DE QUI ? DE QUOI ?

Brusquement me vint une envie de pleurer.
Je ne voulais pas pleurer. De quoi allais-je avoir l'air, sinon ? Je ne voulais surtout pas perdre la face devant les garçons.
Le nez au carreau, j'essayais de me concentrer sur le paysage. J'avais dit que je voulais regarder défiler tous les paysages séparant Courbevoie de Champlitte. Il y en avait trop. C'était trop loin. Ça me faisait monter les larmes aux yeux.
Non ! je ne voulais pas pleurer, pas devant les garçons. Sinon, ils allaient croire que ça avait quelque chose à voir avec eux. Je ne voulais pas que cela eût quelque chose à voir avec eux mais… j'étais partie trop loin… de ma mère.
Je m'efforçai d'étouffer les sanglots dans ma gorge. J'essayai encore de me concentrer sur ces jolis paysages de voyage que j'aimais tant à regarder mais ils m'entraînaient inexorablement toujours plus loin. J'avais l'impression d'avoir cassé la corde qui me liait à ma mère.
Et voilà, ça y était. La fille à côté de moi ferma son livre, alla voir les moniteurs qui étaient au premier rang et elle me montra du doigt en disant :
« Elle pleure. »
On me fit asseoir au premier rang, à côté d'un moniteur qui fit son possible pour me consoler, m'expliquant que c'était le dépaysement et que ma mère me manquait.
Que non ! elle ne me manquait pas, ma mère. Tu parles ! Vu ce qui s'était passé avec les garçons, le moins qu'on puisse dire, c'est que loin d'elle, je me sentais pousser des ailes.
J'ai dit que je pleurais parce que j'avais cassé la corde qui me retenait à elle. Oui, tout comme je pleurais lorsque j'avais cassé un verre et que je savais qu'elle allait me donner une fessée. Pour l'heure, elle ne risquait pas de me taper, j'étais loin d'elle ; mais, au retour, si elle voyait à mon comportement que je m'étais trop éloignée d'elle, je risquais d'en recevoir beaucoup, des fessées, pour être à nouveau immobilisée dans mes élans.
Et le moniteur, à côté de moi, qui, gentiment, essayait de me consoler en me racontant que c'était un coup de cafard passager, que j'avais du chagrin parce que je me trouvais séparée de ma maman mais que :
« Tu verras, tu vas bien t'amuser, en colonie. »
Ça me faisait peur, au contraire. J'imaginais ma mère me lancer des regards chargés de colère et moi, pour me rassurer, je ne pouvais que promettre :
« Non, je vais pas m'amuser. Je m'amuserai pas. Ma mère veut pas.
- Mais si, voyons ! Ta maman veut qu'tu t'amuses. C'est pour ça qu'elle t'a envoyée en colonie. »

Certes, ma mère n'était pas du genre à envoyer ses enfants en collectivité pour se débarrasser d'eux. Sans doute le moniteur avait-il raison mais c'était confus. C'était strictement identique à l'histoire du garçon du tourniquet, quand j'avais cinq ans, avec qui j'avais renoncé à jouer, bien à contrecœur, parce que j'avais vu ma mère faire les gros yeux ; après quoi elle avait prétendu que c'était moi qui n'avais pas voulu jouer avec lui parce que j'étais sauvage. Alors, quoi ? Était-ce moi qui avais imaginé que ma mère faisait les gros yeux parce que j'avais peur du garçon du tourniquet ?
Garçon du tourniquet qui, soit dit en passant, avait les cheveux blonds et bouclés. Mais bon…
Et Sylvie ?
Sylvie, un jour, à l'école, m'a dit :
« Ta mère est méchante. Elle vole ma part dans ton cœur. »
Normalement, c'était Sylvie ma copine, à l'école mais, toujours, ma mère me sépara d'elle, par tous les moyens. Alors, du coup, c'est de la faute à ma mère si je n'avais pas de copine à l'école.
Sylvie, c'est devenu ma copine au moment où je suis entrée à l'école maternelle mais ma mère me donnait des fessées si je refusais de la renier. Du moins, c'est l'impression que j'avais. Peut-être que Sylvie, comme disait ma mère, était mal élevée et que suivre son exemple me rendait insolente.
Je ne sais pas. Je ne me souviens pas des détails.
Ce dont je me souviens, en revanche, c'est de ce qui s'est passé après la colonie, au mois d'août, à Cesson. Ça, c'est révélateur.
Alors, laissons de côté la colonie ! Puisque mes relations avec ma mère sont venues s'interposer dans l'histoire, réglons cela d'abord ! Nous reviendrons à Éric ensuite.


SEX AND DESTROY un nouveau son rock ?
2ème partie : LA PRINCESSE DANS LE DONJON
Chapitre 13 : L'épreuve de la séparation
section 1 sur 20


#angoisse #larmes #mère #solitude #tristesse

There are no comments yet.