#zahia

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« La prostitution des mineures est un problème majeur de la société » #NatachaDevanda

Deux lois censées les protéger, des rapports en veux-tu en voilà et si peu d’évolution positive sur les trottoirs, dans la rue, sur Internet. Lundi 15 novembre, un plan intergouvernemental était censé s’emparer de la délicate question de la #prostitution des mineurs. Entre 7 000 et 10 000 jeunes, des filles en écrasante majorité, composent cette cohorte de chair fraîche. Elles sont exploitées par les #proxénètes, violées par des clients qui s’en dédouanent par un billet et sous couvert de consentement. Comment arrêter un phénomène qui, malgré la réglementation, explose, change de forme et se « professionnalise » ? Rencontre avec #StéphanieCaradec, directrice du mouvement #LeNid, une association qui, depuis 70 ans, lutte pour l’abolition de la prostitution.

Quel est votre sentiment par rapport aux décisions du plan intergouvernemental de lutte contre la prostitution des #mineurs ?
Tout d’abord, on salue l’existence d’un plan interministériel sur cette question. On se réjouit aussi qu’il soit financé à hauteur de 14 millions d’euros. C’est une bonne nouvelle que ministres et secrétaires d’État de la Justice, de l’Intérieur, de la Politique de la Ville, de la Jeunesse ou de la Solidarité et de la Santé, se retrouvent pour évoquer ce problème majeur de société : la prostitution des #mineures. La dimension interministérielle permet d’aborder toutes les facettes du problème. C’est primordial pour lutter contre.

De même, le développement de la prévention dans les établissements du secondaire et l’ambition de développer, grâce à la formation, une « culture commune » auprès de nombreux professionnels : action médico-sociale et éducative, services de santé, police et justice est une bonne chose. Le gouvernement promet aussi une prise en charge immédiate des victimes dès les premiers signes de détresse.

Comment avez-vous travaillé en amont lors des travaux préparatoires ? Et quelle était la position du Nid ?
Nous avons fait partie du groupe de travail préparatoire, présidé par Catherine Champrenault, procureure générale de Paris. Des discussions qui ont duré neuf mois. Si on salue l’intention, on s’interroge car il y a encore peu de détails sur la façon dont les actions seront menées et bien sûr, nous regrettons le grand absent des préconisations du plan : le « client ». Plus précisément, le plan indique que les « clients » et les proxénètes « nourrissent » le phénomène, mais aucune action concrète n’a été annoncée pour améliorer la répression des hommes qui achètent des actes sexuels à des enfants. L’État doit aller plus loin. Aujourd’hui, un nombre infime de « clients prostitueurs » sont interpellés et l’impunité reste la norme. La campagne de sensibilisation prévue au 1er semestre 2022 par le plan devra également s’adresser à eux.

Qu’est-ce qui fait que les lois sont-elles si peu ou si mal appliquées ?
Parce qu’il y a une chose qui s’appelle le sexisme et le patriarcat qui accepte toujours l’achat d’actes sexuels, surtout quand c’est majoritairement auprès de femmes. Acheter un rapport sexuel avec une adolescente est un délit. Les proxénètes comme les « clients prostitueurs » sont, en principe, sanctionnés. Mais dans les faits, c’est beaucoup plus compliqué. Les clients se dédouanent facilement avec un billet glissé à la jeune fille. Devant les policiers ou les magistrats, ils se servent tous de cette phrase magique : « Je pensais qu’elle était majeure ». À partir de là, il est très difficile de prouver que ces hommes mentent. Pourtant, il est impossible pour un homme de ne pas voir les conséquences de son acte en imposant une relation sexuelle à une jeune fille. Il est impossible de ne pas voir l’environnement qui règne dans une chambre où les filles enchaînent les passes. Une jeune fille de 14 ou 15 ans, il n’y a pas de doute possible sur sa minorité.

Qu’est-ce qui cloche alors et que faudrait-il faire ?
Le sujet est toujours sensible. On a l’impression à tort que la prostitution touche à la #sexualité et relève du domaine de l’intime. Beaucoup de travailleurs sociaux sont mal à l’aise avec ça. Mais ça évolue : depuis plusieurs années, on a de plus en plus de demandes de formations et de co-accompagnement par la Protection judiciaire de la jeunesse ou l’Aide sociale. Il y a aussi la façon dont la société dans son ensemble tolère cette situation. Le gros manque c’est de dire clairement les choses. Dire que le fait d’acheter le corps d’une adolescente, c’est de la #pédocriminalité. Il faut mettre le paquet contre ces hommes qui sont des criminels. Or, il n’y a rien sur les clients dans le plan interministériel. Il faudrait marteler des campagnes à destination des hommes qui achètent le corps des jeunes filles. Rappeler que c’est illégal et que ça a des conséquences sur le développement physique et psychologique des enfants. Ce silence sur les « clients », ça dit en creux que c’est aux gamines de porter toute la responsabilité. Ce n’est plus possible !

Votre association travaille sur la prostitution depuis des décennies. Comment voyez-vous son évolution, notamment pour les mineures ?
S’il est difficile de donner un nombre précis de jeunes filles mineures prostituées, une chose est sûre, Internet et les #réseauxsociaux sont un immense facilitateur pour le passage dans la prostitution. Des jeunes filles qui y exposent leur vulnérabilité, leurs disputes avec leurs parents par exemple, leur envie de fuguer… Tout ça, c’est du pain bénit pour les recruteurs. Les proxénètes sont à l’affût pour entrer en contact avec elles. Ils se font passer pour des #loverboy, des garçons gentils et compréhensifs, qui vivent eux aussi de grosses difficultés. Ce piège des proxénètes a toujours fonctionné mais avec Internet, la chasse est plus vaste. Dès que l’ado est amoureuse et/ou sous emprise, le loverboy va se transformer en homme insistant voire violent pour inciter ou forcer sa copine à franchir le pas et se prostituer.

Même facilité pour les clients. Avec Internet, les possibilités d’entrer en contact sont immenses. Même plus besoin de trouver une excuse pour sortir de chez soi et aller au bois de Boulogne. Ils peuvent faire leur marché à domicile, devant leur ordinateur. Ils ne prennent plus de risques. Les réseaux sociaux et les plateformes locatives comme #Airbnb sont des facilitateurs énormes qui ont fait exploser le proxénétisme des mineures. La police, la justice, les magistrats référents sur la prostitution des mineures le disent. De même, qu’on voit le développement de petits réseaux de proxénètes qui eux aussi peuvent être mineurs. Des jeunes qui végétaient dans le #trafic de drogue se lancent dans le #proxénétisme pour s’enrichir plus rapidement et à moindre risque. Les policiers parlent de micro-réseaux qui passent au travers des mailles de la loi, malgré l’engagement croissant de la justice et de la police sur le sujet.

Les médias insistent beaucoup sur l’argent facile, la vie futile des jeunes prostituées. Est-ce raccord avec la réalité à laquelle vous vous frottez ?
Au départ, la plupart disent : « J’assume ». C’est classique chez les mineures comme chez les adultes. Mais dès que le lien de confiance est créé avec des militants de l’association par exemple, elles nous disent : « Je voudrais faire autre chose ». Dire que la prostitution permet de gagner de l’argent facile, c’est vrai pour les proxénètes mais faux pour les prostituées. Au mieux, ça peut être de l’argent rapide mais certainement pas facile. Coucher avec un homme dont on n’a pas envie, faire dix, quinze passes ou plus par jour, n’est en fait rien d’autre que du #viol répété. Le fait qu’il soit tarifé ne change rien. Une fois lancées dans la prostitution, les jeunes femmes ont du mal à s’en sortir. L’emprise, similaire à celle qu’on observe dans les autres violences sexistes et sexuelles, les maintient en état de dépendance.

Pourtant des policiers et magistrats notent un « effet #Zahia », un attrait pour une vie fantasmée d’escort et une tendance à évoquer la prostitution comme un « métier » ?
Comment s’en étonner quand la société, les modèles commerciaux poussent à l’hyper- #sexualisation des corps des femmes et au virilisme des hommes. L’exploitation sexuelle filmée, le #porno amateur ou professionnel banalise des violences sexuelles auprès des plus jeunes. De même, quand certains médias utilisent la notion de « #travaildusexe », c’est aussi une forme de banalisation de cette violence qu’est le système prostitutionnel. Une des façons de lutter est, dans ce cas comme dans d’autres, d’employer les bons mots, de faire de la prévention auprès des jeunes et d’avoir les moyens humains et financiers pour empêcher les jeunes de tomber dans la prostitution et aider celles et ceux qui veulent en sortir. C’est-à-dire l’écrasante majorité. •

Le mouvement Le Nid est une association dite « abolitionniste » qui milite pour l’abolition de la prostitution tout en aidant celles et ceux qui se prostituent. Elle édite une revue trimestrielle Prostitution et société. Le mouvement du Nid mène des actions d’accompagnement des personnes prostituées mais aussi de la prévention auprès des jeunes dans les écoles, la sensibilisation des acteurs sociaux et du grand public.

#CharlieHebdo #féminisme #adolescence #traitedesêtreshumains