#politesse

angeliqueandthehord@diaspora-fr.org

L'ENFANT SAUVAGE

Lorsque nous sortîmes du parc, comme la fois précédente, j'avais plein de choses à dire.

Maman me répondit seulement :
« Oui et alors ? Qu'est-ce que tu aurais voulu que je fasse ? Que je devienne amie avec la mère pour que tu puisses revoir la fille ?
- Ben non, c'était moi qui voulais présenter des nouveaux amis à la famille. Tu te rappelles ? »

Ça, c'était ce que j'avais dit quelques semaines plus tôt. Je n'avais que quatre ans et demi mais j'étais capable de me souvenir d'une conversation qui remontait à quelques semaines.

C'était en début de soirée. J'étais allée voir Maman dans la cuisine et je lui avais demandé :
« Comment ça se fait que c'est jamais moi qui présente de nouveaux amis à la famille ? »

Maman, qui n'avait pas envie de se casser la tête, m'avait envoyée balader en me répondant :
« Tu comprendras quand tu seras grande. »

Moi, ça m'avait énervée. Alors, j'avais tapé du pied en disant :
« Je veux comprendre tout de suite ! »

Maman n'avait pas fait les gros yeux en grondant :
« Parle sur un autre ton ! »

À la place, elle avait hoché la tête d'un air amusé et c'en était resté là.

Du moins, je croyais que c'en était resté là mais, depuis, elle m'avait emmenée deux fois au jardin d'enfants et il s'était passé plein de choses : j'avais voulu jouer au tourniquet mais je n'aimais pas courir ; j'avais voulu jouer avec le garçon mais j'avais eu peur de me faire gronder ; Maman m'avait traitée de sauvage mais…

« Sauvage ! Sauvage ! Finalement, c'est Caroline, la sauvage ! »

Il fallut que je me fisse cette réflexion à voix haute pour que Maman reconnût enfin la réalité de ce qui s'était passé la semaine précédente.

C'était la fois où j'étais assise toute seule sur le tourniquet et qu'un garçon était venu y jouer aussi. J'avais voulu jouer avec lui mais j'avais senti, au fond de moi, que je n'en avais pas le droit. Ayant eu un doute sur la question, j'avais regardé Maman et elle m'avait fait les gros yeux. Je savais donc que ce n'était pas moi qui m'étais fait des idées. Il était clairement établi que je n'avais pas le droit de jouer avec le garçon mais Maman s'était arrangée à faire en sorte que moi seule visse ses gros yeux. Ainsi, pour l'observateur, c'était moi qui n'avais pas voulu jouer avec le garçon ; illusion que Maman avait confortée par la parole, allant jusqu'à me traiter de sauvage.

Je n'étais pas folle, je savais bien que c'était Maman qui m'avait empêché de jouer avec le garçon. Elle le reconnut enfin et me suggéra d'analyser le comportement de Caroline au travers de cette expérience.

La situation de Caroline était-elle similaire ?

Moi, à la base, j'avais trouvé que la fille du rocher avait de la chance que sa mère la laissât libre de jouer avec tous les enfants du jardin, garçons et filles ; libre de se faire tous les amis qu'elle voulait. Pourtant, au bout du compte, elle ne se faisait jamais le moindre ami (puisqu'elle n'embrassait jamais personne d'autre que sa mère). Pourquoi un tel ratage ? Comment pouvait-elle être à ce point indifférente aux enfants qu'elle avait le bonheur de côtoyer ? Qu'est-ce qui se passait, dans sa tête ?

Aurait-il été possible que ce comportement lui fût dicté par sa mère, sans que rien ne le laissât transparaître ? La fameuse barrière de passage à niveau qu'il m'avait semblé percevoir entre Caroline et moi, n'était-ce pas sa mère qui la levait et la baissait à sa guise ?

Voilà donc ce qu'est cette soi-disant vertu que prônent les grandes personnes et dont je n'ai jamais trouvé trace en mon être : la politesse.

La politesse est un principe qui transforme une embrassade chaleureuse et spontanée en une bise glaciale donnée du bout des lèvres. La politesse, c'est rendre un élan du cœur après l'avoir volé, esquinté et dénaturé.

C'est bien ce qui m'avait toujours semblé : la politesse, c'est mal.

Et puis, d'abord, pourquoi la mère de la fille du rocher avait-elle voulu que je me souvinsse du prénom qu'elle lui avait donné à sa naissance ? Qu'est-ce que ça pouvait changer ? Combien de temps devais-je conserver le souvenir de ce détail ?


SEX AND DESTROY un nouveau son rock ?
1ère partie : DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Chapitre 4 : Les garçons de la maternelle
section 6 sur 10


#discussion #comprendre #enfance #liberté #politesse

angeliqueandthehord@diaspora-fr.org

LE BON USAGE DE L'AMITIÉ

Je ne croyais pas pouvoir faire comprendre cela à la fille du rocher. Je n'avais même pas essayé. Cependant, quand elle m'avait dit :
« T'as qu'à y aller, sur ton tourniquet… »
je m'étais mise à penser tout haut, debout à côté d'elle. Pendant ce temps-là, elle était restée accroupie, la tête baissée, remuant la terre avec son seau. Je croyais qu'elle ne m'écoutait même pas, que je n'avais plus qu'à m'en aller…

Elle se leva soudain, me prit la main et me dit :
« Alors, viens ! Entre dans mon jeu ! C'est facile : fais comme moi et répète ce que je dis ! »

C'est ainsi qu'elle devint mon amie.

Plus tard, Maman m'appela parce qu'il était l'heure de rentrer à la maison pour goûter. Avant de partir, je souhaitai retourner auprès de mon amie pour lui dire au revoir et l'embrasser, comme il est d'usage entre amis. Maman me le permit, à condition que je me dépêchasse.

Je courus vers la fille du rocher et la pris dans mes bras. De son côté, elle se dégagea promptement de mon embrassade, me jeta un regard trouble et me demanda :
« Qu'est-ce qui te prend ?
- Ben, je viens te dire au revoir parce qu'il faut que je rentre à la maison pour goûter. »

répondis-je.

En fait, ce qui l'avait choquée, ce n'était pas la raison de mon départ.

« Pourquoi je t'embrasserais ? J'te connais pas ! »
me dit-elle.

« Ben si, c'est moi ! On a joué ensemble. Tu te rappelles pas ? »

Je n'y comprenais rien. Je regardai autour de moi pour m'assurer qu'il n'y avait pas là une autre fille qui lui ressemblait. Où était passée mon amie ?

Finalement, j'eus la confirmation que c'était bien elle quand je l'entendis répéter ce qu'elle m'avait dit tout à l'heure :
« Je joue avec tous les enfants que je rencontre sur mon rocher, un jour toi, un jour quelqu'un d'autre… »

Elle ajouta alors :
« …mais j'embrasse pas tout le monde et n'importe qui. J'embrasse seulement ma mère. »

Derrière moi, au loin, une voix appela :
« Angélique ! Angélique ! »

C'était ma mère qui me pressait de revenir.

Désemparée, je redescendis du rocher en pleurant. Ce que voyant, ma mère gronda :
« Tu ne vas tout de même pas faire une comédie pour rentrer, non ?
- Èe veut pas m'embrasser, èe m'connait pas ; j'suis pas son amie. »

expliquai-je au milieu de mes sanglots.

Ayant vu la scène de loin, la dame, à qui Maman avait adressé la parole à notre arrivée, appela sa fille et s'enquit de la raison de mes pleurs.

Gentiment, elle dit à sa fille, en parlant de moi :
« Eh bien, embrasse la petite fille ! »

La fille du rocher eut un geste de recul et regarda sa mère avec un air interrogateur, comme s'il lui eut paru que m'embrasser fût contraire aux usages.

La dame précisa dans un sourire :
« Par politesse, ça se fait. »

Comme si une barrière de passage à niveau venait d'être levée, la fille s'avança et me fit la bise.

La dame se baissa vers moi et me dit :
« Tu veux être son amie ? Elle s'appelle Caroline. Tu t'en souviendras ? »

C'était quand j'avais quatre ans et demi.


SEX AND DESTROY un nouveau son rock ?
1ère partie : DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Chapitre 4 : Les garçons de la maternelle
section 5 sur 10


#amitié #politesse #enfance #bise #mère