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Mostafa Barghouti
Photo : Sandton (Afrique du Sud), 10 mai 2024. Mostafa Barghouti (Ă gauche), mĂ©decin, militant et homme politique palestinien, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâInitiative nationale palestinienne, salue Naledi Pandor (Ă droite), ministre sud-africain des relations internationales et de la coopĂ©ration, lors de la premiĂšre confĂ©rence mondiale contre lâapartheid EMMANUEL CROSET / AFP
Lâhistoire nâa pas commencĂ© le 7 octobre 2023. Dans ce focus, Orient XXI revient sur un an de guerre gĂ©nocidaire Ă Gaza.
Dans ce texte, Mostafa Barghouthi dresse le bilan macabre de cette derniĂšre annĂ©e et annonce clairement ce qui attend les Palestiniens si rien nâest fait : lâannexion du reste des territoires occupĂ©s, la poursuite de lâapartheid et la finalisation du nettoyage ethnique. Tout en affirmant la poursuite de la rĂ©sistance, « quoi quâil en coĂ»te ».
La guerre dâIsraĂ«l contre Gaza, qui a commencĂ© le 7 octobre 2023, nâa pas son Ă©quivalent dans lâhistoire moderne. Depuis un an, Tel-Aviv commet trois crimes de guerre en parallĂšle : un gĂ©nocide, la punition collective dâune population civile et un nettoyage ethnique.
Au cours de la premiĂšre annĂ©e de cette guerre dĂ©vastatrice qui sâest Ă©tendue â comme on sây attendait â au Liban voisin, lâarmĂ©e israĂ©lienne a bombardĂ© les 2,2 millions dâhabitants de Gaza, vivant sur moins de 360 kmÂČ, avec plus de 83 000 tonnes dâexplosifs. Cela reprĂ©sente 32 kg dâexplosifs par homme, femme ou enfant. Pour mettre ce chiffre en perspective, 83 000 tonnes reprĂ©sentent quatre fois la puissance explosive de chacune des bombes nuclĂ©aires lancĂ©es sur Hiroshima et Nagasaki pendant la Seconde guerre mondiale.
PrÚs de 80 % des habitations ont été partiellement ou totalement détruites. En Allemagne, seules 10 % des maisons avaient été détruites à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La machine de guerre israélienne a intentionnellement démoli toutes les universités, plus de 70 % des écoles, 34 des 36 hÎpitaux qui y existent, 165 établissements de santé, 80 centres de soins, 137 ambulances, 178 abris, 611 mosquées et les 3 églises de Gaza.
« Papa, est-ce que mes mains repousseront quand je serai grand ? »
Les bombardements ont tuĂ© jusque-lĂ plus de 41 595 Palestiniens, auxquels sâajoutent plus de 10 000 disparus, qui sont encore sous les dĂ©combres. Parmi ces victimes, 70 % Ă©taient des enfants, des femmes et des personnes ĂągĂ©es. PrĂšs de 17 000 enfants ont Ă©tĂ© tuĂ©s, dont 115 qui sont nĂ©s aprĂšs le 7 octobre. Certains, comme les enfants de Mohamed Abou Al-Koumsan, ont vĂ©cu moins de trois jours. Lâon se souvient du tĂ©moignage dĂ©chirant de ce pĂšre qui expliquait Ă quel point il avait Ă©tĂ© heureux que sa femme ait rĂ©ussi Ă donner naissance Ă des jumeaux en bonne santĂ©, pendant la guerre ; il sâĂ©tait prĂ©cipitĂ© pour leur obtenir des certificats de naissance, mais, de retour chez lui, il dĂ©couvrait son appartement bombardĂ©. Sa femme, ses nouveau-nĂ©s et sa belle-mĂšre avaient pĂ©ri.
Il faut ajouter Ă ce bilan les 96 251 Palestiniens, pour la plupart des civils, qui ont Ă©tĂ© blessĂ©s. Ce chiffre inclut 4 000 amputations, dont 1 300 enfants. Un jour de cette guerre brutale et qui semble sans fin, jâai eu le cĆur brisĂ© en voyant Ă la tĂ©lĂ©vision un enfant de cinq ans qui avait perdu ses deux mains demander Ă son pĂšre : « Papa, est-ce que mes mains repousseront quand je serai grand ? ». Le pĂšre, larmes aux yeux, ne pouvait pas dire un mot.
Fin septembre 2024, lâarmĂ©e israĂ©lienne avait tuĂ© ou blessĂ© 6,5 % de la population de Gaza. Si cela sâĂ©tait produit aux Ătats-Unis, cela signifierait proportionnellement que plus de 20 millions dâAmĂ©ricains ont Ă©tĂ© tuĂ©s ou blessĂ©s en moins dâun an.
Cette offensive contre Gaza sâest accompagnĂ©e dâune campagne impitoyable de dĂ©shumanisation des Palestiniens. Celle-ci a Ă©tĂ© menĂ©e par le premier ministre israĂ©lien Benyamin NĂ©tanyahou et le ministre israĂ©lien de lâarmĂ©e Yoav Gallant, qui ont qualifiĂ© les Palestiniens dâ« animaux humains ». Les fascistes Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, tous deux prĂ©cĂ©demment accusĂ©s par la justice israĂ©lienne dâappartenir Ă des groupes terroristes, ont menĂ© des campagnes visant Ă Ă©liminer les Palestiniens qui, selon eux, Ă©taient tous des terroristes, y compris les enfants.
Ne plus vivre, ne plus se soigner
LâarmĂ©e israĂ©lienne nâa pas seulement bombardĂ© les civils de maniĂšre indiscriminĂ©e. Elle a aussi spĂ©cifiquement ciblĂ© le personnel mĂ©dical. Au onziĂšme mois de la guerre, plus de 880 mĂ©decins, infirmiĂšres, ambulanciers et autres professionnels de la santĂ© ont Ă©tĂ© tuĂ©s. Pire : pas moins de 200 professionnels de la santĂ© ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et torturĂ©s, parfois jusquâĂ la mort. Parmi eux, Adnan Al-Bursh et Iyad Rantissi, anciennement chefs du service de chirurgie orthopĂ©dique Ă lâhĂŽpital Al-Shifa et du service dâobstĂ©trique et de gynĂ©cologie de lâhĂŽpital Kamal Edwan, ont Ă©tĂ© torturĂ©s Ă mort dans les prisons de Sde Timan et dâOfer.
ConsĂ©quences de ces attaques contre les installations mĂ©dicales et sanitaires : sur les 95 000 blessĂ©s, au moins 25 % risquent de mourir faute de traitements appropriĂ©s, et ne peuvent pas recevoir de traitement mĂ©dical adĂ©quat en raison du refus dâIsraĂ«l de les autoriser Ă quitter la bande de Gaza.
Car Tel-Aviv nâa pas seulement menĂ© un gĂ©nocide par des bombardements. Il a Ă©galement permis une explosion dâĂ©pidĂ©mies et de maladies en privant la population de nourriture, dâune alimentation appropriĂ©e, dâeau propre et de toutes les formes dâĂ©nergie telles que lâĂ©lectricitĂ© et le carburant. Selon Palestinians Medical Relief Society (PMRS), qui gĂšre les opĂ©rations mĂ©dicales Ă Gaza et fournit un traitement mĂ©dical Ă environ 200 000 patients par mois, il y a, jusquâen septembre 2024, 1 737 524 personnes souffrant de maladies infectieuses Ă la suite de leur dĂ©placement1, dont 112 000 atteintes dâune Ă©pidĂ©mie dâhĂ©patite infectieuse, 3 500 enfants souffrant de malnutrition sĂ©vĂšre, des centaines de milliers souffrant de maladies de la peau, notamment de gale et dâimpĂ©tigo2, plusieurs enfants atteints de mĂ©ningite et 6 cas de poliomyĂ©lite prĂ©sumĂ©e, en plus dâun cas confirmĂ©. LâOrganisation mondiale de la santĂ© (OMS) a Ă©tĂ© obligĂ©e de mener une nouvelle campagne de vaccination contre la poliomyĂ©lite sous les bombardements israĂ©liens, car NĂ©tanyahou a refusĂ© dâautoriser un cessez-le-feu humanitaire, mĂȘme pour quelques jours.
Selon la PMRS, chaque habitant de Gaza tombe malade en moyenne trois fois par mois, parfois pour des infections respiratoires, des gastro-entĂ©rites ou des maladies de peau. Ajoutons Ă cela toutes les personnes qui souffrent de maladie chronique, et qui ne peuvent plus se soigner faute dâinfrastructure et dans les conditions de dĂ©placement actuelles. Parmi elles, 10 000 cas de cancer ne reçoivent pas de traitement appropriĂ©, 12 000 personnes ont un besoin urgent dâĂ©vacuation mĂ©dicale et 350 000 personnes souffrent de maladies chroniques qui nĂ©cessitent des soins mĂ©dicaux continus et la fourniture de mĂ©dicaments.
Guerre aux journalistes
Pour que la vĂ©ritĂ© sur ces crimes de guerre israĂ©liens ne parvienne pas au monde, IsraĂ«l a Ă©galement pris pour cible les journalistes locaux, tandis quâil interdisait Ă leurs confrĂšres internationaux lâaccĂšs Ă Gaza â Ă lâexception dâune correspondante de CNN qui a pu y passer trois heures seulement. LĂ aussi, le bilan est lourd : 174 journalistes ont Ă©tĂ© tuĂ©s, souvent avec des membres de leur famille. Parmi eux se trouvent des correspondants de la chaĂźne Al-Jazirah, lâun des principaux mĂ©dias couvrant cette guerre et qui a Ă©tĂ© puni par le gouvernement israĂ©lien en fermant ses bureaux en IsraĂ«l et en Palestine.
Aucune protestation sĂ©rieuse contre lâinterdiction des journalistes internationaux dans la bande de Gaza par IsraĂ«l nâa Ă©tĂ© Ă©mise par les grands mĂ©dias occidentaux. Or, sans les courageux journalistes palestiniens et des mĂ©dias tels quâAl-Jazirah et Al-Mayadeen (Liban), et sans les jeunes activistes des mĂ©dias sociaux, le monde nâaurait pas Ă©tĂ© au courant des atrocitĂ©s commises par IsraĂ«l Ă Gaza.
IsraĂ«l Ă©tend dĂ©sormais son gĂ©nocide Ă la Cisjordanie. Depuis le 7 octobre 2023, 720 Palestiniens, pour la plupart lĂ aussi des civils, dont 150 enfants, ont Ă©tĂ© tuĂ©s par des colons et des militaires en Cisjordanie. Plus de 11 000 personnes ont Ă©galement Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es. Les bulldozers israĂ©liens ont causĂ© des dĂ©gĂąts considĂ©rables dans de nombreuses villes et camps de rĂ©fugiĂ©s, comme Ă JĂ©nine et Ă Tulkarem, dĂ©truisant volontairement les infrastructures. En outre, le gouvernement israĂ©lien a dĂ©mantelĂ© la plupart des zones censĂ©es ĂȘtre sous le contrĂŽle de lâAutoritĂ© palestinienne (AP), a envahi plusieurs villes et a dĂ©pouillĂ© lâAP de toute autoritĂ© civile dans la zone B3.
Un nouvel ordre mondial
Mais au-delĂ des prĂ©judices subis par la population palestinienne, la politique israĂ©lienne met Ă©galement Ă mal le droit international et humanitaire, dont lâOccident prĂ©tend se prĂ©occuper. Les Palestiniens ont eu la confirmation du double langage de nombreux gouvernements occidentaux, en comparant leur attitude Ă lâĂ©gard de la Russie et de lâUkraine avec celle adoptĂ©e Ă lâĂ©gard dâIsraĂ«l et de la Palestine. La Russie a Ă©tĂ© soumise Ă 11 000 sanctions en deux mois, tandis quâIsraĂ«l a reçu 50 000 tonnes dâexplosifs des Ătats-Unis, ainsi que des milliers dâarmes dâautres pays occidentaux, tels que le Royaume-Uni et lâAllemagne.
Lâordre mondial ne sera plus jamais le mĂȘme aprĂšs le gĂ©nocide de Gaza. Les gens se demandent lĂ©gitimement : oĂč sont les soi-disant valeurs occidentales des droits humains, de la dĂ©mocratie et du droit international ? Pourquoi les Palestiniens doivent-ils faire face Ă lâoccupation israĂ©lienne, Ă lâapartheid et au gĂ©nocide ? Pourquoi sommes-nous maltraitĂ©s par de nombreux gouvernements europĂ©ens et amĂ©ricains qui refusent de nous traiter comme des ĂȘtres humains Ă©gaux ?
Quel sera lâimpact de ce gĂ©nocide en cours sur lâensemble de lâordre international crĂ©Ă© aprĂšs la Seconde guerre mondiale ? Les dĂ©tenteurs du pouvoir ne seront-ils pas tenus de rendre des comptes pour avoir enfreint les rĂšgles du droit international ? Le monde sera-t-il dirigĂ© par la rĂšgle du pouvoir impitoyable plutĂŽt que par la rĂšgle de droit ?
La guerre qui a commencĂ© le 7 octobre nâest pas la cause de la situation politique actuelle, mais plutĂŽt le rĂ©sultat de 76 annĂ©es de nettoyage ethnique que le peuple palestinien subit de la part dâIsraĂ«l depuis 1948, lorsque 52 massacres ont Ă©tĂ© commis par des bandes militaires israĂ©liennes et que 520 villes et villages palestiniens ont Ă©tĂ© rĂ©duits en cendres. Ă Gaza, 70 % de la population descend de rĂ©fugiĂ©s dĂ©placĂ©s par IsraĂ«l en 1948. Les voilĂ Ă nouveau dĂ©placĂ©s en 2024. Ils lâont Ă©tĂ© six Ă dix fois durant lâannĂ©e qui sâest Ă©coulĂ©e.
Le 7 octobre Ă©tait aussi le rĂ©sultat de 57 ans dâoccupation militaire israĂ©lienne de la Cisjordanie, y compris JĂ©rusalem-Est et Gaza, qui a Ă©voluĂ© vers le pire systĂšme dâapartheid de lâhistoire moderne. CâĂ©tait le rĂ©sultat de 17 annĂ©es dâun siĂšge israĂ©lien impitoyable sur Gaza, qui a laissĂ© 94 % de son eau polluĂ©e ou salĂ©e et une Ă©conomie dĂ©truite, avec 80 % des jeunes diplĂŽmĂ©s au chĂŽmage. Câest aussi le rĂ©sultat dâune politique israĂ©lienne assumĂ©e qui a entraĂźnĂ© la disparition dâune solution Ă deux Ătats, dans laquelle les Palestiniens Ă©taient censĂ©s construire un Ătat sur 22 % de leur territoire, alors que la rĂ©solution 181 de lâONU leur en accordait 44 % Ă une Ă©poque oĂč ils possĂ©daient 82 % de la terre de la Palestine historique.
Ni meilleur, ni pire
Cette politique est le rĂ©sultat de la loi sur lâĂtat-nation du parlement israĂ©lien (2018), stipulant que le droit Ă lâautodĂ©termination de la Palestine historique â quâils appellent « Eretz Israel » â est rĂ©servĂ© au peuple juif, suivie de la dĂ©claration du ministre fasciste israĂ©lien Bezalel Smotrich, selon laquelle IsraĂ«l remplira la Cisjordanie de colonies israĂ©liennes, jusquâĂ ce que les Palestiniens perdent tout espoir dâavoir leur propre Ătat, et quâils aient alors Ă choisir entre lâimmigration (câest-Ă -dire le nettoyage ethnique), la soumission aux IsraĂ©liens (lâapartheid Ă©ternel) ou la mort (le gĂ©nocide)4.
Le 7 octobre a Ă©tĂ© le rĂ©sultat direct du glissement israĂ©lien, non seulement vers le racisme et lâextrĂ©misme, mais aussi vers le thĂ©ofascisme, tuant tout espoir de paix ou de justice en Palestine. De nombreux Palestiniens avaient des espoirs dans le processus de paix, dans le droit international et les rĂ©solutions de lâONU. Mais ils ont vu leur patrie progressivement et violemment envahie par des colons extrĂ©mistes. Ils vivent dans un Ă©tat de menace constante, leurs enfants sont en danger, et les Nations unies ainsi que les gouvernements occidentaux ne sont pas capables dâimposer la mise en Ćuvre de pas moins de 84 rĂ©solutions du Conseil de sĂ©curitĂ©, et dâenviron 800 rĂ©solutions de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, qui soutiennent les droits des Palestiniens.
Il est clair que lâestablishment israĂ©lien tente dâannexer la Cisjordanie, y compris JĂ©rusalem, et la bande de Gaza, et de dĂ©placer leurs populations palestiniennes. NĂ©tanyahou nâa laissĂ© aucun doute sur ses intentions lorsquâil a prĂ©sentĂ© la carte dâIsraĂ«l Ă lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies, deux semaines avant le 7 octobre, qui comprenait la Cisjordanie, la bande de Gaza et le plateau du Golan.
Aucune vie innocente de civil ne doit ĂȘtre perdue ou tuĂ©e. Cela sâapplique Ă©galement aux Palestiniens. Le cĂ©lĂšbre poĂšte palestinien Tawfiq Ziyad, qui a Ă©tĂ© aussi le maire de Nazareth, a dit un jour : « Nous, les Palestiniens, ne sommes pas meilleurs quâun autre peuple, mais aucun autre peuple nâest meilleur que nous. »
Nous voulons ĂȘtre traitĂ©s comme des Ă©gaux, avec nos droits Ă la libertĂ© totale, Ă la dignitĂ© et Ă lâautodĂ©termination. Quoi quâil en coĂ»te, les Palestiniens ne se laisseront pas abattre et nâabandonneront pas, tant que leur rĂȘve ne sera pas rĂ©alisĂ© et que la Palestine ne sera pas libre.
Mostafa Barghouti