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L’égalité, la liberté et la fraternité dans une république

Dans son livre La République ? Quelles valeurs ?1, Jean-Fabien Spitz définit ainsi les principes de la République française.

« L’égalité […] consiste dans le fait qu’aucun d’entre eux [les individus] ne possède la capacité de subordonner l’autre à sa volonté et de le traiter comme une chose, comme un moyen, comme une ressource pour la satisfaction de ses propres intérêts. » Les institutions républicaines ont pour objet de soustraire les individus aux rapports de domination, de créer les conditions sociales de l’indépendance réciproque. En cela, l’égalité est inséparable de la liberté.

« La liberté implique […] de disposer des moyens de faire non pas ce que l’on veut, mais ce qu’il est nécessaire de pouvoir faire pour être une personne libre et égale. » Finalement, « une société républicaine assure à tous les capabilités qui permettent de fonctionner en qualité de citoyens libres et égaux ».

La fraternité suggère une société dans laquelle chaque personne a la même valeur morale, où l’apport de chacune n’est pas perçu isolément, une société construite sur la coopération, la solidarité, sur le droit et non pas la force. La fraternité est un principe juridique d’association civile « qui assujettit les États et les personnes à une obligation de ne pas se comporter de manière à nuire à l’indépendance de l’un quelconque des membres de l’association ou à la rendre impossible, à ne pas agir de manière à faire obstacle au principe qui veut que chacun puisse prendre part à l’existence sociale en qualité de membre à part entière et avec un statut de personne libre et égale. C’est en quelque sorte la clause implicite majeure de tout contrat social. […] Elle signifie une obligation négative de respecter les règles sociales prohibant les actions dont il n’est pas raisonnablement acceptable d’exiger que les autres supportent les conséquences, en même temps qu’une obligation positive de prendre part et de contribuer à un ensemble d’institutions sociales qui garantissent à chacun l’accès aux conditions de sa propre indépendance. » Cela implique que, « lorsque les conditions de notre propre indépendance sont données, nous n’avons pas le droit de préférer la maximisation de notre propre bien-être à la défense des conditions de l’indépendance morale des tiers. Et ensuite, cette obligation de faire prévaloir l’indépendance morale des tiers sur la maximisation de notre propre bien-être ne peut pas être définie […] comme à une atteinte à notre qualité de personne libre et égale. »

  1. Jean-Fabien Spitz, La République ? Quelles valeurs ? – Essai sur un nouvel intégrisme politique, Gallimard, 2022, chapitre 8.

[Article initialement publié dans le n° 47 de juillet 2023 de La Trousse corrézienne, dans le dossier « "Liberté, égalité, fraternité" ? Les entorses de l'action publique à la devise républicaine »]

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La laïcité dévoyée et instrumentalisée

La laïcité est un principe d’organisation de la société destiné à affranchir l’État des religions tout en permettant le libre exercice des cultes. Elle suppose la non-discrimination selon les croyances, ainsi que la neutralité de l’État et de ses fonctionnaires et assimilés, impliquant alors de leur part l’absence de discours et de port de signes politiques et religieux dans le cadre professionnel. Elle engage l’État et ses représentants, par leur neutralité, mais pas l’individu. Cette loi est emblématique de la République française.

Dès 2004, avec la loi interdisant le port de signes religieux à l’école, la laïcité dans sa conception de 1905 était contestée. Elle crée une rupture. Puis des acteurs politiques tels Manuel Valls, Marlène Schiappa ou Jean-Michel Blanquer et bien d’autres ont manifesté des positions contraires à l’esprit de la loi de 1905, à tel point que l’Observatoire de la laïcité, commission consultative chargée de conseiller et d’assister le gouvernement quant au respect et à la promotion du principe de laïcité, devenu gênant dans ce contexte illibéral, a été dissout en 2021.

Ces politiciens promeuvent une laïcité adjectivée et dévoyée. Leur conception justifie l’exclusion des signes religieux individuels dans des champs étendus de la vie publique, ce qui contrevient à la loi de 1905 – et particulièrement à son esprit1 – qui octroyait beaucoup de liberté aux individus. On comprend l’intention lorsqu’on constate que sont particulièrement ciblées par leurs postures les manifestations de la foi musulmane, ce qui conduit à l’instauration d’une « police vestimentaire qui ne vise que les femmes musulmanes2 ». Cela se confirme aussi par l’usage de l’expression « islamo-gauchiste » de la part de démagogues entretenant une confusion entre islam et islamisme. Leur conception s’avère alors discriminatoire, particulièrement envers les femmes. La laïcité est ainsi instrumentalisée, détournée de sa visée d’origine pour cause de racisme3, sur les pas de l’extrême droite. Elle reflète également un refus du pluralisme. Cette vision illibérale est devenue le « camouflage idéologique4 » d’une politique identitaire. De régime de liberté, la laïcité est transformée en système disciplinaire. Ils « refusent l’ambition de faire vivre l’idéal libéral, égalitaire et fraternel de la loi du 9 décembre 1905, un des miracles de notre histoire républicaine4 ».

  1. En 1905, au Parlement, l’amendement Chabert visant à interdire le port de la soutane en public a été rejeté pour cause d’intolérance et d’incompatibilité avec le principe de liberté de cette loi.
  2. Roland Pfefferkorn, Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée, Syllepse, 2022.
  3. Le maintien des représentations du passé colonial entre « civilisés » et « moins civilisés » conduit aujourd’hui à discriminer les personnes musulmanes. C’est le « déplacement d’un certain racisme sur la religion » dit Joan W. Scott dans un entretien, Socio, n° 12/2019 (urlr.me/ZdhrF).
  4. Jean-Louis Bianco & Nicolas Cadène, anciens président et rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, « La laïcité, un principe abîmé par celles et ceux qui en font commerce », AOC, 25 avril 2023 (urlr.me/fJZNw).

[Article initialement publié dans le n° 47 de juillet 2023 de La Trousse corrézienne, dans le dossier « "Liberté, égalité, fraternité" ? Les entorses de l'action publique à la devise républicaine »]

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