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Violences sexuelles dans le porno : le système Jacquie et Michel raconté par ses victimes

#société #exploitation #proxénétisme #NSFW #NSFL

Attention récit très éprouvant.

Surprise, emprise, viols et violences : les récits livrés au « Monde » par certaines des plaignantes mettent à mal toute la stratégie d’image de l’empire du porno, basée sur le fantasme d’un libertinage consenti par des « femmes ordinaires ».

C’est la définition psychiatrique d’un traumatisme : la trajectoire de la victime reste figée au moment du point d’impact. Le temps n’efface aucune blessure. Corinne (les prénoms des victimes ont été modifiés pour préserver leur anonymat) semble n’être jamais sortie de cette chambre d’hôtel attenante à la gare Montparnasse à Paris, où elle a participé à un tournage en mai 2013. Presque dix ans après, à la question de ce qu’elle a ressenti face à la mise en examen de Michel Piron, le propriétaire du plus grand site pornographique français Jacquie et Michel, pour complicité de viol et traite d’êtres humains en bande organisée, sa voix a tenu deux phrases, le temps de bredouiller quelque chose autour de son « soulagement » puis s’est brisée.

Son avocate avait prévenu : Corinne voulait s’exprimer, mais ne pourrait le faire qu’une seule fois, parce que c’est « trop dur ». « Je crois qu’elle est cassée à jamais. Quand on en parle avec elle, on a l’impression que les faits ont eu lieu la veille », raconte Me Camille Martini. « Ils m’ont pris une partie de mon être, je suis marquée au fer rouge, ils m’ont volé mon humanité », tente de décrire cette assistante comptable du sud de la France. Un mois après le tournage pour Jacquie et Michel, elle fait une tentative de suicide médicamenteuse. Son frère et sa mère la sauvent in extremis. Depuis, elle n’a plus de vie sociale : elle reste cloîtrée chez ses parents. Plus de relations sentimentales non plus. Elle lutte avec ses cauchemars, ses insomnies, les flashs et l’envahissement permanent. Son existence bloquée dans cette chambre du 4e étage de l’hôtel Pullman.

Le Monde a eu accès aux témoignages de certaines des plaignantes du dossier Jacquie et Michel, dont les récits circonstanciés battent en brèche la ligne de défense du groupe Ares, qui, par la voix de son avocat Me Nicolas Cellupica, a fait savoir que Michel Piron « s’est toujours dit du côté des victimes si des actrices ont subi des actes de violence sexuelle qu’il ignorait parfaitement ». Contacté, le conseil de la société Ares, propriétaire du groupe, convient qu’« au début de l’activité vidéo Michel Piron s’est rendu sur quelques tournages pour comprendre ce qu’il lançait et pour affiner le concept », mais maintient que le groupe « n’est que diffuseur de vidéos ».

Un diffuseur d’au moins une nouvelle vidéo par jour, « sachant qu’une fille peut en faire trois maximum, ça fait à peu près cent filles par an qui passent à la casserole après avoir été recrutées avec des méthodes de proxo. Je serais curieux de savoir comment elles vont toutes aujourd’hui », éclaire un ancien réalisateur du site. L’actrice Marion Lew confirme : « J’ai fait quinze scènes pour Jacquie et Michel. A la fin, ils m’ont demandé de mettre une cagoule, car on m’avait trop vue. Ils ont instauré cette course aux nouveaux visages, qui fait que des femmes qui n’auraient jamais dû finir dans un porno s’y retrouvent, ils jouent sur la misère sociale. »

Cet argumentaire de diffuseur ignorant des errements de ses sous-traitants met Corinne en colère : « Michel Piron était là pendant tout mon tournage. C’est lui qui a ordonné les choses et les directives, ce n’est pas juste un diffuseur. Et, par ailleurs, un diffuseur est responsable de ce qu’il diffuse. » L’avocat de Michel Piron, Me Yves Levano, assure, pour sa part, que « la plaignante ne dit pas la vérité. Ce sera démontré. » Pourtant, à en croire son récit, la rencontre de Corinne avec la plate-forme pornographique répond aux mêmes logiques que celles à l’œuvre dans le recrutement des jeunes femmes dans les réseaux de proxénétisme traditionnels. Si Me Cellupica martèle qu’il « n’a jamais été question de ruse pour faire venir les actrices », car « les candidatures spontanées sont nombreuses et continuent de l’être », les témoignages des plaignantes face aux enquêteurs racontent une autre histoire.

En 2012, Corinne divorce d’un mari avec qui elle a eu deux enfants et dont elle a l’impression d’être la « boniche ». Elle se sent seule et s’inscrit sur un site de rencontres, Badoo, où elle discute avec un militaire qui dit s’appeler Bastien et être originaire de Bayonne. Il est gentil et attentionné avec elle, devient son confident. Elle tombe amoureuse de lui, a un premier rapport avec lui dans un hôtel Formule 1 proche de là où elle vit. Puis il vient à son domicile, et lui montre un site qu’elle ne connaît pas, Jacquie et Michel, dont les participants seraient « canadiens ». Pendant un acte sexuel, il lui demande de tourner tous les deux une vidéo pour le site. Elle accepte – « mon but était d’être avec Bastien. J’aurais fait n’importe quoi pour lui », dépose-t-elle.

Le rôle de Bastien dans ce type de réseau est connu : les policiers le qualifient de « lover boy ». C’est le recruteur qui séduit des femmes fragiles affectivement et leur fait accepter la prostitution ou les tournages pornographiques comme une preuve d’amour. Corinne contacte Michel Piron : « Je lui ai clairement expliqué que je voulais faire l’amour devant la caméra de manière traditionnelle avec mon petit copain Bastien. »

Rendez-vous est pris à Paris le 18 mai 2013. Bastien la prévient qu’elle va avoir une surprise. « Je pensais que la surprise, c’était lui. » Sur le quai de la gare Montparnasse, Michel Piron l’attend avec Rick Angel, ancien conseiller technique au ministère de l’intérieur de l’époque de Michèle Alliot-Marie, devenu producteur de porno. Dès sa descente du train, ils la filment, lui font montrer ses sous-vêtements devant tout le monde. Arrivée à l’hôtel, Corinne réclame de contacter Bastien, elle veut l’attendre. Michel Piron la rassure, Bastien va arriver.

Le piège se referme sur Corinne. Elle est entourée d’hommes nus et en érection dans la chambre. Michel la contrôle. Plusieurs pénétrations vaginales et anales lui sont imposées par Rick Angel puis d’autres acteurs. Elle est fouettée avec une ceinture, proteste, tente même de s’échapper. Michel la rattrape. L’épouse de Michel intervient pour lui dire que Corinne a mal. Ils lui mettent une ceinture autour du cou pour la tenir en laisse. Et finissent par tous lui éjaculer sur le visage en lui demandant de dire « merci Jacquie et Michel ».

La nuit, Corinne reste seule terrorisée dans la chambre. « J’ai placé les deux petits fauteuils du salon devant la porte et j’ai pleuré. » Le lendemain, elle rentre chez elle, sans n’avoir rien touché pour sa prestation. Le 24 mai 2013, la vidéo est mise en ligne. Les images se répandent sur Internet, jusque dans le regard des clients de l’entreprise pour laquelle elle travaille qui la reconnaissent, et surtout jusqu’à son dossier de divorce. Elle perd la garde permanente de ses enfants. « Mon frère a appelé Michel Piron pour lui dire que j’avais tout perdu à cause de lui, que j’avais des idées suicidaires.

« Qu’attendez-vous aujourd’hui des suites de votre démarche ? », ont demandé en décembre 2020 les policiers du 1er district de police judiciaire de Paris à Jessica. « J’attends qu’ils arrêtent d’exploiter des femmes et de les casser, et ce gros porc de Michel fait de l’argent sur la douleur des femmes et c’est sur cela qu’il fait son capital. »

La vie de Jessica commence par des viols commis sur elle par son beau-père, puis par une plainte classée sans suite quand elle dénonce à la police ce qu’elle a subi enfant. A 15 ans, elle rencontre le père de son fils, qui l’emmène deux ans plus tard se prostituer dans les bars à champagne de Genève. Il l’abandonne ensuite chez un ami en Italie qui la viole et la contraint là encore à la prostitution. « Toutes ces expériences m’ont traumatisée et, en fait, toute ma vie, je n’ai subi que des violences, tant au niveau sexuel que personnel », constate-t-elle.

Jessica s’enfuit, rentre en France et trouve un travail dans un camping, qui lui permet d’avoir une vie normale. Le camping ferme, elle n’a plus rien pour payer son loyer, manque d’être expulsée de chez elle. Sur un site Internet, elle trouve une petite annonce qui promet beaucoup d’argent pour tourner un film pornographique, dans lequel l’anonymat est garanti. Elle se rend chez Dorian, l’un des réalisateurs désormais en détention provisoire dans le cadre de cette affaire. Là-bas, lui et sa copine insistent beaucoup pour le tournage. Ils la font boire et consommer de la MDMA pour la détendre. S’ensuivent de multiples scènes de contraintes, dans lesquelles la sodomie et le nombre de partenaires sont forcés.

Très abîmée psychiquement, Jessica devient l’une des incarnations de Jacquie et Michel, l’une de ces femmes envoyées dans les boîtes de nuit aux soirées de la marque. « Lorsque nous allions dans ces établissements, nous étions des objets. Je touchais 300 euros par soirée et, à chaque soirée, le patron de l’établissement avait le droit à sa fellation, c’était compris dans le prix, c’était humiliant », décrit-elle.

Dans une gradation courante dans le milieu, Jessica est sollicitée pour réaliser des vidéos de plus en plus violentes. Dorian lui parle de « soumission », elle refuse en expliquant être « non violente », il l’amadoue : « Ça n’est que du fake. » Elle tombe sous la coupe d’un réalisateur de films sadomasochistes « hard-core » – il écrit en ces termes sur son site Internet –, Maître TSM, par ailleurs informaticien dans le département du Gard et lui aussi diffusé sur Jacquie et Michel. Le récit devient plus violent encore : selon Jessica, Maître TSM l’attache à des arbres, à des machines agricoles, la fouette. « Et là huit hommes sont arrivés, tous cagoulés », poursuit-elle. Ils la violent, l’injurient. « Moi, j’avais mal et je tentais de repousser mes agresseurs et je pensais que j’allais vivre ma dernière heure », raconte Jessica aux policiers. Suite à cette scène, Jessica s’enferme chez elle. « J’ai même essayé de me suicider par pendaison mais le câble a cédé. Je me sentais sale et soumise, je n’avais plus envie de vivre. »

Rejetée par tous ses proches, sans argent – « je me dégoûtais », répète-t-elle plusieurs fois devant les enquêteurs –, Jessica met des années à se défaire de l’emprise du système Jacquie et Michel. « Pourquoi ne pas avoir dénoncé les faits plus tôt ? », l’interrogent les policiers. « J’avais peur des représailles. On m’a dit que ma parole ne vaut rien, qu’ils ont du pouvoir et qu’à côté d’eux, je ne suis rien. Et je viens aujourd’hui car j’ai vu que d’autres femmes sont venues déposer plainte et je ne dois pas les laisser seule et je dois prendre mon courage à deux mains. »

Valérie, une troisième victime, a également mis plusieurs années à trouver le courage de déposer plainte. En 2009, cette étudiante cherche un peu d’argent et accepte de poser pour des photos de lingerie. Le photographe, Jack Wood – mis en examen en même temps que Michel Piron en juin 2022 – , la fait venir à Paris pour une première séance sans histoire. Mais lorsqu’elle revient, quelques semaines plus tard, tout change : selon son témoignage, l’homme profite de son sommeil pour la violer une première fois, puis l’emprise s’installe. « Les soirs qui ont suivi, il me jetait sur le lit, me déshabillait de force et me pénétrait (…) J’étais coincée, j’avais peur de violences physiques, je me laissais faire. » Le « viol d’abattage » destiné à briser la psyché et la volonté de la victime, est une pratique courante permettant le proxénétisme. Comme le recrutement par ruse, qui consiste à manipuler les femmes et ne jamais vraiment leur dire ce qui les attend. Ainsi, durant des semaines, Valérie est traînée par son ravisseur dans plusieurs appartements où elle subit d’autres viols, souvent filmés.

Un jour, Jack Wood et deux hommes, qui lui expliquent travailler pour Jacquie et Michel, lui demandent de jouer un rôle, celui d’une employée sortant de son travail. Valérie est face à un mur percé de trous, desquels dépassent des pénis masculins. « L’enregistrement a duré cinq heures, j’ai dû pratiquer des fellations sur chaque sexe. » Elle subit aussi une série de pénétrations, vaginales puis anales. « J’ai crié, hurlé, je leur ai demandé d’arrêter, c’était encore plus violent que vaginalement. Ça a duré tout un après-midi. » A la fin, Valérie est obligée de prononcer la phrase emblématique du site, « merci Jacquie et Michel ». Elle fera encore six tournages de ce type avant de réussir à s’enfuir.

A la violence des tournages s’ajoute encore celle de la diffusion. « Dans mon village, tout le monde parle dans mon dos. » Comme pour Jessica et Corinne, la santé mentale de Valérie est gravement atteinte. « J’ai fait des tentatives de suicide (…) de nombreux malaises, crises d’angoisse. La sexualité me dégoûte, je suis toujours sur les nerfs, à fleur de peau. Je veux tout le temps être seule. »

Ces témoignages qui s’accumulent mettent à mal toute la stratégie d’image de Jacquie et Michel, basée sur le fantasme d’un libertinage consenti par des « femmes ordinaires ». En réalité, comme le résume une autre victime, Fabienne, qui a tourné plusieurs scènes pour le site, « les vidéos doivent répondre à un certain cahier des charges (…), on nous impose ces pratiques abominables assimilables à de la torture, moqueries, insultes ». Même le fameux slogan, « merci Jacquie et Michel », « on m’imposait de le dire. J’avais envie de pleurer, mais je devais faire semblant que tout allait bien », assure encore Fabienne.

Le 17 juin 2022, une information judiciaire a été ouverte contre le plus grand site pornographique français, et confiée à la section de recherches de la gendarmerie de Paris. le même service d’enquête que celui qui a déjà porté la précédente affaire dite de « French Bukkake », dans laquelle une cinquantaine de femmes ont déposé plainte pour viol et traite aggravée d’être humains et une dizaine de personnes sont actuellement en détention provisoire.

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/06/27/qu-ils-arretent-d-exploiter-des-femmes-et-de-les-casser-les-vies-brisees-des-victimes-de-jacquie-et-michel_6132244_3224.html

legeneralmidi@diaspora.psyco.fr

« La prostitution des mineures est un problème majeur de la société » #NatachaDevanda

Deux lois censées les protéger, des rapports en veux-tu en voilà et si peu d’évolution positive sur les trottoirs, dans la rue, sur Internet. Lundi 15 novembre, un plan intergouvernemental était censé s’emparer de la délicate question de la #prostitution des mineurs. Entre 7 000 et 10 000 jeunes, des filles en écrasante majorité, composent cette cohorte de chair fraîche. Elles sont exploitées par les #proxénètes, violées par des clients qui s’en dédouanent par un billet et sous couvert de consentement. Comment arrêter un phénomène qui, malgré la réglementation, explose, change de forme et se « professionnalise » ? Rencontre avec #StéphanieCaradec, directrice du mouvement #LeNid, une association qui, depuis 70 ans, lutte pour l’abolition de la prostitution.

Quel est votre sentiment par rapport aux décisions du plan intergouvernemental de lutte contre la prostitution des #mineurs ?
Tout d’abord, on salue l’existence d’un plan interministériel sur cette question. On se réjouit aussi qu’il soit financé à hauteur de 14 millions d’euros. C’est une bonne nouvelle que ministres et secrétaires d’État de la Justice, de l’Intérieur, de la Politique de la Ville, de la Jeunesse ou de la Solidarité et de la Santé, se retrouvent pour évoquer ce problème majeur de société : la prostitution des #mineures. La dimension interministérielle permet d’aborder toutes les facettes du problème. C’est primordial pour lutter contre.

De même, le développement de la prévention dans les établissements du secondaire et l’ambition de développer, grâce à la formation, une « culture commune » auprès de nombreux professionnels : action médico-sociale et éducative, services de santé, police et justice est une bonne chose. Le gouvernement promet aussi une prise en charge immédiate des victimes dès les premiers signes de détresse.

Comment avez-vous travaillé en amont lors des travaux préparatoires ? Et quelle était la position du Nid ?
Nous avons fait partie du groupe de travail préparatoire, présidé par Catherine Champrenault, procureure générale de Paris. Des discussions qui ont duré neuf mois. Si on salue l’intention, on s’interroge car il y a encore peu de détails sur la façon dont les actions seront menées et bien sûr, nous regrettons le grand absent des préconisations du plan : le « client ». Plus précisément, le plan indique que les « clients » et les proxénètes « nourrissent » le phénomène, mais aucune action concrète n’a été annoncée pour améliorer la répression des hommes qui achètent des actes sexuels à des enfants. L’État doit aller plus loin. Aujourd’hui, un nombre infime de « clients prostitueurs » sont interpellés et l’impunité reste la norme. La campagne de sensibilisation prévue au 1er semestre 2022 par le plan devra également s’adresser à eux.

Qu’est-ce qui fait que les lois sont-elles si peu ou si mal appliquées ?
Parce qu’il y a une chose qui s’appelle le sexisme et le patriarcat qui accepte toujours l’achat d’actes sexuels, surtout quand c’est majoritairement auprès de femmes. Acheter un rapport sexuel avec une adolescente est un délit. Les proxénètes comme les « clients prostitueurs » sont, en principe, sanctionnés. Mais dans les faits, c’est beaucoup plus compliqué. Les clients se dédouanent facilement avec un billet glissé à la jeune fille. Devant les policiers ou les magistrats, ils se servent tous de cette phrase magique : « Je pensais qu’elle était majeure ». À partir de là, il est très difficile de prouver que ces hommes mentent. Pourtant, il est impossible pour un homme de ne pas voir les conséquences de son acte en imposant une relation sexuelle à une jeune fille. Il est impossible de ne pas voir l’environnement qui règne dans une chambre où les filles enchaînent les passes. Une jeune fille de 14 ou 15 ans, il n’y a pas de doute possible sur sa minorité.

Qu’est-ce qui cloche alors et que faudrait-il faire ?
Le sujet est toujours sensible. On a l’impression à tort que la prostitution touche à la #sexualité et relève du domaine de l’intime. Beaucoup de travailleurs sociaux sont mal à l’aise avec ça. Mais ça évolue : depuis plusieurs années, on a de plus en plus de demandes de formations et de co-accompagnement par la Protection judiciaire de la jeunesse ou l’Aide sociale. Il y a aussi la façon dont la société dans son ensemble tolère cette situation. Le gros manque c’est de dire clairement les choses. Dire que le fait d’acheter le corps d’une adolescente, c’est de la #pédocriminalité. Il faut mettre le paquet contre ces hommes qui sont des criminels. Or, il n’y a rien sur les clients dans le plan interministériel. Il faudrait marteler des campagnes à destination des hommes qui achètent le corps des jeunes filles. Rappeler que c’est illégal et que ça a des conséquences sur le développement physique et psychologique des enfants. Ce silence sur les « clients », ça dit en creux que c’est aux gamines de porter toute la responsabilité. Ce n’est plus possible !

Votre association travaille sur la prostitution depuis des décennies. Comment voyez-vous son évolution, notamment pour les mineures ?
S’il est difficile de donner un nombre précis de jeunes filles mineures prostituées, une chose est sûre, Internet et les #réseauxsociaux sont un immense facilitateur pour le passage dans la prostitution. Des jeunes filles qui y exposent leur vulnérabilité, leurs disputes avec leurs parents par exemple, leur envie de fuguer… Tout ça, c’est du pain bénit pour les recruteurs. Les proxénètes sont à l’affût pour entrer en contact avec elles. Ils se font passer pour des #loverboy, des garçons gentils et compréhensifs, qui vivent eux aussi de grosses difficultés. Ce piège des proxénètes a toujours fonctionné mais avec Internet, la chasse est plus vaste. Dès que l’ado est amoureuse et/ou sous emprise, le loverboy va se transformer en homme insistant voire violent pour inciter ou forcer sa copine à franchir le pas et se prostituer.

Même facilité pour les clients. Avec Internet, les possibilités d’entrer en contact sont immenses. Même plus besoin de trouver une excuse pour sortir de chez soi et aller au bois de Boulogne. Ils peuvent faire leur marché à domicile, devant leur ordinateur. Ils ne prennent plus de risques. Les réseaux sociaux et les plateformes locatives comme #Airbnb sont des facilitateurs énormes qui ont fait exploser le proxénétisme des mineures. La police, la justice, les magistrats référents sur la prostitution des mineures le disent. De même, qu’on voit le développement de petits réseaux de proxénètes qui eux aussi peuvent être mineurs. Des jeunes qui végétaient dans le #trafic de drogue se lancent dans le #proxénétisme pour s’enrichir plus rapidement et à moindre risque. Les policiers parlent de micro-réseaux qui passent au travers des mailles de la loi, malgré l’engagement croissant de la justice et de la police sur le sujet.

Les médias insistent beaucoup sur l’argent facile, la vie futile des jeunes prostituées. Est-ce raccord avec la réalité à laquelle vous vous frottez ?
Au départ, la plupart disent : « J’assume ». C’est classique chez les mineures comme chez les adultes. Mais dès que le lien de confiance est créé avec des militants de l’association par exemple, elles nous disent : « Je voudrais faire autre chose ». Dire que la prostitution permet de gagner de l’argent facile, c’est vrai pour les proxénètes mais faux pour les prostituées. Au mieux, ça peut être de l’argent rapide mais certainement pas facile. Coucher avec un homme dont on n’a pas envie, faire dix, quinze passes ou plus par jour, n’est en fait rien d’autre que du #viol répété. Le fait qu’il soit tarifé ne change rien. Une fois lancées dans la prostitution, les jeunes femmes ont du mal à s’en sortir. L’emprise, similaire à celle qu’on observe dans les autres violences sexistes et sexuelles, les maintient en état de dépendance.

Pourtant des policiers et magistrats notent un « effet #Zahia », un attrait pour une vie fantasmée d’escort et une tendance à évoquer la prostitution comme un « métier » ?
Comment s’en étonner quand la société, les modèles commerciaux poussent à l’hyper- #sexualisation des corps des femmes et au virilisme des hommes. L’exploitation sexuelle filmée, le #porno amateur ou professionnel banalise des violences sexuelles auprès des plus jeunes. De même, quand certains médias utilisent la notion de « #travaildusexe », c’est aussi une forme de banalisation de cette violence qu’est le système prostitutionnel. Une des façons de lutter est, dans ce cas comme dans d’autres, d’employer les bons mots, de faire de la prévention auprès des jeunes et d’avoir les moyens humains et financiers pour empêcher les jeunes de tomber dans la prostitution et aider celles et ceux qui veulent en sortir. C’est-à-dire l’écrasante majorité. •

Le mouvement Le Nid est une association dite « abolitionniste » qui milite pour l’abolition de la prostitution tout en aidant celles et ceux qui se prostituent. Elle édite une revue trimestrielle Prostitution et société. Le mouvement du Nid mène des actions d’accompagnement des personnes prostituées mais aussi de la prévention auprès des jeunes dans les écoles, la sensibilisation des acteurs sociaux et du grand public.

#CharlieHebdo #féminisme #adolescence #traitedesêtreshumains