Nicolas #Casaux
LE #VÉLO, UN PRODUIT INDUSTRIEL COMME UN AUTRE
S’il y a bien un produit associé à l’ #écologie, aujourd’hui, c’est le #vélo. Cyril #Dion fait du vélo. Bon Pote nous dit qu’aller au boulot en vélo sauvera le monde. Etc. Le vélo, c’est #écolo.
Et pourtant non. Le vélo est un pur produit de l’ère industrielle. Comme l’a noté le chercheur au CNRS Philippe Gaboriau : « Machine de loisir, moyen de transport, instrument de sport, le vélo, inventé au début du XIXe siècle, se présente comme un original objet historique, un témoin privilégié qui permet d'observer les transformations culturelles de la France au cours des deux derniers siècles. » Le vélocipède, « cheval mécanique et progressiste », « puise ses valeurs dans l'univers séparé de “la classe de loisir”. Il est lié aux consommations excédentaires d'argent et de temps (loisirs, sports, tourisme), au rêve d'âge d'or industriel de la bourgeoisie ». Initialement, son « prix très élevé le rend inaccessible pour les milieux populaires ».
La démocratisation du vélo, c’est-à-dire le début de sa production en masse, industrielle, commence à la fin du XIXe siècle. Mais c’est surtout au cours du XXe siècle que « la #bicyclette, produit industriel type, va devenir accessible à ceux qui la produisent ». En « 1818-1819, la France compte 500 (?) vélos ; de 5 à 6 000 en 1869 ; 50 000 en 1890 ; 300 000 en 1895 ; 980 000 en 1900 ; 2 240 000 en 1907 ; 3 000 000 en 1911 ; 3 550 000 en 1914 ; de 8 000 000 à 10 000 000 de 1928 à 1939 ; 9 200 000 en 1969 ; 15 000 000 en 1979 ; 17 000 000 en 1987 ».
« Produit industriel type » parce que la fabrication du vélo requiert de nombreux outils, de nombreuses machines-outils, de nombreux matériaux (acier, caoutchouc, aluminium, bronze, etc.), des usines, de nombreux savoir-faire, une importante division et une importante spécialisation du travail. Et les hiérarchies que ça implique.
Et grâce au vélo, on a fait des bagnoles :
« Avant même que le prix du latex ne soit rendu plus abordable, de nouveaux usages furent imaginés, d’abord pour les vélos, ouvrant la voie à ce qui sera le principal marché de l’histoire de la culture de l’ #automobile. En 1887, à Belfast, le vétérinaire irlandais John Boyd #Dunlop imagine un tube souple gonflé pour remplacer les #pneus pleins. Un après-midi d'hiver de 1887, il rentre chez lui à pied et entend un bruit de ferraille sur la route : c’est le tricycle de son fils. Dunlop y réfléchit pendant plusieurs semaines, puis il démonte le tricycle de son fils, en retire les roues arrière, arrache leur mince segment de caoutchouc et remplace l'étroite gorge qui le maintenait en place par une large jante en bois d'orme.
Puis il fixe sur cette jante, avec de la colle spéciale à caoutchouc, une “chambre” de caoutchouc souple qu'il enferme dans une enveloppe de toile de coton, et il gonfle cette chambre à l'aide d'une pompe de ballon de football. Les premiers essais ont lieu sur un chemin de campagne, la nuit du 28 février 1888. Le 23 juillet 1888, il dépose un brevet qui permettra d'utiliser le #caoutchouc pour la fabrication de #pneumatiques. Dès 1889, des pneus sont utilisés en compétition cycliste, avec 4 victoires consécutives de William Hume, remportées sur sa bicyclette équipée de pneumatiques Dunlop, lors des jeux sportifs de Queens College.Quatre ans après, en 1892, les frères #Michelin (André et Édouard Michelin) présentent les premiers pneus démontables pour vélos et autos. En 1895, la première voiture équipée de pneumatique démontable avec chambre à air est présentée au public. Jusqu'à cette date, les #pneus étaient pleins. L'alliance entre l'automobile et le pneumatique ne se démentit dès lors jamais, au point qu'au cours du XXe siècle, nombreuses furent les recherches ayant pour but de mettre au point des ersatz ou substituts synthétiques. »
Le développement du vélo a encouragé le #colonialisme et la #déforestation en Amazonie. La découverte de la vulcanisation et de la chambre à air dans les années 1850 engendre une « fièvre du caoutchouc » en #Amazonie, et donc dans des pays comme le Brésil, la Bolivie, le Pérou, la Colombie et l’Équateur. À la fin du XIXe siècle, le caoutchouc devient « l’or blanc » de l’ère industrielle. Une denrée prisée, « que récoltent des milliers d’indigènes d’Amazonie exploités par des hommes d’affaires sans scrupule ».
Et pas seulement en Amazonie. Les États coloniaux (Royaume-Uni, France, Belgique, etc.) vont aussi créer des plantations d’ #hévéa en Asie (Malaisie, Thaïlande, Indonésie, etc.) et en Afrique (Ghana, Congo, etc.).
« En Centrafrique, les colonisateurs français ont après les étapes de la pacification du territoire imposé un régime de colonie d’exploitation confié à des compagnies concessionnaires qui introduisent le portage et l’exploitation caoutchoutière, pour bénéficier de la hausse des cours, grâce à l'abondance des précipitations (de 1500 à 1800 millimètres par an en moyenne) et à une saison sèche courte et pas trop sévère, mais en faisant baisser les productions agricoles traditionnelles des populations oubanguiennes. »Et puis il faudrait examiner les effets de la production en masse des vélos sur les extractions minières. D’où venaient — d’où viennent — les #métaux. Qu’impliquait — qu’implique — leur traitement. Et ainsi de suite. Quoi qu’il en soit, le vélo n’a jamais rien eu de véritablement écologique. Et la production des vélos modernes est encore plus complexe que celle des tout premiers vélos :
« En raison des coûts moins élevés des matières premières et de la main-d'œuvre, l'Asie est devenue le centre de la production mondiale de vélos. Tandis que les États-Unis ne produisent qu'un demi-million de vélos par an (0,5 % de la production mondiale), la Chine, l'Inde et Taïwan sont les trois premiers producteurs de vélos et de pièces détachées, ce qui témoigne d'une industrie complexe et fragmentée d'une portée véritablement mondiale. Un vélo construit à partir de pièces fabriquées à Taïwan peut être assemblé en Europe, puis expédié vers des destinations aussi éloignées que les États-Unis, l'Afrique du Sud ou le Brésil.
“C’est un monde très intégré”, explique Will Butler-Adams, directeur général de Brompton Bicycle, un fabricant britannique de vélos, situé à Brentford dans le Grand Londres. “Nous dépendons toujours d'une chaîne d'approvisionnement mondiale diversifiée : les jantes viennent de Belgique, le #titane de Chine, le métal de Taïwan, les engrenages de moyeu d'Amérique. Nous achetons des matières premières sur un marché et les revendons sur ce même marché.” » (BBC, « How is a #Bicycle made? », 2019)En bref, à défaut d’écologie, le vélo est un bon symbole du #capitalisme industriel mondialisé.
Le choix du vélo comme symbole en dit long sur la nature de l’écologisme dominant — celui de Dion, de YAB, de Nicolas #Hulot, du gouvernement, des COP, de France Culture, etc.
Née avec l’essor du capitalisme industriel, la production de vélos disparaîtrait sans lui.
Nous sommes à ce point déconnectés du réel que nous n’avons aucune idée du genre de technologies que pourraient produire des sociétés réellement écologiques et réellement démocratiques.
En guise de symbole de l'écologie, c'est plutôt le panier en osier, ou quelque #technologie du même registre, qu'il aurait fallu choisir.