Les premiers films de Jim Jarmusch sur Arte.tv : de New York au Far West, l’errance improvisée d’un réalisateur inspiré
La plate-forme propose cinq longs-métrages d’un des artistes les plus singuliers du cinéma américain contemporain.
Publié le 09 août 2023 à 14h00
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ARTE.TV – À LA DEMANDE – FILMS
D’une errance l’autre, du vagabondage d’Allie, dans les rues d’un New York en ruine, au voyage initiatique d’un comptable de Cleveland, dans un Ouest peuplé de visions mystiques, la première moitié de l’œuvre de Jim Jarmusch, de Permanent Vacation (1980), son film de fin d’études, à Dead Man (1995), son « western psychédélique » selon ses mots, déploie sa mystérieuse géographie sur Arte.tv. Autant prévenir tout de suite, manque Stranger Than Paradise, son deuxième long-métrage, le premier à être distribué en France, qui valut à l’auteur la Caméra d’or à Cannes, en 1984.
Lire la critique de la rétrospective (en 2019) : Jim Jarmusch, une errance américaine
On s’en passera, car les cinq films disponibles dessinent un paysage cinématographique immédiatement reconnaissable et pourtant presque insaisissable : comment tracer une ligne allant des bayous de Louisiane* Down by Law aux rues enneigées d’Helsinki Night on Earth. Les émotions, les sensations, obéissent à la même fluidité. Ce serait une erreur de réduire l’humeur de Jim Jarmusch à une drôlerie idiosyncrasique, teintée de mélancolie. Elle est bien là, elle n’est que l’une des caractéristiques du cinéma de l’auteur de Broken Flowers (2005), qui embrasse aussi bien l’instinct de mort que la passion amoureuse, l’amitié que la solitude.
Dès Permanent Vacation, Allie, le jeune homme qui arpente sans but les rues du sud de Manhattan, se souvient de ses origines juives et du mystère qui a fait que les siens se trouvèrent du bon côté de l’Atlantique. Premier film bricolé, tourné dans une ville que tout le monde croyait alors promise au désastre, avec ses entrepôts désaffectés et ses terrains vagues où la nature reprenait le dessus, Permanent Vacation fait surgir un vétéran du Vietnam, une femme internée dans un hôpital psychiatrique, qui infléchissent la course du personnage central indéchiffrable.
Improvisation autour d’un thème
Jim Jarmusch n’est pas le plus prolifique des cinéastes. En quarante-trois ans, il a réalisé treize longs-métrages de fiction (dont trois films à sketchs) et un documentaire ( Gimme Danger, en 2016, qui raconte l’histoire d’Iggy Pop and The Stooges). Pourtant, s’il est un trait commun à chacun de ses films, c’est cette impression de spontanéité, d’improvisation autour d’un thème très fort, qui les fait souvent ressembler à un standard de jazz interprété par un musicien d’exception.
Lire le portrait (en 2014) : Jim Jarmusch, la mélodie du cinéma
D’ailleurs, ses films à sketchs sont comme de petits concerts, avec leurs variations et leurs motifs récurrents. Sur Arte.tv, on peut voir Mystery Train (1989) et Night on Earth (1991). Le premier amène jusqu’à Memphis, Tennessee, un couple de touristes japonais, une veuve italienne et un perdant britannique pas magnifique pour un sou, incarné par Joe Strummer. Le second parcourt la planète en taxi, de Los Angeles à Helsinki, en passant par New York, Rome et Paris. Les taxis sont conduits par Winona Ryder, Armin Mueller-Stahl et Giancarlo Esposito, Isaach de Bankolé, Roberto Benigni (qui avait déjà tourné sous la direction de Jarmusch dans Down by Law) et Matti Pellonpää, acteur d’élection d’Aki Kaurismäki.
Plus légère que Mystery Train, cette compilation s’apparente à la fantaisie de Down by Law (1986), qui précipite un trio composé du musicien John Lurie − figure majeure de la scène new-yorkaise −, de Tom Waits et de Roberto Benigni (à l’endroit duquel Jarmusch fait preuve d’une inexplicable indulgence) sur les traces des héros des films pénitentiaires de l’âge d’or des studios, Je suis un évadé (Mervyn LeRoy, 1932) ou Les Voyages de Sullivan (Preston Sturges, 1941).
Un poème épique
Reste Dead Man, qui s’ouvre sur une épigraphe d’Henri Michaux − « Il est toujours préférable de ne pas voyager avec un mort » −, commence par un voyage infernal que fait en train un jeune comptable de Cleveland (Ohio), nommé William Blake, comme le poète mystique anglais, à travers un Ouest jonché des ossements laissés derrière eux par les pionniers. Johnny Depp prête à ce personnage de pèlerin involontaire sa physionomie alors angélique. Bientôt le comptable se mue en fugitif, puis en hors-la-loi redoutable, accompagné à chaque pas par un formidable personnage dont le nom est Personne, intellectuel amérindien incarné par Gary Farmer.
Dans ces paysages où se sont façonnés l’histoire des Etats-Unis et sa mythologie, l’extermination des Premières Nations et le western, Jarmusch déroule un poème épique accompagné par la formidable partition électrique et funèbre que #Neil_Young a improvisée à la guitare.
Lire la sélection (en 2014) : La musique envoûtante des films de Jim Jarmusch
Le cinéaste entretient avec la musique un rapport intime qui lui est propre. Il n’est pas le roi du needle drop, ces moments que l’on sublime grâce à l’irruption d’un monument du répertoire pop ou classique, dont #Martin_Scorsese est le maître incontesté. Jarmusch fait naître une dialectique entre la dramaturgie et la musique, qu’elle soit originale (la bande originale de #Tom_Waits pour Night on Earth) ou empruntée (le jazz éthiopien de #Mulatu_Astatke dans Broken Flowers), jouant des contrastes entre les tonalités ou les époques. Il le fait, comme tout le reste de son cinéma, avec une modestie, une absence délibérée de virtuosité, qui masquent parfois sa véritable stature.
Cycle Jim Jarmusch avec cinq longs-métrages : Permanent Vacation (1980), Down by Law (1986), Mystery Train (1989), Night on Earth (1991), Dead Man (1995). Disponibles à la demande sur Arte.tv jusqu’au 31 décembre.
Thomas Sotinel