ACTION
Juste derrière moi, il y eut un peu de bruit, puis de plus en plus. Au bout d'un moment, le chahut était tel qu'un moniteur vint du fond du car et houspilla les garçons. En fait, ils n'étaient plus assis chacun à sa place, comme ils auraient dû. Le garçon aux cheveux blonds et bouclés s'était poussé contre son voisin de gauche pour faire asseoir un autre de ses copains à sa droite. Les places qui étaient juste derrière eux étaient occupées par d'autres garçons qui étaient debout au lieu d'être assis. Avec ça, ils avaient encore d'autres copains, supposés être assis sur des sièges de la rangée de droite, qui étaient debout dans la travée centrale.
Le moniteur fit rasseoir chacun à sa place et retourna au fond du car. Le calme dura quelques instants. Le blond aux cheveux bouclés fit signe au troisième copain qui revint se glisser discrètement à sa droite. Ceux de derrière se relevèrent et passèrent doucement la tête au-dessus des dossiers pour participer à la conversation. Ceux de la rangée de droite ne voulurent pas être en reste… et le chahut revint bien vite.
Au bout d'un moment, un moniteur vint hausser la voix et remettre tout le monde à sa place. À peine était-il retourné au fond du car que l'attroupement s'était reformé, à l'appel du garçon aux cheveux blonds et bouclés qui, malpoli, ne cessait de dire :
« Les monos, c'est tous des cons. »
Quand il y eut un peu trop de turbulence derrière moi, un moniteur reparut en râlant :
« Vous aurez toutes les vacances pour vous amuser. Vous pouvez tout de même attendre qu'on soit arrivés. Dans le car, faut rester assis. C'est comme ça.
- Si on avait les places du fond, on aurait pas besoin d'se lever pour être ensemble »
rétorqua malaimablement le garçon aux cheveux blonds et bouclés.
« Oui, ben je veux pas d'chahut. »
À peine le moniteur fut-il retourné au fond du car que l'attroupement se reforma. Seulement, cette fois, dès que les garçons commençaient à faire un peu trop de bruit, ils se disaient entre eux :
« Chut ! Taisez-vous ! Y a les monos qui vont venir. »
Effectivement, pas de bruit, pas de mono. Ainsi restèrent-ils tous ensemble, regroupés autour du garçon aux cheveux blonds et bouclés, juste derrière moi ; tandis que la fille à côté de moi lisait son livre et que je regardais se succéder les paysages séparant Courbevoie de Champlitte.
Soudain, j'entendis derrière moi les garçons appeler :
« Hé ! la fille. »
La fille qui était à côté de moi leva le nez de son bouquin et se retourna, passant la tête dans l'échancrure des dossiers.
« Nan, pas toi, t'es moche. Appelle ta copine ! »
entendis-je, alors que je regardais toujours par la fenêtre.
Je m'attendais à ce que la fille protestât pour avoir été traitée ainsi mais elle n'en fit rien. Je la sentis me tapoter le bras, alors je me tournai vers elle et la regardai, me demandant en quoi les garçons la trouvaient plus moche que moi. Tout ce que je vis, c'est qu'elle me dévisageait d'un air bizarre.
Je passai la tête dans l'échancrure des dossiers et les garçons qui étaient debout dans la travée centrale me dirent :
« Dis qu't'es amoureuse d'Éric ! »
Déjà ? L'on me donne un amoureux ? À moi ? Parce que chuis belle ?
Je ne voulus pas rater le coche.
« Chuis amoureuse d'Éric. »
Tous les garçons rirent aux éclats, à part le garçon aux cheveux blonds et bouclés qui me dit avec agressivité :
« T'as pas intérêt à dire ça. Sinon, j'te casse la gueule. »
Qu'est-ce qu'il a, lui ? Il est jaloux ? Qu'est-ce que ça peut lui faire, à lui, que je sois amoureuse d'Éric ? Pas question que je laisse ce méchant se mettre entre mon amoureux et moi.
Je fis donc comme la maîtresse, quand elle interroge une élève et que c'est une autre qui répond ; c'est-à-dire que je regardai le garçon aux boucles blondes et lui dit sèchement :
« C'est toi, Éric ?
- Ben ouais, c'est moi. »
Quoi ?! Mais non ! Ys se sont trompés, les garçons. C'est pas un amoureux pour moi, lui. En plus, j'avais dit : « pas un avec les cheveux blonds et bouclés ». Chuis abonnée au club des Lucifer ou quoi ?
Que faire ? Maintenant que j'avais dit que j'étais amoureuse d'Éric, je ne pouvais plus me dédire ; sinon, j'aurais été celle qui donne sa parole et la reprend l'instant d'après et je n'aurais pas pu, de toute la colonie, dire valablement que j'étais amoureuse d'un garçon. D'autant que si je me proclamais amoureuse d'un garçon dans la colonie, Éric pouvait aller raconter partout que j'avais dit la même chose de lui, tellement il était méchant.
Ce qu'il fallait, dans ce cas-là, c'était que je pusse répondre à Éric : « Mais toi, t'as dit qu'tu voulais pas que j't'aime. Alors, tant pis pour toi, j'ai donné mon amour à un plus gentil qu'toi ».
C'est ça, l'astuce. Seulement, il l'a pas dit, pas clairement. C'est ça, le truc : faut pas que ce soit moi qui reprenne ma parole, faut que ce soit lui qui me la rende.
Aussi, insistai-je finement :
« Pourquoi tu dis qu'tu veux m'taper ? C'est gentil, d'être amoureux. »
Les garçons rirent de plus belle et Éric me dit méchamment :
« T'as pas intérêt à l'dire. Pis d'abord, j'veux pas qu'tu m'parles. Retourne-toi ! »
Je me remis le nez au carreau mais je n'avais plus plaisir à regarder le paysage.
Eh ben dis donc ! èe commence pas bien, la colonie.
Là-dessus, j'entendis derrière moi les garçons - ces idiots - qui disaient :
« Hé ! dis que t'es amoureuse d'Éric.
- Eh ben nan, j'peux pas. Sinon, y va m'taper. J'veux pas qu'on m'tape, moi.
- Nan. Nan, j'vais pas t'casser la gueule. »
Quoi ?! Il insiste, en plus ? Y va pas dire qu'y veut être mon amoureux, maintenant, non ?
Je me retournai et passai la tête dans l'échancrure des dossiers.
Alors, cherchant ses mots, Éric me dit :
« Nan, j'te casserai pas la gueule… mais t'as raison d'avoir peur, parce que si tu oses dire que t'es mon amoureuse, j'te f'rai encore pire… j'vais t'faire passer des mauvaises vacances… méfie-toi !… »
Bon, alors j'ai l'droit d'avoir un autre amoureux, il doit m'rendre ma parole…
« … parce que tu m'connais pas, moi. Tu sais pas qui chuis. Si tu dis qu'tu m'aimes, tu sais c'que j'vais t'faire ?… »
… À moins qu'il demande quelque chose qui peut aller avec l'amour. Dans ce cas-là, y s'ra bien eu parce que moi, j'irai jusqu'au bout et, du coup, y s'ra obligé de m'aimer, y s'ra mon prisonnier d'amour. Un prisonnier d'amour ? C'est encore mieux qu'un amoureux ordinaire, tout compte fait.
« … Si tu dis qu'tu m'aimes, j't'obligerai à baisser ta culotte devant moi et j'regarderai tes fesses tous les jours.
- Ha ! Ha ! Ha ! Alors, c'est toi qui devrais avoir peur, parce que si tu regardes mon papafe, chuis tellement belle que tu s'ras obligé d'm'aimer. »
Éric devint tout blanc. Étais-je allée trop loin ? Non. Il me sembla que non parce que tous ses copains, autour de lui, riaient de bon cœur.
« Retourne-toi, dit-il en colère, et dis pus rien… jusqu'à ce que je t'appelle. »
J'obéis.
Regardant par la fenêtre, je pensai à tout cela avec inquiétude. Allais-je gagner la partie ? Et si ça ne marchait pas ? Si je le laissais regarder mon papafe et qu'il ne tombait pas amoureux de moi ? Ce serait grave !
Intérieurement, je priai l'ange de l'amour qui m'était apparu en rêve et m'avait promis de m'aider.
« Fais qu'Éric soit mon prisonnier d'amour ! Il l'a mérité. C'est juste pour les vacances. J'le libérerai à la fin de la colonie. Aide-moi ! »
À moins qu'il renonce…
De temps en temps, j'entendais les garçons lancer des :
« dis qu't'es amoureuse d'Éric »
mais je ne répondais pas, jusqu'à ce que j'entendisse Éric appeler :
« Hé ! la fille. »
Alors, je me retournai, passai la tête dans l'échancrure des dossiers et demandai :
« Qui ? Moi ?
- Ben évidemment, toi. Comment tu t'appelles ?
- Angélique, parce que chuis un ange »
répondis-je avec une voix et un sourire du même nom, ce qui ne manqua pas de faire son petit effet ; si bien qu'Éric voulut que je me remisse encore un moment le nez au carreau avant de m'appeler de nouveau, par mon prénom, cette fois.
« Oui ?
- Vas-y, dis-le ! »
défia-t-il.
Alors, je le regardai droit dans les yeux et déclamai un très hollywoodien :
« Je t'aime, Éric. »
Il en fut soufflé. J'avais osé ! Il tendit un doigt autoritaire et ordonna :
« Fais-le ! tout de suite. T'as intérêt à l'faire.
- J'peux pas : avec le dossier, tu verrais pas.
- M'en fous. Débrouille-toi ! Monte sur le siège !
- Tu crois que chuis pas cap ? »
Il se détendit et sourit.
« Fais-le ! »
Je me mis debout sur mon siège, baissai ma culotte, remontai ma jupe et lui montrai tout mon papafe en me dandinant et en fredonnant ma chanson préférée :
« La musica, la la la la la la la, la la la… »
Entendant la voix d'un moniteur qui accourait du fond du car, je remontai très vite ma culotte et me rassis, bien sagement, comme si rien ne s'était passé, tandis que le jeune homme grondait :
« Non mais vous pouvez pas laisser cette pauvre petite fille tranquille, non ! Allez ! retournez tous à vos places. Et si y a encore une bêtise, j'punis tous les garçons. Ah ! on n'est même pas encore arrivés. Ça promet, la colonie. »
Il arriva, par la suite, que j'entendisse quelque garçon dire derrière moi :
« Dis qu't'es amoureuse d'Éric !
- J'peux pas. Sinon, vous allez être punis. »
Quant à Éric, il ne faisait plus de bruit.
SEX AND DESTROY un nouveau son rock ?
2ème partie : LA PRINCESSE DANS LE DONJON
Chapitre 12 : C'est mes potes
section 20 sur 20