La Non-conversation

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Elle était plus âgée que lui, bien sûr, puisqu'elle était son professeur à l'université.

Des relations de prof à étudiant, rien de plus.

Et puis, un jour, pour des raisons administrato-pédagogiques oubliées, il dût lui téléphoner.

Un soir donc, il appela son professeur à son domicile, afin de lui communiquer la précieuse information dont elle avait besoin.

Ce ne fut pas elle qui décrocha.

Ce fut son père.

L'étudiant, un instant surpris, entendit la voix aimable du vieil homme, et après une pause qui s'enlisait dans ses souvenirs, finit par se présenter et par demander à parler à son professeur.

Mais le vieil homme ne l'entendait pas de cette oreille. Avant de passer le combiné à sa fille, il entama la plus aimable des conversations, s'enquérant de la santé du jeune homme, de la marche de ses études, de ses projets professionnels, tel un vieil ami de la famille qui l'avait connu en culottes courtes.

Il ne croyait pas si bien dire...

Mais l'étudiant restait muet.

Alors le vieil homme, plus charmant encore, reprit la conversation, et avec une très gentille quoique indéniable insistance, s'intéressa à nouveau à la vie de son jeune interlocuteur.

Et l'étudiant écoutait.

Il écoutait cette voix, cette voix qui le ramenait vingt ans en arrière,

la voix du vieil amiral,

il écoutait, stupéfait, la voix de l'odieux dictateur qui, deux décennies plus tôt, avait dirigé d'une main de fer le pays, au sein du sinistre triumvira de la dictature militaire.

Il écoutait la voix de l'assassin, resté tant d'années à la tête d'une dictature sanglante qui avait jeté en prison et torturé son père, qui avait ordonné son propre emprisonnement, un mois, à quinze ans, à être battu sans relâche (il en avait perdu l'ouïe d'une oreille et la terreur, pendant des mois, de rester sans lumière),

il écoutait la voix de l'amiral qui avait ordonné la mort de plusieurs de ses camarades et de ses professeurs, disparus du jour au lendemain sans laisser de trace, l'homme qui avait ordonné la répression, les trahisons, les fusillades (il se souvenait encore de la rafale de mitraillette dans la salle voisine de l'école du soir où il préparait le vestibular, et le regard figé de tous les étudiants sur la porte fermée, dans le bruit des bottes qui s'éloignaient),

il écoutait, écoutait, et restait muet.

Alors, sans doute lassé de parler tout seul, n'ayant pu réussir à converser avec ce si sympathique garçon, le vieil homme appela sa fille auquel l'étudiant donna rapidement l'information qu'elle lui avait demandée.

Puis il raccrocha, et se tournant vers sa mère, qui lisait un peu plus loin, il lui raconta cet invraisemblable non-conversation qu'il venait d'avoir avec le vieux dictateur et surtout, cette insistance à lui parler.

- Tu n'as pas compris ? murmura sa mère en souriant.

- Compris quoi ?

- Ton professeur, qui a dépassé les catherinettes depuis longtemps, a sans doute parlé de toi à ses parents. Le vieil amiral veut que tu épouses sa fille... Pour un père aimant, il n'est jamais trop tard...

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