Les contre-vérités de Mélenchon sur de Gaulle et l’Amérique
Dimanche, sur France 5 (« C’est dans l’air »), Jean-Luc Mélenchon présentait son projet présidentiel en matière de politique étrangère : faire de la France le leader des pays non alignés. Pour le justifier historiquement, il s’est référé aux choix diplomatiques et militaires du général de Gaulle, particulièrement concernant la force de frappe nucléaire.
Le fondateur de la V République, a-t-il expliqué, entendait que la France se dote de l’arme atomique pour pouvoir l’utiliser « tous azimuts », autrement dit aussi bien contre l’URSS que contre les Etats-Unis. Jean-Luc Mélenchon avançait déjà cet argument durant sa précédente campagne présidentielle. Dans son livre d’entretien « le Choix de l’insoumission » (Seuil), publié en 2016, il affirmait : « De Gaulle [déclarait] que la dissuasion atomique était “tous azimuts”, ce qui à l’époque de la guerre froide, avec les deux blocs, paraissait une pure folie. Comment pouvait-on être prêts à frapper “tous azimuts” ? Est-ce qu’on mettait sur le même plan les USA, l’URSS ? C’est bien pourtant ce qu’a fait de Gaulle. » Or rien n’est plus faux. Les archives de Michel Debré, son premier Premier ministre et celles de la présidence de la République le prouvent clairement.
« Où que ce soit sur la Terre »
Certes, le 3 novembre 1959, devant les élèves de l’Ecole militaire, un an avant l’explosion de la première bombe française dans le Sahara, de Gaulle déclare : « Il faut que notre force [de frappe] soit faite pour agir où que ce soit sur la Terre. » Mais, comme souvent avec le Général, cette déclaration publique n’est qu’un idéal théorique, voire une posture. En pratique, ses ordres à ses subordonnés sont tout autres.
Voici comment dans une note secrète à Michel Debré, également de novembre 1959, le Général livre la raison pour laquelle il lui semble urgent de doter la France de bombes atomiques : pour entraîner des Etats-Unis, réticents à frapper une Armée rouge en marche vers l’Ouest – seul moyen à ses yeux d’éviter une victoire de Moscou. De Gaulle écrit :
« Ne pas être abandonné par les Etats-Unis si l’URSS menace des intérêts qui ne sont vitaux que pour un pays occidental sans l’être pour l’Amérique : c’est à cette préoccupation que répond essentiellement la fabrication d’armes atomiques par la Grande Bretagne et la France. »
Il précise sa pensée quatre ans plus tard, alors que la France a procédé à ses premiers essais atomiques. Le 3 mai 1963, il rédige une missive top secrète aux « quatre autorités » (le Premier ministre, les ministres des Affaires étrangères et des Armées, le chef d’Etat-major et le secrétaire général de la Défense nationale). Il y précise sa stratégie nucléaire. Et ne désigne qu’une seule cible : l’Union soviétique. Le but d’une frappe française, selon lui : pousser les Etats-Unis à frapper elle aussi une URSS agressive.
« Nous devrons employer notre propre force stratégique avec la Russie comme objectif, dès lors que la France serait attaquée,
écrit le Général. Cette action pourrait éventuellement entraîner celle des Etats-Unis de continent à continent et les amener, par conséquent, à mettre en œuvre, avant qu’il ne soit trop tard pour nous, le seul moyen réellement efficace de défense de l’Europe occidentale. »
Enfin, le 27 janvier 1968, le général de Gaulle déclare à l’École militaire : « Notre stratégie doit être tous azimuts. » Mais neuf mois plus tard, le 23 septembre 1968, dans le secret de son bureau, il indique à l’ambassadeur des Etats-Unis en France, Sargent Shriver, sa véritable stratégie : « La France n’entend pas engager une action nucléaire si les Etats-Unis ne le font pas. Cela serait sa condamnation à mort. La France ne peut être seule contre la Russie. »
Ainsi, en réalité, lorsqu’il s’agissait d’armes atomiques, le fondateur de la V République avait en tête la menace soviétique et la meilleure façon d’y répondre – et rien d’autre. Le reste n’est que tentative de récupération politicienne.
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