La laïcité dévoyée et instrumentalisée

La laïcité est un principe d’organisation de la société destiné à affranchir l’État des religions tout en permettant le libre exercice des cultes. Elle suppose la non-discrimination selon les croyances, ainsi que la neutralité de l’État et de ses fonctionnaires et assimilés, impliquant alors de leur part l’absence de discours et de port de signes politiques et religieux dans le cadre professionnel. Elle engage l’État et ses représentants, par leur neutralité, mais pas l’individu. Cette loi est emblématique de la République française.

Dès 2004, avec la loi interdisant le port de signes religieux à l’école, la laïcité dans sa conception de 1905 était contestée. Elle crée une rupture. Puis des acteurs politiques tels Manuel Valls, Marlène Schiappa ou Jean-Michel Blanquer et bien d’autres ont manifesté des positions contraires à l’esprit de la loi de 1905, à tel point que l’Observatoire de la laïcité, commission consultative chargée de conseiller et d’assister le gouvernement quant au respect et à la promotion du principe de laïcité, devenu gênant dans ce contexte illibéral, a été dissout en 2021.

Ces politiciens promeuvent une laïcité adjectivée et dévoyée. Leur conception justifie l’exclusion des signes religieux individuels dans des champs étendus de la vie publique, ce qui contrevient à la loi de 1905 – et particulièrement à son esprit1 – qui octroyait beaucoup de liberté aux individus. On comprend l’intention lorsqu’on constate que sont particulièrement ciblées par leurs postures les manifestations de la foi musulmane, ce qui conduit à l’instauration d’une « police vestimentaire qui ne vise que les femmes musulmanes2 ». Cela se confirme aussi par l’usage de l’expression « islamo-gauchiste » de la part de démagogues entretenant une confusion entre islam et islamisme. Leur conception s’avère alors discriminatoire, particulièrement envers les femmes. La laïcité est ainsi instrumentalisée, détournée de sa visée d’origine pour cause de racisme3, sur les pas de l’extrême droite. Elle reflète également un refus du pluralisme. Cette vision illibérale est devenue le « camouflage idéologique4 » d’une politique identitaire. De régime de liberté, la laïcité est transformée en système disciplinaire. Ils « refusent l’ambition de faire vivre l’idéal libéral, égalitaire et fraternel de la loi du 9 décembre 1905, un des miracles de notre histoire républicaine4 ».

  1. En 1905, au Parlement, l’amendement Chabert visant à interdire le port de la soutane en public a été rejeté pour cause d’intolérance et d’incompatibilité avec le principe de liberté de cette loi.
  2. Roland Pfefferkorn, Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée, Syllepse, 2022.
  3. Le maintien des représentations du passé colonial entre « civilisés » et « moins civilisés » conduit aujourd’hui à discriminer les personnes musulmanes. C’est le « déplacement d’un certain racisme sur la religion » dit Joan W. Scott dans un entretien, Socio, n° 12/2019 (urlr.me/ZdhrF).
  4. Jean-Louis Bianco & Nicolas Cadène, anciens président et rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, « La laïcité, un principe abîmé par celles et ceux qui en font commerce », AOC, 25 avril 2023 (urlr.me/fJZNw).

[Article initialement publié dans le n° 47 de juillet 2023 de La Trousse corrézienne, dans le dossier « "Liberté, égalité, fraternité" ? Les entorses de l'action publique à la devise républicaine »]

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