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De Mars aux déserts africains, à la recherche de la vie perdue

#ANTONIOFISCHETTI 19 FÉVRIER 2021

Alors que la mission Perseverance vient d'arriver sur Mars pour chercher des traces de vie fossiles sur la planète, d'autres chercheurs, comme Abderrazak El Albani, professeur à l'université de Poitiers, les trouvent sur notre bonne vieille Terre. Ceci à quatre pattes dans le désert et avec des moyens bien inférieurs à ceux de la Nasa.

Le rover Perseverance s’est posé sur la planète Mars le jeudi 18 février après sept mois de voyage. Sa mission : chercher des traces de vie microbiennes sur la Planète rouge. Pour cela, il disposera de moyens bien plus perfectionnés que les précédentes missions martiennes. Perseverance collectera des fragments de roches, qui seront d’abord analysés sur place, avant d’être ramenés sur la Terre en 2026. Quand on dit qu’on cherche de la vie sur Mars, l’idée n’est pas de ­courir après des petits hommes verts, ni même après des ­petites bêtes ou des microbes vivants, mais d’espérer dénicher des traces de micro-organismes fossiles. Rien que ça, ce serait révolutionnaire.
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L’aventure est belle, mais en attendant de trouver de la vie fossile sur Mars, il ne faudrait pas oublier qu’il en reste encore beaucoup à dénicher sur le plancher des vaches. C’est justement l’objectif d’Abderrazak El Albani, chercheur en géologie à l’ #université de #Poitiers. Il a récemment découvert au #Maroc, dans la région d’ #Ouarzazate, des bactéries fossiles datant de 571 millions d’années. « C’est un site exceptionnel, on en trouve sur 10 m d’épaisseur et plusieurs kilomètres carrés », précise l’universitaire. Mais surtout, ces bactéries vivaient dans un ­milieu a priori très hostile à la vie, à savoir « un ancien cratère de volcan, où il y avait une très forte salinité, un milieu très pauvre en oxygène et des températures supérieures à 120 °C ». On avait déjà trouvé ce genre de #bactéries, dites « ­extrêmophiles », car capables de se développer dans les milieux les plus inhospitaliers. Mais celles découvertes par Abderrazak #ElAlbani sont les plus anciens #fossiles de ce type connus, en excellent état de conservation, et surtout en aussi grande quantité. Vous pourriez penser : quel rapport avec #Mars ?

Eh bien, cette planète ressemblait beaucoup à la #Terre, il y a quelques ­petits paquets de millions d’années. Les bactéries fossiles qu’on trouve chez nous permettent donc d’entrevoir les éventuels ­microbes qui pourraient exister dans des conditions similaires… mais ailleurs dans l’Univers. Ce n’est pas pour rien que la #Nasa est venue travailler sur le même site qu’Abderrazak El Albani… Lequel ne cache pas son légitime contentement : « Nous avons publié nos résultats avant la Nasa, et les bactéries que nous avons découvertes au Maroc représentent l’un des meilleurs modèles pour envisager ce qui peut exister ailleurs que sur Terre. Cela veut dire qu’on peut espérer dénicher la vie bactérienne dans des conditions qu’on a longtemps considérées comme incompatibles avec le développement de toute forme de vie. »

Si #AbderrazakElAlbani en est arrivé là, c’est grâce à un trait de caractère très utile en sciences : il aime bien donner des coups de pied dans le socle de connaissances que ses collègues s’étaient accoutumés à juger inébranlable. « Mon principe, c’est de sortir des sentiers battus. » C’est ce même principe qui lui a valu une autre découverte majeure, en 2008, et cette fois non pas au #Maroc, mais au #Gabon. Abderrazak El Albani y a trouvé des formes de #vie fossiles multicellulaires (mais pas #extrêmophiles, celles-là) datant de 2,1 milliards d’années. Au début, aucun scientifique n’y croyait, et pourtant, cela a permis de repousser la date de l’émergence de la vie multicellulaire de 1,5 milliard d’années, ce qui n’est pas une pichenette.

À travers ces chiffres qui, il faut bien l’avouer, nous étourdissent, se cache un enjeu fondamental, qui rejoint la quête de la vie #extraterrestre, selon le géologue : « L’un de nos objectifs est de comprendre comment le vivant peut s’adapter aux conditions de vie. Plus jeune que 520 millions d’années, c’est très étudié, mais sous nos pieds, il y a 4 milliards d’années qu’on connaît très mal. »

Cette démarche scientifique n’est pas du goût de tout le monde
Juste pour rigoler, et avec l’esprit taquin qui nous caractérise, on ne va pas se priver de rappeler que cette démarche #scientifique, donc matérialiste, n’est pas du goût de tout le monde. Du moins, pas de ceux pour qui la vie ne peut être que le fruit d’un magique éclair divin. Il faut savoir que Jean-Paul II affirmait que les théories qui « considèrent l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière sont incompatibles avec la vérité de l’homme ». Dans la même ligne, Benoît XVI a rappelé que « chacun de nous est le fruit d’une pensée de Dieu » et rejetait fermement l’idée selon laquelle tout ce qui fonctionne sur la Terre et dans nos vies serait seulement occasionnel et un produit de l’irrationnel. Quant au pape François, il semble se faire plus discret sur ces questions, mais attendons de voir.

En tout cas, aujourd’hui, ce qui limite le plus la quête des origines, ce n’est pas le Vatican, mais les moyens octroyés à la recherche fondamentale. Après sa découverte gabonaise, Albani a eu de nombreuses offres, notamment des États-Unis et du Japon, où on lui a proposé de poursuivre ses recherches avec des moyens colossaux et un bien meilleur salaire que celui en vigueur dans les universités françaises. Il a pourtant refusé, et n’en démord pas : « Poitiers est aussi respectable que n’importe quelle université au monde, et mes travaux sont financés par la Région #Nouvelle-Aquitaine et par l’Académie Hassan II des sciences et techniques du Maroc, en partenariat avec l’université de Marrakech. » Le grand public ne le sait pas, mais l’université de #Poitiers est un centre de tout premier plan pour la recherche fondamentale en géobiologie.

Alors, c’est très bien d’explorer #Mars avec des missions à plus de 2 milliards de dollars. Mais il faut aussi rendre honneur à ces universitaires qui n’ont pas les moyens de la Nasa, et qui, à quatre pattes dans nos bons vieux déserts, font des découvertes tout aussi importantes pour comprendre l’émergence de la vie, sur Terre… sur la terre comme au ciel, pourquoi pas.

Pour en savoir plus, voir le blog d’Abderrazak El Albani, ainsi que son livre "Comment tout a commencé sur la Terre", écrit avec Roberto Macchiarelli et Alain Meunier, dessins d’Adelinaa (éd. HumenSciences, 2020).

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Les médecins anthroposophes, experts en acharnement judiciaire

#AntonioFischetti

C'est un procès fondamental pour la liberté d'expression qui s'est tenu jeudi dernier à Strasbourg. Il était intenté par les médecins anthroposophes contre Grégoire Perra, principal pourfendeur de cette doctrine. L'enjeu nous concerne tous : c'est le droit à critiquer des médecines ésotériques sans être traîné en justice.

Ce n’est pas un procès très médiatisé. À part ­#Charlie, aucun média national présent pour en témoigner, et dans la salle, pas plus d’une dizaine de personnes. À droite, les accusateurs : le Conseil natio­nal professionnel des médecins à expertise particulière – section #médecine #anthroposophique. Un nom ultrapompeux qui ne représente – comme le soulignera l’avocat de la défense – qu’une simple association et non un organisme officiel, comme on pourrait le croire. Au premier rang, en guise de soutien, trois de ses membres ayant dépassé le cap de la retraite, dont le Dr Robert Kempenich, qui enseigne la médecine anthroposophique à l’université de Strasbourg.

Celui qu’on va juger s’appelle #GrégoirePerra. Ce quinquagénaire est aujourd’hui prof de philo en lycée. Il est attaqué en diffamation pour avoir publié sur son blog, le 7 octobre 2018, un texte intitulé « Mon expérience de la médecine anthroposophique ». Et il sait de quoi il parle, puisqu’il a été placé par ses parents dans une #écoleSteiner étant gosse, et qu’il a lui-même enseigné l’anthroposophie, avant de prendre ses distances avec cette doctrine, dont il est, depuis, l’un des plus ardents pourfendeurs. Une poignée de sympathisants sont venus le soutenir, dont des membres de l’Association pour la science et la transmission de l’esprit critique.

Il n’est pas exagéré de dire que Grégoire Perra est victime d’un acharnement judiciaire : ce simple texte publié sur son blog lui a valu pas moins de trois #procès, intentés par différentes associations anthroposophiques. Il a gagné les deux premiers, et attend le verdict en appel pour le troisième. Aujourd’hui, donc, va pour le quatrième. L’enjeu n’est pas de dire si la médecine anthroposophique est efficace ou pas, car les magistrats ne sont ni scientifiques ni médecins, mais si les critiques de Grégoire Perra relèvent ou non de la diffamation. En fait, la manœuvre est très subtile, car bien qu’il ne s’agisse pas d’un procès à proprement parler scientifique, les enjeux scientifiques sont partout en filigrane.

En pratique, ce procès se limitera à une joute d’avocats. Les hostilités sont déclenchées par l’accusation, avec Me Grégory Thuan dit Dieudonné. Il commence par dénoncer le manque de mesure de Grégoire Perra, dont le « texte truffé d’injures publiques » qualifie la médecine anthroposophique de « tromperie » et d’« aliénation mentale », et ses « praticiens » d’« êtres immoraux » qui « pratiquent le vampirisme spirituel ». Même si ce ne sont pas forcément les mots exacts de l’ex-anthroposophe, il faut admettre que l’esprit n’en est pas très éloigné. L’avocat est donc catégorique : les « propos méprisants et dégradants » de Grégoire Perra sont exempts de bonne foi et seulement animés par la « haine tenace qu’il a contre l’anthroposophie ».

La seconde partie de la plaidoirie vise à démontrer que la médecine anthroposophique est « un courant médical particulièrement sérieux ». Mais sur quoi s’appuie l’avocat ? Eh bien, uniquement des arguments d’autorité. À savoir que « cette #médecine fait l’objet d’une recherche médicale extrêmement poussée en milieu hospitalier et universitaire, à Berne, Berlin ou Fribourg », et que « c’est uniquement en France que la médecine anthroposophique est critiquée, et à chaque fois, il y a un certain Grégoire Perra ». D’où l’urgence de condamner ce dernier « pour faire respecter la réputation » de ses clients.

Mais ce que Me Grégory Thuan dit Dieudonné passe consciencieusement sous silence, ce sont les fondements de la #médecineanthroposophique. Petite parenthèse, donc, pour combler ce manque. L’ #Anthroposophie est une doctrine ésotérique élaborée par l’Autrichien Rudolf Steiner au début du XXe siècle. Dans ce cadre, la maladie serait le fruit d’un #karma destiné à améliorer votre « être spirituel », et il ne faut surtout pas l’empêcher de s’exprimer, car vous risqueriez des problèmes encore plus graves dans une vie future. La théorie se fonde sur tout un bazar de notions ésotériques, comme « état éthérique », « état astral », « forces formatrices »… La médecine anthroposophique s’acharne à être perçue comme une discipline « scientifique », mais ses concepts sont bien plus proches de la pensée magique, voire de la #sorcellerie. Le site de l’université de Strasbourg se contente de la présenter comme « un élargissement de la médecine #universitaire sur laquelle elle se fonde, en intégrant dans sa démarche les niveaux biologiques, psychologiques et spirituels de l’homme ». Séduisante définition pour le grand public… mais dont la seule référence à la #spiritualité signe l’exclusion du champ scientifique.

Concrètement, les médecins anthroposophes utilisent toutes sortes de remèdes : massage des pieds à l’huile #Weleda (entreprise anthroposophe) pour supprimer les grincements de dents nocturnes, oignons frits dans l’oreille pour guérir l’otite, décoctions de gui contre le cancer… Élisa, jeune femme spécialement venue du sud de l’Alsace pour soutenir Grégoire Perra, nous confie son expérience : « Quand j’étais enfant, mes parents me faisaient soigner par des médecins anthroposophes. À l’âge de 5 ans, je me suis blessée et le médecin m’a recousue à vif car l’anesthésie est fortement déconseillée en anthro­posophie. Il faisait aussi des certificats de contre-­indication à la #vaccination qui n’étaient basés sur rien, de sorte que je n’ai jamais été vaccinée. »

Cette parenthèse étant refermée, venons-en à la plaidoirie de Me Marc François, défenseur de Grégoire Perra. Il ­commence par rappeler cette donnée essentielle : « De quoi parle-t-on ? D’une des déclinaisons de la pensée de Rudolf #Steiner – qui n’était pas médecin –, appliquée à la médecine […]. Je ne sais pas si l’anthroposophie, c’est bien ou pas, mais je peux vous dire que ce n’est pas scientifique. »

L’avocat parvient même à faire sourire les magistrats (et vu les têtes moroses des médecins anthroposophes, c’était loin d’être gagné) en faisant le parallèle avec Michel Onfray, auteur d’un ouvrage particulièrement violent contre Freud : « Il y a eu des livres et des articles contre lui, notamment d’Élisabeth Roudinesco, mais il n’y a pas eu de procès des socié­tés de psychanalyse contre Onfray, et on n’est pas venu encombrer les tribunaux avec ça : vous imaginez un procès Onfray-­Roudinesco ? » Le défenseur rappelle aussi que « les laboratoires Boiron n’ont pas fait un procès aux journalistes qui ont critiqué l’homéo­pathie ». On pourrait ajouter que le conseil de l’ordre des médecins ne porte pas plainte contre les gourous en toge qui écrivent que les médicaments rendent malade et qu’il faut se soigner au yaourt, au jus de navet ou aux granules de tripes de canard. Pour Me Marc François, il est donc évident que les écrits de Grégoire Perra relèvent d’un « débat d’utilité publique » (c’est d’ailleurs la raison invoquée par les précédents tribunaux pour le relaxer), et « que ça plaise ou non, ce garçon a le droit de dire ce qu’il dit ».

Fin de la partie du jour. Reste à attendre le délibéré, qui sera rendu le 23 septembre. À la sortie du tribunal, je ne peux pas m’empêcher de penser aux nombreux procès intentés contre Charlie par toutes sortes de mouvements religieux, des cathos aux islamistes. À chaque fois, les débats n’ont jamais porté sur l’existence ou non de Dieu, mais sur le droit de dire qu’il n’existe pas et de se moquer des #croyances qui vont avec. Il en va de même pour ce procès, dont on peut affirmer qu’il s’inscrit dans un combat pour une « laïcité scientifique ». La médecine anthroposophique est une #pseudoscience qu’il est salutaire d’avoir le droit de #blasphémer pour préserver la médecine des pollutions religieuses. •

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