#voisin

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MON VOISIN

Quand je faisais un progrès, tout le monde applaudissait et j'étais très fière. Mon dernier progrès, c'était de pouvoir monter les escaliers toute seule, sans qu'on me portât. J'arrivais à monter un étage en entier. C'était dur !
Ce jour-là, revenant de commissions avec Maman, je montais les escaliers marche par marche et Maman, à ma droite, me tenait la main. Je commençais à fatiguer mais quand je vis Nicolas sur le palier du premier, je mis toute mon énergie à lui montrer fièrement ce dont j'étais capable.
Lui aussi avait l'air très fier. Il était debout sur ses deux pieds et tenait sa maman d'une seule main. De son autre main, la droite, il tenait un anneau en plastique de couleur vive, qu'il s'amusait à porter à la bouche. Nicolas, c'était mon voisin, un bébé aux boucles blondes de six mois plus jeune que moi. C'était la première fois que je le voyais debout.
Nous étions face à face. La maman de Nicolas, du haut des escaliers, engagea la conversation avec Maman et les deux dames se parlèrent, tandis que Maman et moi finissions de gravir les marches. Nicolas me regarda faire d'un air pensif.
Lorsqu'enfin j'enjambai la dernière marche et me retrouvai triomphalement sur le palier, devant Nicolas, il retira son anneau en plastique de sa bouche et me le tendit en disant :
« Ma sœur. »
Touchée par le compliment, je pris son jouet dans ma main et il le lâcha.
« Non, ce n'est pas ta sœur »
rectifia sa maman.
Évidemment que je n'étais pas sa sœur. Tout le monde le savait mais peu importe, j'avais bien compris ce qu'il avait voulu dire avec son maigre vocabulaire.
Enfin, quand je dis peu importe, ce ne fut visiblement pas le point de vue de Nicolas, qui regarda sa mère d'un air mécontent, vexé d'être pris pour un idiot. Et pour montrer qu'il savait ce qu'il disait et pourquoi il le disait, il répéta avec aplomb :
« Ma sœur. »
Cela n'eut pas l'effet escompté car sa mère lui redit :
« Non, ce n'est pas ta sœur. »
Les joues de Nicolas devinrent toutes rouges, il trépigna et en tomba sur les fesses. Sa maman me reprit l'anneau des mains d'un geste délicat, comme si elle craignait que je voulusse le garder. Je le rendis de bonne grâce. Ce jouet était à Nicolas. Il n'avait pas eu l'intention de me le donner vraiment, juste l'utiliser pour véhiculer sa pensée. D'ailleurs, Nicolas, qui s'était vite remis debout pour montrer comme il était grand, regarda d'un bon œil la main de sa mère récupérer l'anneau.
La maman de Nicolas poursuivit bien tranquillement sa conversation avec Maman.
Nicolas, la regardant, insista :
« Ma sœur. »
Aussitôt, sa maman s'interrompit et lui dit gentiment :
« Non, ce n'est pas ta sœur. »
Cette fois, Nicolas se mit à bouillir. Il savait se mettre debout, il savait dire ma sœur et, malgré toutes ces prouesses qui le faisaient se sentir grand, il n'arrivait pas à se faire comprendre ! Eh oui, il en faut de la patience quand on est bébé et qu'on n'a pas les moyens d'exprimer sa pensée. Je connaissais bien ça. Apprendre à parler, c'est très long. Apparemment, Nicolas en manquait, de patience. Il n'en n'était qu'à prononcer ses premiers mots et il aurait voulu pouvoir tout dire avec.
Aussi, il se concentra aussi fort qu'il put, regroupa toutes ses connaissances linguistiques, y mit toute la force de l'émotion et cria donc :
« Ma sœur ! »
Sa maman qui, de toute évidence, ne comprenait pas la métaphore, voulait se faire un scrupuleux devoir de détromper son fils et répéta, toujours aussi calmement :
« Non, ce n'est pas ta sœur. »
Cette fois, ça y était : Nicolas fit une colère.
Moi, ça m'arrivait de faire des colères mais c'était la première fois que je voyais ce que ça donnait de l'extérieur. Moi, là, je n'étais pas en colère, je n'avais pas de raison de l'être. Je me sentais calme, très calme et je voyais devant moi un autre bébé que moi-même faire une colère. Tout ça pour avoir voulu me témoigner de la sympathie. Pauvre Nicolas !
Et Nicolas répétait toujours les mêmes mots depuis le début : « ma sœur » ; et sa maman répétait toujours les mêmes mots depuis le début : « non, ce n'est pas ta sœur » ; et la mère et l'enfant croyaient, chacun de son côté, que les mots qu'ils employaient allaient finir par véhiculer le message qu'ils se refusaient à véhiculer depuis le début ; et la mère ne se rendait pas compte que c'était elle qui ne comprenait pas ce que son enfant essayait de lui dire ; et, chaque fois qu'elle le contredisait, la colère de Nicolas montait d'un cran.
J'aurais voulu lui dire que moi, j'avais compris mais comment le dire ? Il ne s'occupait plus de moi et j'aurais eu du mal à me faire entendre au milieu de ses cris. Si seulement j'avais pu lui souffler le mot ami… je l'avais sur le bout de la langue… je ne savais pas précisément, je ne voulais pas déclencher une nouvelle polémique. Je ne possédais pas beaucoup plus de vocabulaire que lui.


SEX AND DESTROY un nouveau son rock ?
2ème partie : LA PRINCESSE DANS LE DONJON
Chapitre 12 : C'est mes potes
section 14 sur 20


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