La République1 mise à mort par ses « défenseurs » ?
Tout à son fantasme d’unité de la société2 – la prétendue « réconciliation » –, la Macronie place paradoxalement des pans de la population hors du cadre de la légitimité et les qualifie d’antirépublicains et d’extrémistes3 ; elle considère qu’ils s’excluent eux-mêmes. « Elle déploie une logique de l’affrontement4 » envers ceux qui ne pensent pas comme elle – des ennemis –, voire lui résistent – des séditieux d’« ultra gauche » ou même des « terroristes5 » –, contre lesquels tous les moyens sont permis6 (arrestations injustifiées, usage d’armes mutilantes, etc.). Elle « pense » selon la logique nous versus eux, amis versus ennemis. Les autres sont des déviants dangereux pour l’unité totalisante.
Tout cela – l’unité et l’ennemi, particulièrement lorsqu’ils sont associés, a fortiori quand s’ajoute la violence répressive (et institutionnelle) qui est consubstantielle à cette représentation – est typique du fascisme7. La République de l’extrême centre macronien ne crée pas un cadre commun, elle affirme et applique un séparatisme (en prétendant le combattre). Si la République n’a jamais vraiment existé, la Macronie, malgré ses discours8, semble acter qu’elle n’a plus cours. Il reste « quelque chose comme une République sans l’idée de République9 ». C’est un simulacre10. Elle n’est plus que « le supplément d’âme dont l’État du libéralisme autoritaire a besoin pour produire l’adhésion des "administrés" qui auront définitivement cessé d’être des citoyens11 ».
La Macronie radicalisée est de moins en moins crypto-fasciste12, et en cela, même si ses obsessions sont différentes et qu’elle s’en distingue nettement sur certains sujets, n’est pas éloignée du proto-fasciste Rassemblement national13. D’ailleurs, elle instrumentalise de la même façon la laïcité et la République à des fins autoritaires, elle délégitime la gauche dans une logique au caractère totalitaire tout en validant les propos fascisants de ses ministres et les méthodes idoines de celui de l’Intérieur qui conforte la dérive policière de l’État. Ou comment, tout en s’en défendant14, légitimer les idées d’exclusion de l’extrême droite, ne plus la présenter pour ce qu’elle est, donc favoriser son accession au pouvoir. La fascisation en cours se produit sous les auspices de la Macronie et la complicité du parti Les Républicains. La République pourrit par la tête.
La Macronie prétend être contre les extrêmes15, mais se complaît à être tout contre16 l’extrême droite. Le néolibéralisme intrinsèquement autoritaire et le (néo)fascisme ont tant en commun que semble naître sous nos yeux une sorte d’hybridation monstrueuse.
- Au sens de la République française, définie par sa devise et sa constitution.
- Fantasme qu’elle partage avec le bien nommé Rassemblement national, qui porte en son nom même le rejet de la démocratie, laquelle implique le dissensus, l’opposition, le conflit. Sans compter que la Nation au sens de ce parti dépasse la démocratie, incarne une transcendance, une conception du monde et de la société qui se place au-dessus de la démocratie qui doit alors se soumettre.
- Ainsi, la gauche devient « l’extrême gauche » ! Conformément aux représentations de l’extrême droite.
- Laurence Kaufmann, « La représentation blessée », AOC, 11 avril 2023 (urlr.me/gYTRt).
- Le mensonge permanent et la manipulation du langage rendent le débat impossible. À ce rythme, les fascistes de demain s’appelleront eux-mêmes antifascistes.
- C’est une caractéristique de l’extrême centre. Lire L’Extrême centre ou le poison français (1989-2019) de Pierre Serna, Champ Vallon, 2019 (critique dans La Trousse, n° 44). Outre la violence de la répression, on n’oublie pas que Macron voulait « emmerder les non-vaccinés ».
- Entendons-nous : je n’emploie pas ce mot en évocation d’une période historique, mais en référence aux caractéristiques immuables de ce phénomène politique. Actuellement, nous pourrions utiliser le terme néofascisme. D’autres phénomènes liés à la Macronie évoquent le fascisme, tels la terreur du fait de l’insécurité permanente consécutive de changements arbitraires de règles (tout peut changer du jour au lendemain), ou encore le rejet des corps intermédiaires qui découle de la notion du chef et de son peuple. Ces institutions sont d’autant plus gênantes qu’elles coalisent les revendications et mécontentements qui ne sont pas admis.
- Dans le déni, on a souvent tendance à mettre en avant quelque chose lorsqu’elle n’existe plus. Dans le film Coma de Bertrand Bonello, il est dit : « La rupture, c’est le paroxysme des phrases fausses ; et, avant la rupture, c’est la mise en place de ces phrases. »
- Symplokè, « La moindre des choses », lundimatin, 17 avril 2023 (urlr.me/m74fb).
- « Pas besoin de la victoire électorale d’une extrême droite vindicative pour dénaturer les valeurs, les idées et les pratiques constitutives d’une société démocratique et faire perdre à cette utopie émancipatrice tout son sens libérateur » écrit Annie Collovald, dans « Crise politique ou démocratie évidée ? », AOC, 13 avril 2023 (urlr.me/rx74W).
- Jean-Fabien Spitz, La République ? Quelles valeurs ? – Essai sur un nouvel intégrisme politique, Gallimard, 2022. Voir critique dans La Trousse, n° 47.
- Lire « Le néolibéralisme au risque du fascisme ? », La Trousse, n° 41. Crypto-fasciste, ou « tyrannique du point de vue de la pratique politique et fasciste du point de vue de la mise en scène militariste de l’appareil d’État » selon Olivier Long, « Macron : tyran ou fasciste ? », lundimatin, 5 juin 2023 (urlr.me/hwFL6).
- On se souvient de la surenchère du sinistre Darmanin face à Marine Le Pen qu’il qualifiait de « molle » (le 11 février 2021), puis le 4 mai dernier concernant Giorgia Meloni, qu’il jugeait « incapable » sur le sujet de l’immigration. Il se déclarait indirectement à la droite de ces représentantes de l’extrême droite.
- « Il faut comprendre la montée de l’extrême droite non pas comme un mouvement de bas en haut où "le peuple" impose sa vision réactionnaire aux élites, mais bien comme un mouvement de haut en bas où la construction d’un discours hégémonique opposant l’extrême droite au statu quo a servi à renforcer l’hégémonie de ce dernier tout en légitimant l’extrême droite et ses idées » écrit Aurélien Mondon dans « La République réactionnaire et la normalisation de l’extrême droite », AOC, 4 octobre 2022 (urlr.me/wqk2C).
- Alors qu’elle est elle-même un extrémisme ; le néolibéralisme, que l’on peine parfois à distinguer du libertarianisme, est un extrémisme.
- Sacha Guitry affirmait : « Je suis contre les femmes, tout contre. »
Sur la pente glissante
Cet autoritarisme, qui marque la volonté de mettre en place la société de marché contre l’avis du peuple, s’est traduit dans l’histoire – les années 1930 – par un rejet tel qu’il a permis à des mouvements et partis d’extrême droite de prospérer. Comme l’écrit Jean-Fabien Spitz, « l’autoritarisme, l’imposition des valeurs, l’exclusion ont pour conséquence de favoriser l’extrémisme1 ». Le « républicanisme » autoritaire – même en l’imaginant dépourvu de toute composante fasciste – est le parfait allié du fascisme. « Les "valeurs" aujourd’hui mises en avant sont […] incapables de pallier l’absence de justice sociale et d’unifier une nation que les inégalités fracturent. […] Or rien n’est plus dangereux que cette homogénéité proclamée à laquelle ne correspond dans la réalité qu’un surcroît d’exclusion1. »
- Jean-Fabien Spitz, La République ? Quelles valeurs ?, op. cit.
[Article initialement publié en Point de vue dans le n° 48 d’octobre 2023 de La Trousse corrézienne]
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