Musk et Trump ont gagné - et après ? | Tariq Krim sur LinkedIn
#géopolitique #impérialisme #guerre #LeGrandRoque
L'analyse sans concession de la destruction annoncée de l'Europe.
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Musk et Trump ont gagné - et après ?
Tariq Krim
17–22 minutes
Depuis 1 an, j’ai lancé Cybernetica.fr, pour réfléchir sur l’avenir du numérique, à la croisée de 3 disruptions majeures :
•la déglobalisation du monde et ses conséquences pour la Tech,
•la militarisation de l’Internet et ses conséquences pour les états, entreprises et citoyens,
•l’arrivée de l’IA générative et de l'ère post-data et son impact sur l’avenir de l’industrie du cloud, du mobile et des réseaux sociaux.
Ne pas réfléchir à cela fait courir le risque d'entrer dans un monde numérique d'incertitude sans la bonne grille de lecture. Le risque n'est pas d'être dépassé, mais totalement balayé dans un monde ou le rapport à la vérité et l'excellence est totalement changé. Ajoutez à cela l'inconnue de la nouvelle administration américaine et son flot d'annonces.
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Bonne lecture
C’est officiellement la fin d’un monde
La victoire de Trump, d'Elon Musk et de JD Vance aura des conséquences importantes sur nos vies quotidiennes et professionnelles. La fenêtre du champ des possibles vient de s’ouvrir comme jamais auparavant.
Une chose est sûre, il y a deux écueils à éviter : le premier est de moquer cette alliance contre nature, et le second est de se focaliser exclusivement sur Elon Musk, qui est d'une certaine manière l'arbre qui cache la forêt.
Cette alliance inattendue consacre la convergence de deux visions nostalgiques de l’Amérique : celle de la domination post-guerre froide incarnée par “Make America Great Again”, et celle de la conquête technologique des années 60 ravivée par Musk et l’“American Dynamism” du VC Marc Andreessen.
Face à cette nouvelle réalité, le leadership européen et français a du mal à cacher sa panique alors que l'Europe et la France en particulier apparaissent désormais comme des proies.
La nature temporaire de cette alliance
Cette combinaison ne durera peut-être pas, surtout entre deux personnalités aussi entières et imposantes que sont Trump et Musk, mais en coulisse, cette victoire promet déjà à une centaine d’entrepreneurs qui ont prêté allégeance à Trump d’avoir les mains libres pour mettre en place leurs ambitions.
L’impréparation des élites européennes s’est transformée en panique silencieuse.
Les conversations que j’ai pu avoir depuis la victoire de Trump tendent à montrer que nos leaders politiques, industriels, tech, voire nos forces armées, semblent pris au dépourvu.
Les think tanks, qu’ils soient de gauche ou de droite, français ou européens, souverainistes ou atlantistes, ont été totalement aveugles et sont à l’heure d’aujourd’hui dans l’incapacité de produire des options viables.
Leur aveuglement est lié à une peur panique : ils souhaitaient retourner au monde d’avant 2019, qui est le seul à avoir du sens à leurs yeux.
Hélas, ce monde est mort et enterré et nous allons devoir accepter de plonger dans l’inconnu. La Tech elle-même va devoir apprendre à naviguer dans le numérique de l’incertitude.
Une évolution du monde prévisible pour toute personne qui avait le nez dans les réseaux sociaux
En 2016, j’avais dit dans une interview que l’architecture des réseaux sociaux allait faire triompher les populistes, en construisant un monde toxique dont nous aurions du mal à nous départir.
Et que pour échapper à cela nous avions besoin d’urgence d’un Slow Web.
10 ans après la création de netvibes qui avait donné à des millions de gens sur la planète la capacité d’organiser leurs sources d’informations j’espérais qu’une nouvelle génération de services alternatifs aux plateformes sociales allait émerger.
Leur absence se fait sentir. Nous n'avons pas les outils pour développer notre anti fragilité. Nous n’avons même pas les moyens techniques pour protéger l’intégrité numérique de nos citoyens.
Cela restera le grand échec de nos politiques publiques numériques et des investisseurs qui ont pourtant été gavés à l’argent public.
La question de la souveraineté numérique a été clé pour la victoire de Trump.
Les États-Unis souhaitent renouer avec leur suprématie technologique, en repositionnant la Chine comme une simple usine du monde, et en réduisant l’Europe à un marché de consommateurs.
La clé, c’est le mouvement de l’American Dynamism, soutenu par des figures comme Elon Musk et Peter Thiel, qui promeut une vision futuriste et puissante de l’Amérique, prête à dominer sans partage le XXIᵉ siècle. Voir si dessous l'interview de Brian Schimpf.
Face au sentiment de déclassement d’une partie de l’Amérique, la gauche américaine n’avait pas de discours mobilisateur autour de la puissance.
Résultat, il manque des millions de voix au Parti démocrate.
Place à un nouvel ordre techno-populiste, mélange de Fountainhead et Atlas Shrugged d'Ayn Rand et des discours des néo-conservateurs du département de la défense de Ronald Reagan au début des années 80.
Le pacte faustien du nouvel ordre mondial
L’élection de Trump s’est scellée plus d’un an avant sa victoire.
Comme je le disais en introduction, son association avec Elon Musk et Marc Andreessen (un de mes anciens investisseurs dans Netvibes) est un soutien au mouvement de l’American Dynamism et à la centaine d’entrepreneurs qui évoluent dans cette galaxie à l’image de Palmer Luckey (qui est le beau-frère de Matt Gaetz que Trump voudrait nommer ministre de la justice).
Ils ont tous choisi Trump parce qu’ils voulaient une plateforme de lancement pour leurs projets.
Cette alliance à laquelle Peter Thiel n’est pas étranger (il a lancé JD Vance en politique) permet de créer un nouvel imaginaire politique: le techno-populisme, un conservatisme futuriste mélange de la nostalgie d’un passé meilleur et de l’imagination d’un futur puissant.
À contre-courant de la tech traditionnelle , ce groupe s’est lancé dans le financement de startups militaires, longtemps tabou dans la Silicon Valley et propose de repenser l’America First autour de l’Intelligence artificielle.
Cette vision attire de plus en plus d’entrepreneurs qui pensent que l’Internet est désormais au cœur d’un champ de bataille idéologique et technologique.
Les démocrates ont fait de nombreuses erreurs, et la première, est de ne pas s'être approprié cette vision de l’American Dynamism. C’était possible.
Kamala Harris était la candidate démocrate la plus pro-Silicon Valley depuis Al Gore.
Bien plus qu’Obama.
Elle doit beaucoup à la tech dans sa carrière. Son mari travaille dans le secteur et elle connaît personnellement de nombreux entrepreneurs. Elle était la candidate parfaite pour le rôle.
Rien ne poussait Musk à s’allier avec Trump. Quelques années auparavant, sa société Tesla avait été sauvée par les démocrates et il entretenait de bonnes relations avec Obama et son administration.
Mais Biden et de nombreux pontes du parti démocrate ont lancé une guerre médiatique contre Elon Musk. Ils l’ont humilié à plusieurs reprises, et surtout ont sous-estimé la puissance narrative de ses entreprises auprès des Américains.
En lui faisant quitter la Californie, et en ne l’invitant pas au sommet sur la voiture électrique, ils l’ont éloigné définitivement du camp démocrate.
Lors du Sommet sur la voiture électrique, Biden s’est permis de dire que General Motors était le leader de cette révolution.
La technologie désormais au service d’agendas populistes a profondément modifié le paysage démocratique.
Musk et ses partenaires ont toujours défendu l’idée que seule l’avance technologique peut protéger l’Amérique en la rendant encore plus puissante et inattaquable. Le numérique remplace l’arme nucléaire comme instrument de dissuasion efficace.
🪖 Que ce soit par les drones, les satellites ou par l’IA militaire (voir mes interventions sur le sujet).
Lors d’une conférence où je vais chaque année, Peter Thiel nous a expliqué qu’il considérait que Google était une entreprise traître à la nation car elle développait de l’IA en Chine.
Il imaginait qu’un jour une confrontation entre un F 35 avec de l’IA américaine et sa copie chinoise, le Shenyang J-35 dont l’IA aurait été partiellement écrite à partir des technologies de Google.
Shenyang J-35
C’était il y a presque 10 ans.
Hasard du calendrier, on vient d’apprendre cette semaine que la Chine utilisait l’IA open source de Facebook pour un usage militaire, pourtant interdit par les conditions d’utilisation. Facebook vient de clarifier l’usage de son IA à des fins militaires en la limitant aux Five Eyes, (donc pas à la France).
Make America Great Again 2.0 est plus proche de Robert Heinlein que de Philip K. Dick.
“Make America Great Again 2.0” est un slogan extrêmement puissant car il intègre désormais deux narratifs.
On rappelle, notamment à tout Américain de plus de 50 ans, une période où les États-Unis dominaient le monde, diplomatiquement et militairement, et étaient respectés.
L'expression Empire du Mal utilisé lors d'un discours à Orlando le 8 mars 1983 par Ronald Reagan pour désigner l'Union Soviétique. C'est la première fois dans l'histoire américaine que les évangélistes neutres politiquement vont choisir un camp et donner une victoire importante aux républicains.
Avec Musk, on leur rappelle aussi une période où l’Amérique était en pointe technologiquement.
L’âge d’or de la NASA, les débuts de l’Arpanet, et du SR-71 quand les États-Unis pouvaient mettre en œuvre des projets complètement dingues.
SR71
Mais il faut rappeler que cet âge d’or existait parce qu’il y avait en face l’Union soviétique.
Aujourd’hui, le nouvel ennemi c’est la Chine.
Il fallait une bataille symbolique. Elle s’est faite sur le champ de l’IA et des puces.
Une bataille où l’Europe n’existe que marginalement sauf pour héberger des data centers et fournir des bataillons d’ingénieurs ou de machines à lithographie.
Cette vision techno-militariste semble toute droite sortie d’un livre de Robert A. Heinlein comme Étoile Garde à vous ou d’Orson Scott Card avec La stratégie Ender, les livres de chevet de Musk et Zuckerberg.
Google, Apple et Meta, accusés d’avoir collaboré avec la Chine, vont devoir faire amende honorable s’ils veulent en faire partie.
📧 Relire notre précédente newsletter sur Cybernetica.fr pour voir comment les patrons de la Tech ont réagi à l’élection de Trump.
MAGA 2.0 a aussi réussi l’impensable, alors que le climat n’a jamais été aussi déchaîné, ils ont réussi à faire passer les combats du green new deal comme un soutien à l’industrie chinoise avec ses panneaux solaires et ses voitures électriques que Trump souhaite taxer fortement.
Face à cette vision, Kamala Harris et le Parti démocrate n’avaient rien d’autre à proposer que “nous allons construire un monde plus juste”.
Elle aurait dû s’allier avec des acteurs technologiques de premier plan, respectés par les Américains pour “faire une Amérique plus forte technologiquement ET une Amérique plus juste”.
Elle n’a pas su l’exprimer, sauf une fois dans une allocution du 29 octobre où elle a souligné la nécessité de moderniser l’armée américaine pour faire face efficacement aux menaces émergentes. Bien qu’elle n’ait pas fourni de détails spécifiques, elle a suggéré de renforcer les capacités des systèmes aériens sans pilote au sein de l’armée.
Elle n’en a jamais reparlé après.
L’alternative techno-optimiste n’existe toujours pas politiquement
Trump a changé l’inconscient de l’Amérique. Au-delà de ses habituelles frasques, il a su convaincre sur le plan idéologique une majorité des Américains qui veulent bénéficier d’un dollar fort, d’une domination diplomatique, culturelle et technologique, y compris par la force.
Ses électeurs ont donc parfaitement compris les enjeux du changement climatique, ils espèrent juste que les promesses de Musk et ses alliés les protégeront des migrations à l’image des drones anti-réfugiés qu’Anduril souhaite vendre au Custom Border Patrol.
Drone de surveillance de la société Anduril en test.
La naissance d’une broligarchie
On peut s’attrister de la radicalisation d’une partie de l’Amérique qui a voté à plein pour Trump, elle s’analyse aussi par le prisme de l’évolution des médias, notamment l’explosion de la « manosphère » (Joe Rogan, Lex Fridman et Tim Dillon) où Kamala Harris aurait peut-être dû aller pour s’exposer à des gens qui ne regardent plus les médias traditionnels.
🗳️ Personnellement je doute qu’aller chez Joe Rogan qui avait déjà fait son choix aurait été une bonne chose. Elle a eu raison de ne pas se faire instrumentaliser.
Le parti démocrate, aux mains de consultants de la génération Obama, a aussi perdu la bataille de la conviction, malgré trois milliards de dollars dépensés. En tireront-ils les conséquences ?
L’internet, avec ses meme et ses émissions youtube, a profondément changé depuis l’ère Obama.
Prenons la radicalisation des fans de super-héros qui s’insurgent dans des milliers de vidéos YouTube de la « wokisation » des super-héros Marvel et Star Wars. Des débats qui se sont construits au fil du temps et qui se sont étendus sur Twitter alimentant cette même manosphère en indignations permanentes. En renforçant le poids d’Elon Musk. Voir cette vidéo de Critical Drinker.
Cette « Broligarchie » des médias a peut-être été le tipping point de cette élection, comme l’a été Cambridge Analytica en 2016. Elle explique aussi pourquoi beaucoup de jeunes ont voté pour Trump.
💰Twitter, racheté par Musk pour 44 milliards de dollars, aura été plus qu’un outil d’amplification, il aura été un outil de recrutement de nouveaux électeurs. Un outil payé par un emprunt bancaire!
Et maintenant, que va-t-il se passer ?
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