Le petit pangolin occupe le centre même de la vie rituelle lele, en tant, que monstre taxinomique. Cette fois il n’y a aucune hésitation sur son statut : nous sommes bien en présence de l’animal-esprit par excellence (...) Pourquoi ? Le petit pangolin transcende toutes les catégories. « Dans nos forêts, disent les Lele, il y a un animal qui a le corps et la queue d’un poisson, couvert d’écaillés. Il a quatre pattes, et il grimpe dans les arbres ». Le pangolin se trouve donc associé à l’eau, principe de fertilité (...). Mais sa puissance symbolique est infiniment plus grande, car ce mammifère-poisson est un habitant des arbres comme les oiseaux. En outre il présente un caractère humain remarquable : il ne met au monde qu’un petit à la fois, contrairement aux autres espèces animales. Le petit pangolin est un véritable résumé de l’univers. Il cumule les propriétés des créatures aquatiques, célestes et terrestres. Monopare, il est aussi le représentant symbolique de la reproduction humaine bien tempérée dans un univers où la fécondité est innombrable, démesurée. Il est l’opérateur logique (ou plutôt dialectique) de la communication religieuse. Par sa médiation, le village et la forêt, les hommes et les esprits entrent en relation de manière privilégiée. (...)
Il existe un écart maximal entre le léopard (...) et le petit pangolin, le plus important des animaux-esprits. Le premier est un sorcier, le second est l’ami de l’homme, et même son représentant métaphorique au sein du monde animal. Il est appelé « chef » parce qu’il favorise la fécondité des femmes. Il est le seul animal sensible à la honte; ne baisse-t-il pas la tête comme un homme qui évite de regarder sa belle-mère ? S’il se laisse capturer par les chasseurs, c’est parce qu’il le veut bien. Les Lele estiment qu’il vient s’offrir de sa propre initiative : il se laisse tomber des arbres et au lieu de s’enfuir, il s’enroule sur lui-même, immobile. Le chasseur n’a qu’à attendre qu’il se déroule et sorte la tête pour le tuer. C’est bien en termes de sacrifice qu’il faut interpréter la mort et la consommation alimentaire de cet animal. Un sacrifice quelque peu sacrilège. Car c’est le représentant même, quasi humain, des esprits qui est dépecé. Les Lele éprouvent une certaine honte à manger ce « chef ». Le rituel est conduit par les membres de l’association cultuelle des hommes-pangolins qui ont prouvé leur fécondité en mettant au monde un garçon et une fille (...). Ils ont seuls le droit de Consommer la chair de l’animal dont le rôtissage s’effectue en secret. Les parties non comestibles (les écailles et les os) sont livrées aux chiens. La langue, le cou, la côte et l’estomac sont enterrés sous un palmier dont le vin sera réservé ultérieurement aux membres de la société des « géniteurs ».(...)
Il serait faux de prétendre que la consommation (?) accidentelle et quasi sacrilège du pangolin occupe chez les Lele la place, ici vacante, du sacrifice des animaux domestiques, pratiqué par la majorité des sociétés bantoues, éleveurs de chèvres ou de bœufs. La victime volontaire de ce sacrifice particulier est un représentant des esprits de la nature. À ce titre, le petit pangolin est dans le système symbolique lele l’équivalent rigoureux du roi sacré kuba, régulateur de l’ordre cosmique comme de l’ordre social. L’association du pangolin et de la royauté traverse toute l’Afrique bantoue car on la retrouve chez les Lovedu du Transvaal : la graisse de cet animal, capturé vivant, entre dans la composition de la médecine de pluie mise en œuvre par la reine.
Le fait que les Lele associent le petit pangolin à la fécondité générale en le saluant du titre de « chef », lui conférant la puissance même que leurs voisins kuba attribuent au seul souverain, suggère que cette créature, décidément étrange, est susceptible de nous frayer un passage vers la plus singulière des institutions sacrificielles : la mise à mort rituelle des rois.
https://journals.openedition.org/span/541
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