Massacre de Boutcha : sur les réseaux sociaux, l’opération de désinformation de Moscou
La Russie, avec l’appui de comptes pro-Poutine et de la complosphère, tente de diffuser l’idée que la découverte, en Ukraine, de corps de civils est une mise en scène.
Depuis que la découverte de dizaines de corps ukrainiens laissés à l’abandon, le 2 avril, à Boutcha (banlieue de Kiev), a suscité l’émoi de la communauté internationale, et que Volodymyr Zelensky dénonce un « génocide », la Russie rejette non seulement toute responsabilité, mais accuse également l’Ukraine de mise en scène. Quitte à s’appuyer sur des arguments qui ne reposent sur rien.
Ceux-ci convoquent un reportage de la chaîne de télévision ukrainienne, Espreso TV, depuis largement diffusé sur les réseaux sociaux. Dans cette vidéo, des journalistes suivent des soldats ukrainiens qui patrouillent dans une rue de la ville de Boutcha au milieu de dizaines de cadavres gisant sur le sol ou le trottoir. Un document extrêmement choquant, qui pourrait être considéré comme une preuve de crime de guerre, mais qui, selon Moscou, relève de l’opération de manipulation.
Des allégations non valides
Trois arguments ont particulièrement été mis en avant par la Russie et ont été repris sur les réseaux sociaux par ses défenseurs.
Le premier avance que, sur une vidéo de la ville de Boutcha, l’un des civils présenté comme mort lèverait la main au passage de la caméra – preuve qu’il ne serait pas mort, voire qu’il jouerait la comédie. L’analyse de la vidéo d’origine montre en réalité que le cadavre en question ne bouge pas le bras au passage de la caméra des journalistes de la télévision ukrainienne. Il s’agit d’un effet d’optique provoqué par une tache, ou une goutte d’eau, présente sur le pare-brise du véhicule.
Un second argument, toujours à partir de ce même reportage ukrainien, avance que l’on peut apercevoir sur le rétroviseur droit de la voiture un cadavre se relever après le passage des journalistes. Là encore, c’est mensonger. Il s’agit d’un mouvement causé par la déformation du verre du rétroviseur, comme l’ont démontré les comptes Twitter Hoax Eye, ou Debunkers des étoiles, spécialistes dans la vérification.
Un troisième argument, qui ne prend pas sa source dans ces images, circule beaucoup : quatre jours se seraient écoulés entre la levée des troupes russes, le 30 mars, et la diffusion des images des corps, le 3 avril. Quatre jours durant lesquels les forces ukrainiennes auraient eu le temps de mettre en scène un charnier. Une chronologie contredite à ses deux extrémités : d’après les constatations du correspondant du Monde à Moscou, la télévision de l’armée russe, Zvezda, montrait encore des unités russes « contenant avec succès les forces adverses sur une ligne Hostomel-Boutcha-Ozera », le 1er avril. Or les premières vidéos de cadavres éparpillés dans les rues datent de ce même 1er avril et ont été diffusées sur un groupe Telegram d’habitants d’Irpine.
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Derrière cette profusion de récits fragiles, se trouve une volonté de nier au plus vite soit la responsabilité russe, soit la réalité du massacre de Boutcha. Les premiers éléments de langage du Kremlin ont ainsi été diffusés dimanche 3 avril en fin d’après-midi sur les comptes officiels des ministères russes de la défense et des affaires étrangères, via Telegram et Twitter. « Toutes les photos et vidéos publiées par le régime de Kiev témoignant supposément de certains “crimes” commis par les forces russes à Boutcha sont juste une autre provocation », conteste formellement Moscou, évoquant « une nouvelle supercherie, une production mise en scène ».
Ce n’est pas la première fois que la Russie emploie la rhétorique du coup monté. Après le bombardement d’un hôpital ukrainien, Moscou avait déjà accusé de manière acrobatique une femme enceinte en état de choc d’être en réalité une actrice. Une recette classique du Kremlin. Comme le rappelait Conspiracy Watch, en 2013, lors de la guerre civile en Syrie, Vladimir Poutine usait déjà de théories conspirationnistes similaires pour déresponsabiliser le régime allié de Damas.
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