia Sheikh, jeune Belge d’origine pakistanaise mariée religieusement par Internet et assassinée, jusqu’à Mila, cyberharcelée, menacée et contrainte à une existence recluse.
Tu étais étudiante, musulmane, intelligente, belle et libre, me dit-on. Mais tu as eu un flirt avec un étudiant, et ça n’a pas eu l’heur de plaire à d’autres étudiantes, qu’on me dépeint comme « radicalisées » : celles-ci ont prévenu ton frère, qui est venu te chercher à la sortie de l’école et, dans une cave, ils s’y sont mis à trois pour te passer à tabac. Ensuite ? On t’a mariée bien sûr, et désormais tu portes les vêtements religieux qui signifient à tous, ta respectabilité de bonne musulmane pieuse. Fin de l’histoire.
Je n’ai rien su de ces événements, qui datent de plusieurs années, jusqu’à aujourd’hui. J’étais pourtant une de tes enseignantes, et il paraît que tu m’appréciais pour le combat laïque que je portais. Pourquoi, dès lors, n’es-tu pas venue me parler ? Pourquoi, plus largement, personne n’a-t-il probablement rien su de ce que tu subissais, du fait d’étudiants que nous formions, et que nous avons diplômés ?
Où étions-nous, qu’avons-nous fait, ou que n’avons-nous pas fait, collectivement, pour que tu sois contrainte de porter seule le poids de cette horreur ? N’est-il pas de notre responsabilité collective, en tant qu’institution d’enseignement, de mettre tout en œuvre pour que des étudiants qui seraient victimes de ce type d’agissements sachent qu’ils peuvent se tourner vers nous, adultes de référence, et qu’ils seront entendus, aiguillés, soutenus et défendus ? Et surtout : comment vas-tu, maintenant ? Es-tu au moins un peu heureuse et épanouie ?
« Comment se fait-il, alors, que leur parole soit moins audible, leur défense moins ardente, leur protection moins assurée que celle de ces victimes en carton-pâte qui se lancent aujourd’hui dans une indécente concurrence victimaire ? »
Ces questions me hantent, comme le symptôme d’une maladie profonde qui ronge notre société. Bien sûr, des choses se font. Mais le constat n’en reste pas moins là, implacable et glaçant : pendant que des activistes du féminisme intersectionnel et du respect de la diversité battent le pavé en dénonçant la stigmatisation et les discriminations qu’ils subissent du fait de nos réglementations « liberticides », de vraies victimes se taisent et subissent en silence les pressions et les violences. Ces victimes sont là, parmi nous. Nous les côtoyons, nous les formons, nous travaillons, rions, mangeons avec elles. Elles donnent le change, et nous pouvons croire que tout va bien. Jusqu’au jour où…
Victimes anonymes
Depuis une vingtaine d’années, la liste de ces victimes ne cesse de s’allonger. Elle va de Sadia Sheikh, cette jeune Belge d’origine pakistanaise mariée religieusement par Internet à un Pakistanais et assassinée par sa famille en 2007, parce qu’elle avait un amoureux belge, jusqu’à Mila, cyberharcelée, menacée et contrainte à une existence recluse, qui affirme aujourd’hui, à 18 ans : « Je vais forcément pas rester en vie et je vous dis ça dans le plus grand des calmes ».
???? « Je vais forcément ne pas rester en vie. »
Depuis le début du procès, il y a 10 jours, de ceux qui la menacent de mort pour avoir crûment critiqué l’islam, #Mila est à nouveau harcelée.
Elle témoigne en exclusivité face à @audrey_crespo.
???? Ce soir, dès 18 h 20 sur @TF1. pic.twitter.com/Y0vKNDqAYt
— Sept à Huit (@7a8) June 13, 2021]]>
Mais derrière Sadia, derrière Mila, derrière cette étudiante, ils et (surtout) elles sont sans doute des milliers d’anonymes victimes de traditions étouffantes : mariages forcés, violences intrafamiliales, crimes d’honneur, attentats et agressions visant à pénétrer notre subconscient du relativisme culturel et du délit de blasphème, … Pourtant, ces victimes ont le droit pour elles. Notre arsenal législatif garantit la liberté de conscience, la liberté d’expression, le droit à l’intégrité physique, la protection de l’État contre les mariages forcés.
Comment se fait-il, alors, que leur parole soit moins audible, leur défense moins ardente, leur protection moins assurée que celle de ces victimes en carton-pâte qui se lancent aujourd’hui dans une indécente concurrence victimaire ? La protection des libertés individuelles contre des traditions qui enferment devrait être une priorité de nos États démocratiques. Pas seulement dans les textes, mais aussi et surtout sur le terrain.
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