LÂCHÉE DANS CESSON

Quand je revins de colonie, Caki et Nani étaient chez leurs correspondants étrangers. Mon père travaillait mais nous étions quand même en vacances à Cesson. La maison étant à proximité de la gare, mon père pouvait aller au bureau à Paris et rentrer le soir à Cesson. Ça le faisait juste rentrer à la maison plus tard que quand nous étions à Courbevoie.
Donc, mes journées, je les passais à Cesson, avec ma mère. J'étais super contente d'être à Cesson, dans une grande maison, avec un grand jardin. En plus, ma mère était tellement gentille qu'elle avait même acheté de quoi s'occuper : plein de fleurs en pots et des graines pour pouvoir s'adonner à son plaisir de jardiner et… c'est tout. Rien pour moi. C'est ça, le problème, avec ma mère : elle avait beaucoup de gentillesse mais n'en faisait profiter qu'elle-même.
Suis-je mauvaise langue ? Elle estimait que je n'avais pas besoin qu'on m'achetât de nouvelles choses parce que j'avais déjà bien assez, pour m'occuper, avec les vieux jouets de mes frère et soeur. C'est vrai que j'avais un vieux portique, un vieux vélo, des vieilles petites voitures, des vieilles billes…
À quoi ça sert, les billes ? On peut rien faire avec. C'est nul.
J'avais juste un joli ballon, tout neuf, que j'avais vu au trucoprix et que ma mère avait bien voulu m'offrir pour mes sept ans. En un an, il n'avait pas pris une égratignure ; il était toujours tout beau, tout brillant. Et pour cause ! Personne n'avait jamais voulu y jouer avec moi, personne n'avait jamais voulu m'apprendre à y jouer.
Finalement, à Cesson, mon ballon à deux balles, c'était mon seul bien, mon seul jouet beau et attrayant, la seule chose avec laquelle j'avais envie de jouer et je ne pouvais pas parce qu'un ballon, c'est fait pour jouer à plusieurs.
Bref, j'allai voir ma mère et la trouvai accroupie au fond du jardin, creusant gaiement la terre.
« Maman je m'ennuie.
- Eh ben, va t'faire une copine. »

Hein ?! J'avais passé trois ans - maternelle, cours préparatoire et CE1 - à l'école, entourée d'enfants, sans jamais réussir à me faire une copine ; je venais de passer trois semaines en colonies de vacances sans jamais parvenir à me faire la moindre copine ; et là, dans un jardin où il n'y avait que ma mère et moi, comme elle me voyait sur le point de lui reprocher encore d'avoir pris une activité de vacances pour elle et pas pour moi, elle me sort une copine de son chapeau !
« Eh ben, va te faire une copine !
- Comment faut faire ?
- Prends ton vélo, va dans les Castors ! Et quand tu vois une fille dans son jardin, tu t'approches et tu lui dis : "j'peux jouer avec toi ?" »

Ma mère me livra ce mode d'emploi sans même me regarder, sans lever le nez de sa terre. Moi, qui étais debout derrière elle, je partis sur la pointe des pieds, enfourchai mon vélo et m'enfuis à toute vitesse. Quand mère poule est d'humeur à lâcher son poussin, il ne faut pas se le faire dire deux fois.
Arrivée à l'angle de la rue de Paris - là ! elle était là, la fille, dans son jardin - je la vis. Elle était brune, les cheveux courts. Elle avait l'air tranquillement occupée, elle avait l'air… de n'avoir pas besoin de moi.
Et voilà que ma timidité reprenait le dessus ! Comment cette fille pouvait-elle devenir ma copine si je passais mon chemin sans m'arrêter, sans lui parler ? Je m'efforçai de ralentir. Je voulus l'appeler, lui dire la phrase que ma mère m'avait apprise :
« J'peux jouer avec toi ? »
mais les mots restèrent coincés dans ma gorge. Ça ne sortait pas. Je n'osais pas. Je ne le sentais pas. Je n'avais pas tant peur d'être rejetée que te déranger.
Non, pas elle.
Et voilà, j'étais passée devant son jardin sans m'arrêter. J'avais raté et je m'en voulais. Je montai la rue de Paris en me reprochant mon échec mais je ne voulus pas revenir en arrière.
La prochaine ! La prochaine que j'vois dans son jardin, je lui demande. Elle, c'était trop tôt, j'étais pas prête.
Je tournai à gauche, dans la longue et sinueuse rue des jonquilles en me répétant toujours et encore :
« J'peux jouer avec toi ? J'peux jouer avec toi ? »
mais tous les jardins étaient déserts.
Ys sont tous partis s'cacher ou quoi ?
Enfin, passé un tournant, je vis une fille qui… n'était pas dans son jardin. Elle sautait à la corde sur le trottoir. Elle avait de longs cheveux châtain foncé tirant sur le roux, attachés en queue de cheval.
Étonnamment, mon vélo fonça droit sur elle sans que rien ne le retînt. Arrivée à sa hauteur, je serrai les freins et récitai la réplique de ma mère, apprise par cœur :
« J'peux jouer avec toi ?
- Oui. »

répondit-elle joyeusement.
Elle jeta sa corde à terre, ouvrit le portail derrière elle, pris un vélo posé non loin et vint se promener avec moi, ne serait-ce que le temps de faire les présentations. Plus tard, nous jouâmes mais Françoise, elle était comme ça : quand il y avait à discuter, elle aimait le faire en pédalant.


SEX AND DESTROY un nouveau son rock ?
2ème partie : LA PRINCESSE DANS LE DONJON
Chapitre 13 : L'épreuve de la séparation
section 2 sur 20


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