#roman-policier

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Un goût de revenez-y

Valerio Varesi a fait depuis longtemps du Pô, ce grand fleuve du nord de l'Italie, un personnage à part entière. Le plus fort de tous. Ses traits de caractère sont la force, l'impétuosité, l'imprévisibilité, et son signe de reconnaissance l'humidité. Celle qu'il génère est à la nature ce que la casse sociale est au fascisme, un formidable terrain propice aux pourritures.
Car dans la plaine du Pô, comme partout ailleurs, rien n'est comme avant. Outre le manque de travail, le sentiment d'abandon de la part de l'état, le silure à remplacer l'esturgeon dans les eaux du fleuve. Pire, sur ses rives, ceux qui le pêchent sont maintenant hongrois, et alimentent la peur et la haine de l'étranger.
Autant d'éléments propres à chagriner le commissaire Soneri, toujours aussi empreint de nostalgie que d'humanisme. Un des plus beaux commissaires de l'univers du polar contemporain, ce qui fait que Varesi a toujours un goût de revenez-y.
#polar #roman-policier #littérature #littérature-étrangère #littérature-italienne #culture

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Dog Island, mémoires de l'île aux morts

Découvrir un nouveau roman d’un auteur que j’affectionne est pour moi un petit cérémonial dans lequel, tout en avançant dans l’œuvre, je me replonge dans le passé. Ainsi, je me revois dans mon fauteuil favori, juste après avoir lu Les jardins d’hiver, le précédent polar de Michel Moatti, m’interrogeant sur l’ampleur de son succès que j’avais supposé insuffisant, forcément insuffisant au vu de la qualité de ses fictions. Aujourd’hui, refermant Dog island, son tout dernier, le cul dans le même fauteuil, je me repose la même question et je nourris l’espoir que son lectorat s’épaississe au fur et à mesure que s’épaissit son œuvre, quelle soit l’importance de celui-ci.

Voici donc Dog Island, un huis-clos dans lequel l’auteur revisite à sa manière les Dix petits nègres  d’Agatha Christie. Le roman se passe sur une toute petite île qui n’a rien de paradisiaque et sur laquelle je n’irai pas en vacances ; vous non plus : le lopin de terre, pourtant situé à quelques encablures de New-York, est interdit d’accès au commun des mortels.
Austère, avec son reformatory glacial (ancien sanatorium et maison de correction), ses silos mystérieux (reliques de la guerre froide), son immense cheminée (qui canalisa des fumées issues de quelles combustions ?), l’île ne respire pas vraiment la joie de vivre. Une dizaine de personnes y vivent. Disons : enchaînent des jours gris sur une terre plate et poisseuse, entrevoyant parfois Odosh’a, la forme d’ombre qui apparaît dans un souffle de vent tiède.
Elle hante la nuit
Et la nuit elle crie

L’atmosphère y est quelque peu… particulière. Et devient malsaine, étouffante, lorsque la jeune Tania Greene, travestie en clown triste, s’y pend.

Cette île existe vraiment, l’auteur en a simplement changé le nom. Une des forces des romans de Michel Moatti est cet habile mélange de faits réels liés à la grande histoire et de fiction. Mais il y a aussi l’impeccable narration et le suspens savamment entretenu, et puis… et puis… si vous ne lisez pas Dog Island lisez Les retournants, lisez Retour à Whitechapel, lisez Les jardins d’hiver, lisez Alice change d’adresse, lisez..., enfin quoi, lisez Michel Moatti, que mon humble personne, modeste amateur, tient sincèrement pour un des tout meilleurs auteurs de polar français d’aujourd’hui !
#polar #roman-policier #littérature #littérature-française #histoire #culture

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Marécages

, je ne l’ai pas lu et c’est sans doute un tort. Je parle de « Les marécages », de Joe R. Lansdale. « Marécages », de Sergueï Dounovetz, je l’ai lu et j’ai bien fait.
De Sergueï Dounovetz, auteur généreux, j’avais déjà lu quelques ouvrages : « Sarko et Vanzetti » (un « poulpe »), « Je me voyais déjà », « La vie est une marie-salope », « Les gens sérieux ne se marient pas à Vegas ». Tous m’ont apporté leur lot de réjouissances et dans la lignée « Marécages » savait probablement qu’il n’avait qu’à bien se tenir pour être digne de ses aînés, ce qu’il a fait ! Mais les petits derniers éprouvent parfois le besoin de se démarquer de la fratrie, ainsi a-t-il lorgné vers l’anticipation.

Nous sommes ici en 2050, c’est à dire demain matin, et la société s’est salement écroulée, l’état parti en sucette, qui ne contrôle plus grand-chose. Le champ est libre pour les salopards de toutes sortes. La violence s’est engouffrée dans les brèches de cet effondrement, la loi du plus fort, l’arbitraire et son lot d’injustices ont envahi l’espace.
Au sein de cette décadence, les jeux du cirque sont réinventés et chacun peut se payer l’exécution de condamnés détenus dans des cabines jaunes, des SHAF (Super Humanoïde Androïde Féminin ) vous pomper vos « données » lors de rapports sexuels, des mouchards loger dans votre caboche. Les plus malins peuvent se faire injecter une dose de Polaroïd, sorte de sérum qui vous promet de ne plus vieillir.

Pour vivre peinard, mieux vaut donc rester dans des contrées à la marge, à l’écart de cette furie ambiante, de préférence dans des zones difficiles d’accès : des marécages. C’est là que vivent les frères Yellow, de sacrés frangins au nom de famille qui ne doit sans doute rien au hasard. Trois frères unis comme les cinq doigts de la main, en moins de deux toujours prêts à se plier en quatre les uns pour les autres. L’un est un géant semi-débile au cœur tendre, l’autre un guerrier combattant chasseur d’enflures, le troisième un idéaliste au service d’une ONG. Tout bascule le jour où un certain Majister Luma se fait dégommer et où Jeanne déboule dans leur vie. Jeanne, Lolita au passé déjà lourd mais à l’intelligence vive. D’elle et des femmes viendra peut-être la lumière, car l’auteur les célèbre à sa manière comme il hisse haut les valeurs de l’amitié, histoire de rendre vivable cet enfer.
Esquissant ce monde peu ragoûtant, Sergueï Dounovetz (auteur né dans un blender : un tiers de F. Dard, un tiers de B. Vian, un tiers de Q. Tarantino) semble rester un tantinet nostalgique du temps passé. Il y a de quoi. L’un de ses protagonistes roule à bord d’un Ford Crew Cab Icon 1966, un de ses frères sur une Buell XB9R Firebolt.

N’hésitez pas à foncer dans cet enfer, dans ces marécages infestés de rats, envahis de moustiques, ceinturés par des zones qui feront passer nos pires banlieues pour de petits paradis. Foncez-y pour vous régaler, goûter à la truculence de l’auteur et, si vous penser que l’on a touché le fond, réaliser qu’il est encore loin.
#polar #roman-policier #littérature #anticipation