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tina@diaspora.psyco.fr
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« Au lieu d’une inflation technique coûteuse pour l’environnement, pourquoi ne pas simplement réglementer le poids des voitures ? »

#politique #environnement #pollution #transports

Au cœur de l’été, les nouvelles normes européennes de sécurité des automobiles ont commencé à entrer en vigueur dans une grande indifférence, comme toutes ces mesures techniques qui semblent aller de soi. Après tout, l’amélioration de la sécurité routière est une cause assez consensuelle – nul ne souhaite tuer, ou être tué, dans un accident de la route –, et le renforcement des véhicules par l’innovation est un moyen qui échappe à toute forme de débat ou de discussion. Derrière des mesures en apparence indolores se dissimule pourtant tout un impensé politique : celui d’un certain rapport à la technologie, investie de toutes sortes de pouvoirs et envisagée comme unique pourvoyeuse de solutions à chaque problème – y compris à ceux dont elle est responsable.

Ces nouvelles normes automobiles sont un cas d’espèce. Depuis le 7 juillet, tout véhicule (neuf) à quatre roues commercialisé dans l’Union européenne doit être équipé d’une myriade de systèmes électroniques et de capteurs permettant l’aide au maintien de la trajectoire, le freinage d’urgence autonome, l’adaptation « intelligente » de la vitesse, l’alerte en cas de distraction ou de somnolence du conducteur, la détection d’obstacles à l’arrière du véhicule, etc.

Voitures et camions devront aussi avoir passé l’épreuve de nouveaux crash-tests plus exigeants, ce qui va mécaniquement conduire à leur alourdissement, relève l’UFC-Que choisir. Il est impossible d’anticiper l’impact que ces mesures auront sur l’accidentologie, mais il est certain qu’elles contribueront non seulement à accroître la quantité d’énergie nécessaire à faire rouler nos voitures, mais aussi à aggraver leur empreinte environnementale, avec à leur bord plus d’électronique et plus d’écrans, donc plus d’eau et d’énergie nécessaires à leur fabrication, plus de métaux, de terres rares, de plastiques, etc. L’ampleur des bénéfices est incertaine, les inconvénients sont assurés.

Réductionnisme technique
On touche ici au paradoxe le plus cocasse de la fabrique des politiques publiques européennes, dont chacune semble dotée de son gouvernail propre. Tandis qu’à un étage du Berlaymont on pédale fort pour aller vers le nord, on manœuvre âprement à l’étage du dessous pour mettre le cap au sud (d’où l’importance cardinale des porte-parole de la Commission, dont la tâche est ensuite d’échafauder des déclarations capables de nous convaincre que le nord et le sud se trouvent en réalité, plus ou moins, dans la même direction).

L’Union européenne s’est ainsi dotée d’objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % à l’horizon 2030, mais contraint dans le même temps son industrie automobile à alourdir l’empreinte environnementale et climatique de ses voitures. On rétorquera que le mouvement en cours, fortement poussé par l’UE, est à l’électrification du parc. C’est juste. Mais l’énergie issue des renouvelables ou des centrales nucléaires n’est pas inépuisable : d’importants efforts de sobriété seront nécessaires dans tous les secteurs si l’on veut se passer des fossiles. Dans tous les secteurs, donc, sauf l’automobile – notons au passage qu’une petite Renault Zoe ou une Peugeot 208 électrique pèse 1,5 tonne, c’est-à-dire environ trois fois plus qu’une 2CV.

Présenté ainsi, le problème semble revenir à un arbitrage entre la protection de l’environnement et la sécurité des personnes. Mais ce faux dilemme est en réalité le fruit d’un réductionnisme technique. Quand on a un marteau dans la tête, tout prend la forme d’un clou. En réalité, les immenses progrès accomplis en matière de sécurité routière au cours du demi-siècle écoulé (de 18 000 morts par an en France en 1973 à un peu plus de 3 000 aujourd’hui) ont pour leur plus grande part été rendus possibles par des mesures socio-économiques (port de la ceinture obligatoire, limitations de vitesse, lutte contre l’alcool au volant, etc.) plutôt que par des miracles de la technique. Gageons aussi que la gratuité des autoroutes réduirait de manière significative la mortalité routière.

Les véhicules lourds tuent plus
Bien sûr, les voitures les plus modernes et les plus lourdes sont aussi plus sûres que jamais. C’est juste, mais là encore tout dépend du point de vue. Les choses ne sont pas exactement les mêmes selon que vous êtes à l’intérieur, ou à l’extérieur, de ces monstres d’acier. Dans une minutieuse analyse des données de l’accidentologie américaine, l’hebdomadaire The Economist – peu suspect de luddisme ou de menées écologistes – montre, dans son édition du 7 septembre, qu’à l’échelle de la population les véhicules les plus lourds en circulation coûtent environ dix fois plus de vies humaines qu’ils n’en sauvent.

Osons une suggestion au régulateur : en lieu et place d’une inflation technique coûteuse pour l’environnement et marginalement utile pour la sécurité, pourquoi ne pas tout simplement réglementer le poids des automobiles ? Une telle mesure aurait pour elle de réconcilier les objectifs de sécurité routière de l’Europe avec ses ambitions environnementales. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Quitte à les réguler, pourquoi autoriser la mise sur le marché d’automobiles de plus de 2 tonnes capables d’atteindre 100 km/h en moins de quatre secondes et de filer à plus de 200 km/h, lorsque la vitesse la plus élevée autorisée n’excède pas 130 km/h ?

En définitive, nous consommons des ressources et développons des trésors de technologie pour rendre plus sûres des automobiles que nous rendons de plus en plus dangereuses par la surconsommation de ressources et le développement d’autres trésors de technologie. On ne sait trop comment peut finir cette escalade. Tourner en rond en détruisant au passage le climat et l’environnement : n’y a-t-il pas mieux à faire de la science et de la technique ?

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/08/au-lieu-d-une-inflation-technique-couteuse-pour-l-environnement-pourquoi-ne-pas-simplement-reglementer-le-poids-des-voitures_6306988_3232.html