78ème jour : la vieille dame et les raccourcis

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Elles étaient montées dans le taxi au Jardin Botanique et celle qui semblait la plus jeune (80 82 ans ?) lui avait demandé de les emmener dans une petite rue du quartier du Leblon au bout d'Ipanema où il s'était arrêté au pied d'un petit immeuble et les deux vieilles dames avaient trottiné vers l'entrée où un portier avait accueilli aimablement la plus âgée (90 93 ans ?) pour l'accompagner vers son appartement alors

la plus jeune (83 85 ans ?) était remontée dans le taxi et lui avait demandé de l'emmener à Tijuca, là-bas après les plages après le Pain de Sucre après le Christ après le Mangue après le Sambodrôme après le Maracanã loin après le Centre ville, alors

le chauffeur avait fait demi-tour et il avait pris la direction du Lac derrière Ipanema pour prendre le (sombre) tunnel Rebouças qui les mèneraient vers la zone nord et le quartier où elle habitait alors

la vieille dame (86 87 ans?) mais c'était la plus jeune des deux sœurs - il apprit plus tard qu'elle venait d'accompagner son aînée (95 96 ans?) faire des examens dans une clinique - lui tapa sur l'épaule et lui demanda de passer plutôt par la plage - c'est plus agréable n'est-ce pas ? on ne se baignera pas mais au moins on voit la mer et le sable c'est si beau alors

il avait rejoint la plage du Leblon à la continuation de celle d'Ipanema et puis ils avaient filé postos 12 posto 11 et les kiosques bariolés et le jardim de Allah son canal aux eaux douteuses et ses pêcheurs (d'un geste lent ils remontaient leur ligne oisives) posto 10 posto 9 posto 8 et la vieille dame tournée vers la mer les baigneurs et les joueurs de volley tout bronzés et les enfants qui courent et à la fin de la plage à la hauteur de la rue Vinicius de Moraes et son restaurant Garota de Ipanema (où le célèbre poète et son complice Antônio Carlos Jobim avaient composé la non moins célèbre chanson du même nom) le chauffeur de taxi s'était tourné vers la vieille dame perdue dans ses pensées :

- Voulez-vous maintenant que nous descendions vers le Lac pour rejoindre le (morose) tunnel vers Tijuca ?

- Non non, avait-elle répondu continuez la plage s'il vous plaît.

alors devant les rochers d'Arpoador d'où sautaient sans fin de petits garçons rieurs le taxi avait suivi la rue Francisco Otaviano et rejoint la plage de Copacabana le Fort du même nom le Club dos Marimbas les barques retournées les pêcheurs affairés posto 6 et leur petit kiosque pris d'assaut à 6 heures du matin les poissons remontés dès l'aurore face à la plage au Pain de Sucre au Christ et Copacabana toujours endormie,

et il s'était élancé sur l'Avenida Atlântica posto 5 posto 4 et la vieille dame avait salué le poète Drummond de Andrade sur sa statue - n'était-ce pas ?, pensa-t-elle : - J'ai passé une heure à penser à un vers - Que ma plume n'a pas voulu faire - Il est là pourtant (...) et puis arrivé à la rue Figuereido Magalhães le Vieux Tunnel qui pouvait les mener plus vite encore à destination il avait suffit au chauffeur que leur regard se croisent dans le rétroviseur pour qu'il comprenne que la vieille dame préférait continuer tout droit là-bas presque jusqu'au Leme (...) - Inquiet, vivant - Il est là dedans - Et ne veut pas sortir (...), passer devant le Copacabana Palace posto 3 _posto 2 et remonter la rue Princesa Isabel plutôt que de prendre le Vieux Tunnel et déboucher au (dans le) cimetière São João Batista alors

le chauffeur n'avait plus parlé à la vieille dame il ne lui avait plus rien demandé il n'avait pas tourné après l'Hôpital Pinel à droite prendre le toboggan à gauche vers Laranjeiras et (l'obscur) Tunnel Santa Barbara qui leur aurait évité le Centre-Ville il avait continué tout droit le long de la mer tout droit vers l'aterro tout droit face à l'anse de Botafogo et le Pain de Sucre qui se drapait des lumières du soir (...) - La poésie de ce moment - Inonde ma vie toute entière.

et lorsque arrivés au Centre-ville il n'y avait plus eu de raccourci vers Tijuca la vieille dame était sortie de sa rêverie et lui avait souri - Vous voyez lui avait-elle dit - J'ai 89 ans et je vais peut-être quitter ce monde demain. Pourquoi irai-je m'engouffrer dans de ténébreux tunnels et gagner une demi-heure et quelques dizaines de reais pour rentrer chez moi quand je peux profiter une fois encore de ce merveilleux spectacle ? Ne sommes-nous pas dans la Cidade Maravilhosa ?

Le chauffeur acquiesça (et fit une ristourne monumentale à sa passagère).

Je ne suis pas si âgée (et j'espère ne pas disparaître demain) mais comme cette vieille dame, quand je le peux je demande toujours aux chauffeurs de taxi (jamais d'uber !) de prendre par les plages par l'aterro par l'Anse de Botafogo par le Pain de Sucre par le Christ par la Praça XV par...

C'est si beau... Rio, quand tu nous tiens !

Chaque matin, le grand peintre japonais Hokusai (1760-1849), dit-on, peignait un chat pour se mettre en train. À son exemple (dans une moindre mesure...), et à titre d'exercice, je rédige (ou corrige) et mets en ligne (presque) chaque jour une petite chronique de Rio de Janeiro, où j'habite depuis plus de 15 ans. Pour ensuite me plonger dans des travaux d'écriture en cours.

Si vous souhaitez soutenir mon travail, vous pouvez le faire sur Liberapay, plateforme de dons récurrents, où vous choisissez une durée et une valeur de don, que vous pouvez renouveler ou interrompre à votre guise.

Et à demain, pour une nouvelle chronique!

Vous pouvez en savoir plus sur mes travaux ici :
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