Le croûton au fromage, arme fatale...
Tout a commencé par un retour au cabanon, où à ma dernière visite j'avais laissé sans réfléchir un paquet de galettes, neuf, sur une étagère ; au milieu de quelques provisions "au cas où", deux ou trois conserves, une savonnette, des bougies, du café... enfin, des choses qu'on entrepose et qui peuvent dépanner, parce qu'on aura oublié de monter ceci ou cela.
L'étagère en question ressemblait au sol d'une fête foraine recouverte de confettis. Ah ! L’œuvre d'une souris, à coup sûr. Paquet de galettes largement grignoté, emballage blanc réduit à des fragments évanescents s'envolant au moindre souffle... Et même le couvercle de plastique d'un bocal de cornichons. Et même l'angle d'un carton de lait végétal à l'amande. Et même un coin de la savonnette. N'importe quoi.
Il y avait donc une souris dans la place. Un mini castor. Une petite machine à ronger, à faire des miettes et aussi des crottes, l'étagère étant parsemée de minuscules perles couleur réglisse.
La première nuit, alors que je me laissais glisser vers un bon sommeil —ici, sans électricité, on se couche comme les poules et on se réveille avec le coq— me voilà distraite par un petit bruit lancinant. Creutch creutch creutch... creutch creutch creutch...
Aucun doute. J'allume ma frontale, je me lève et je descend à grand bruit sur l'escalier en bois qui couine.
Comme cette fois j'avais mis à l'abri tout ce qui était comestible, je trouve une bougie sur la table, entamée par des quenottes. Je râle. Ma voix a du l'effrayer, car je vois une ombre se faufiler derrière un placard bas. Je tape un peu sur le meuble, et ma souris jaillit, cours, et va se percher sur des montants de bois que j'avais déposés là, en attendant de les bricoler. À deux mètres vingt de hauteur, donc, me surplombant.
— Tu ne m'auras pas, nananèreu... (moustaches tremblotantes, museau me humant).
— Possible, mais faut être un peu naze pour bouffer de la bougie, sérieux.
— Tu n'avais qu'à me laisser le reste des galettes, vieille radine !
— Je suis pas radine, j'ai mis des graines de tournesol dehors pour les oiseaux ; t'as qu'à aller dehors.
— Non non non... (patte sur le museau), j'ai envie de t'enquiquiner...
C'était clair. Cette nuit-là, je l'ai faite fuir et aller se planquer je ne sais où, mais les nuits suivantes ce fut le même scénario : creutch creutch creutch en pleine nuit, descente par l'escalier au risque de me vautrer, et en bas : plus personne. Nouvelle montée vers le plumard, glissement vers le sommeil, et soudain : creutch creutch creutch.
Tout y passait, hein, le manche en bois de la spatule, le bord du couvercle de la poubelle, la plaquette d'aspirine... J'avais beau laisser des miettes de pain dehors, nan ! Le plaisir de couper mon sommeil.
Sans compter les crottes, un vrai chemin balisé.
Jusqu'à ce que je m'équipe.
Non, pas d'une tapette à souris, quelle horreur. De quel droit ? Alors quoi, le matin je m'émerveille devant la splendeur de la nature, des abeilles, de la brise qui passe, et la nuit j'estramasse une petite créature ? Non non. Mais un petit piège avec une trappe. Une petite cage grillagée où il faut mettre un appât au fond, avec un mécanisme sensible. Un truc non violent, quoi, on n'est pas tous des irréductibles.
Le premier soir, rien.
Ce fut le deuxième soir. Tout d'un coup en pleine nuit, un ramdam métallique, comme si on secouait un godet de dés. Je descends, et qui je trouve dans le piège ? La souris, bien sûr. De près, elle était encore plus belle, la gourmande. Une belle robe caramel, un museau rose, des pattes délicates, de grands yeux noirs comme des billes...
Et elle était affolée... Bêtement, je n'y avais pas pensé. J'imaginais la trouver un matin, en descendant faire mon café, tranquillement installée dans le piège et m'attendant en se limant les ongles. Eh bien non, elle était complètement affolée de se trouver coincée là, et je pouvais sentir sa frayeur.
Et j'étais incapable de la laisser dans cet état. Il arrive que certaines petites bestioles fassent des arrêts cardiaques, figurez-vous.
Alors me voilà à une heure et demie de la nuit, en short de coton Hello Kitty (no comments, c'était un cadeau) et en sandales, avec la frontale sur la tête et la cage à souris (+ souris inside) à la main, descendant le chemin du bas... jusqu'au gué, quelques centaines de mètres plus loin. Près de ce gué, il y a des vergers de cerisiers, plein de caches possibles, et plus loin encore des cabanes, que sais-je... sûrement plein d'endroits à explorer pour les petites souris à robe caramel et à grandes dents.
J'ai posé la cage, je l'ai regardée un moment, elle m'a regardé aussi, je lui ai dit "Je peux prendre une photo ?", elle m'a dit "Oui, mais tu la mets pas sur facebook, steuplé", j'ai promis, pris la photo, puis j'ai ouvert la cage.
Pffrrrttt !... Elle est partie en trottinant vers de nouvelles aventures.
J'ai laissé le croûton sur le chemin.
...
La souris Caramelle, juste avant son relâcher. :)
Je crois que j'ai aussi des loirs, dans l'isolation sous le toit en bois... :/ Mais là, je vois pas comment faire.
À part des boules Quiès.
Ou un flûtiste qui connaîtrait un air spécial pour emmener les loirs ailleurs.
#perso #histoire #souris