La démocratie à l’épreuve de l’IA | AOC

Un article de Anne Alombert, philosophe, accessible gratuitement sur inscription sur le site d’AOC.

Avec l’arrivée des « intelligences artificielles génératives » sur le marché, la question sera de moins en moins celle de la production ou de la modération des contenus, désormais générés en masse et de manière automatisée, mais de plus en plus celle de la sélection des contenus produits et publiés : si nous voulons avoir une chance de nous repérer dans l’environnement informationnel à venir, nous devons faire en sorte que les contenus jugés pertinents soient les contenus les plus vus, sans quoi, il ne faudra pas longtemps avant que la surcharge (dés)informationnelle détruise à jamais l’idéal de partage des savoirs qui était à l’origine du web.

Il suffit de donner aux citoyens le pouvoir d’agir sur les algorithmes de recommandation, en articulant ces derniers avec les interprétations, les évaluations et les jugements humains. Il s’agit d’inverser la tendance : au lieu de laisser aux algorithmes de quelques entreprises privées le pouvoir de téléguider les choix des citoyens, il semble nécessaire de donner aux citoyens la possibilité d’influencer les recommandations algorithmiques afin de valoriser les contenus qui leur semble les plus appropriés.
Ce passage de la recommandation automatique et privée (fondée sur les choix des entreprises et la quantification des vues) à la recommandation herméneutique et citoyenne (fondée sur les interprétations des citoyens et la qualité des contenus) est tout à fait possible.
Le dégroupage des réseaux sociaux implique de contester l’hégémonie des plateformes sur toutes les fonctions et services qu’elles regroupent et à affirmer le droit d’autres entreprises ou d’autres entités à assumer certaines de ces fonctions ou à fournir d’autres services en implémentant leurs systèmes sur les plateformes elles-mêmes. Si le dégroupage entrait en vigueur, les réseaux sociaux comme Facebook, TikTok ou Twitter seraient obligés de s’ouvrir à des applications, services et acteurs extérieurs pour assurer certaines fonctions, notamment la recommandation. Les utilisateurs pourraient ainsi choisir entre différents systèmes de recommandation ceux qui leur semblent les plus pertinents : si certains souhaitent s’abandonner aux algorithmes de TikTok ou de Twitter, pourquoi pas, mais tout le monde ne serait pas obligé de se plier à ce choix, certains pourraient préférer se fier à d’autres tiers de confiance plus pertinents – par exemple, à des médias, à des institutions, à des associations ou à des groupes de chercheurs ou d’amateurs développant leurs propres systèmes de recommandation singuliers en fonction de critères explicités.

Une telle transformation semble en effet nécessaire, si nous ne voulons pas laisser la surcharge (dés)informationnelle détruire à jamais l’idéal de partage des savoirs qui était à l’origine du web et les principes de la liberté d’expression et d’opinion qui sont au fondement de nos démocraties. Seules les perspectives de la recommandation collaborative et du dégroupage des réseaux sociaux peuvent aujourd’hui permettre d’implémenter concrètement ces principes dans les architectures numériques. Les régulations en cours à l’échelle européenne (DMA et DSA) rendent cela possible et la récente résolution du Parlement européen appelant à agir contre les « interfaces addictives » nous y invite.

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