Le repos de la vieille dame

Du poil aux pattes, un duvet dru qui pique,
aisselles hirsutes, sourcils fanés qui biquent.
Un ventre flasque et grassouillet pendouille
de tuyauteries gargouillantes, remplies de nouilles.
Genoux cagneux et peaux qui plissent, d’avoir pleuré
et ri, l’iris vitreux sans un coup dans le nez.
La vessie qui boude quand elle pisse, vissée au pot.
Les reins en feu après une balade en gado.
Lundi, la mémoire qui flanche « c’était quand déjà… »
Mardi, les mots qui buttent « le…allez…le truc là »
Cette douleur chronique à la hanche, inoubliable
quand l’équilibre redoute la chute comme le diable.

Et lorsque la tasse se met à trembler, sans peur,
de soif elle finit trempée. Parfois, c’est de pleurs.
Mais cette fois, si elle ravale son orgueil,
c’est pour se croire encore un peu loin du cercueil.
Ça y est, elle bave, elle babille, elle n’entrave plus
que queue d’ail, ne reste plus que son rebut
de corps de vieille, la valeur déchue de son râble,
de sa vie. Sa vie d’avant. La seule vie valable.
Pour celles encore cotées, cette vision est dure
à supporter, qu’une fois ôtées de nos dorures,
“seulement” dotées d’envies, de nerfs et d’os,
elles ne valent au moins autant qu’une couche de gloss.

Et par là, la doyenne redevient le bébé.
Loin des fuites, loin des peurs, la revoilà langée.
Les derniers plaisirs, ceux de table - trop futiles -
changés pour du gérable. Pom’pote au lexomil.
La sonnante et trébuchante vie des actives
plie sous la menace de cette perspective ;
il faut ! rester attractive, et fraîche, et sexy.
Donc pas trop le temps pour le pom-pote du midi.
« [Mon plafond de vair + sa pension minable] -
[les tarifs en rose + médocs et médecins]»
= la honte au ventre, la mort dans l’âme :
le relais de la reléguée passe à d’autres femmes…

Les allées déambulatoires du mouroir
délavent alors lentement les projets journaliers
en un – peut-être - dernier couché du soir, chaque soir.
La voisine zinzin d’à côté qui est morte hier,
ses draps sont propres et frais. C’est l’heure du dessert.
Pour quelles raisons prolongerait-on en paroles
le souvenir d’une non-vie de vieille folle ?
Serait-ce trop déroutant, pour les restantes,
de ressentir, encore, à quel point, même mourantes,
nous, femmes, restons seules, fuyantes entre nous.
Ce qui compte, c’est d’être présentes aux matous.
L’effort de guerre, consenti ou non, reste exemplaire.

C’est ainsi que finit la vie des vieilles dames,
même celles qui n’auront pas plié l’échine.
Mais même celles qui se seront montrées enclines.
Le courage, de se battre, en mots comme toute arme,
ou de se farder, sourire, encaisser, sans faille,
mène au même sort dès qu’Elle perd sa valeur-bétail.
Fantôme dans le pâle trémolo des néons,
silhouette des mornes couloirs senteur oignon,
ni l’infirmière, ni la vieillarde, ni sa fille
ne circule dans la lumière pour ce qu’elle brille.
Une fois fini le bas salaire ou la jarretière,
la vieille dame vit, enfin, pour elle-même sur terre.

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