Quand des intellectuels français défendaient la pédophilie
Par #CéciledeKervasdoué et #FionaMoghaddam
La pédophilie n'a pas toujours été condamnée par les intellectuels français. à partir des années 1970, de nombreuses personnalités de tous bords politiques ont demandé, au nom de la liberté, que la loi permette aux adultes d'avoir des relations sexuelles avec des enfants. Une question d'époque ?
"En 2013, quand il (Gabriel #Matzneff, ndlr) a reçu le #prixRenaudot, aucun journaliste littéraire, pas un seul, ne s'est interrogé sur le bien-fondé de cette récompense. La vie d'une adolescente anonyme n'est rien face au statut d'un écrivain". Dans son roman autobiographique paru ce jeudi, Le Consentement, #VanessaSpringora dénonce la complaisance des milieux artistiques et littéraires français qui comme les médias ont jusque trÚs récemment fermé les yeux sur des écrits qui font la promotion de la pédophile au prétexte que l'oeuvre prime l'auteur. Goût pour la #transgression ou tendance de fond issue d'un mouvement pro #pédophile de la fin des années 1970 ? Aujourd'hui, ces intellectuels sont mis face à leur responsabilité.
Contre la famille et pour l'homosexualité : un militantisme pro pédophile
Jean-Paul #Sartre, Roland #Barthes, Simone de #Beauvoir, Gilles et Fanny #Deleuze, Francis #Ponge, Philippe Sollers, #JackLang, Bernard #Kouchner, Louis #Aragon, André #Glucksmann, François Chùtelet et bien d'autres encore, de Félix #Guattari à Patrice #Chéreau ou Daniel Guérin ; tous font partie des 69 #intellectuels français qui, aux cÎtés de l'écrivain Gabriel Matzneff et du romancier, journaliste à Libération et membre fondateur du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR) #GuyHocquenghem ont signé une tribune publiée le 26 janvier 1977. D'abord dans #LeMonde puis dans #Libération pour défendre trois hommes incarcérés depuis plus de trois ans pour avoir abusé sexuellement de mineurs de moins de 15 ans.
'Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit !' Ă©crivaient les signataires.
Ils demandaient la relaxe des trois hommes au prétexte que les enfants n'avaient pas été victimes de la moindre violence, mais, au contraire, qu'ils étaient consentants.
Le 23 mai 1977, dans les pages "Opinions" du Monde, 80 intellectuels français parmi lesquels Jean-Paul #Sartre, Michel Foucault, Roland Barthes, Simone #deBeauvoir, Alain #Robbe-Grillet, Jacques #Derrida, Philippe #Sollers et mĂȘme Françoise #Dolto, signent un autre texte pour demander que la loi dĂ©criminalise les rapports sexuels entre les adultes et les enfants de moins de 15 ans.
De nombreux journaux se font l'Ă©cho de ce mouvement pro pĂ©dophile, qui aux Pays-Bas est devenu un mouvement politique. LibĂ©ration en tĂȘte, avec mĂȘme des petites-annonces sans ambiguĂŻtĂ©, et par exemple en juin 1978 le philosophe #RenĂ©SchĂ©rer qui y Ă©crit :
Lâaventure pĂ©dophilique vient rĂ©vĂ©ler quelle insupportable confiscation dâĂȘtre et de sens pratiquent Ă lâĂ©gard de lâenfant les rĂŽles contraints et les pouvoirs conjurĂ©s.
Libération mais aussi Le Monde ou encore #FranceCulture. Le 4 avril 1978, l'émission "Dialogues" (enregistrée en 1977) invite #MichelFoucault, le romancier et membre fondateur du Front homosexuel d'action révolutionnaire ( #FHAR) Guy #Hocquenghem et le juriste #JeanDanet, tous trois signataires de la pétition qui demande la décriminalisation de la pédophilie. Durant une heure et quart, en public dans le studio 107, ces intellectuels vont défendre l'idée que des pédophiles sont incarcérés à tort parce que les enfants qu'ils ont abusés étaient consentants.
Ce dĂ©bat sera publiĂ© sous le titre La Loi de la pudeur dans la revue Recherches n°37 dâavril 1979, avant d'ĂȘtre inclus dans le recueil Dits et Ăcrits 1976-1979 de Foucault.
Retour sur l'émission "Dialogues" de France Culture et sur le contexte pro pédophile de l'époque avec Cécile #deKervasdoué
Dans la mĂȘme Ă©mission, ils fustigent l'influence croissante des psychiatres dans les cours de #justice parce qu'en "s'intĂ©ressant aux prĂ©tendues victimes, ils sont en train de crĂ©er une "victimologie trĂšs grave" parce qu'elle nie la parole des enfants qui rĂ©pĂštent pourtant Ă la barre qu'ils Ă©taient consentants. Ils s'inquiĂštent de la suspicion qui pĂšse sur les Ă©ducateurs et tous les professionnels de l'enfance et pressentent une vĂ©ritable "chasse aux sorciĂšres" pour des faits, des relations sexuelles entre un adulte et un enfant de moins de 15 ans, qui selon eux n'ont aucun caractĂšre de gravitĂ©, "et sont des faits extrĂȘmement lĂ©gers qui dans n'importe quelle autre circonstance, Ă Paris notamment, n'auraient jamais valu trois mois de dĂ©tention prĂ©ventive" (sic).
Ces discours choquent peu Ă une Ă©poque oĂč l'obsession sans cesse rĂ©pĂ©tĂ©e est que la sociĂ©tĂ© a changĂ©, qu'il faut se libĂ©rer du carcan de la famille et de pratiques sexuelles rĂ©trogrades. "Le #sexe est omniprĂ©sent dans la sociĂ©tĂ©", dĂ©clare Virginie Girod, docteure en histoire, spĂ©cialiste de lâhistoire des femmes et de la sexualitĂ© "et dans les annĂ©es 1970, les gens se disent 'on fait ce que l'on veut'".
Surtout, il y a l'idĂ©e dĂ©fendue dĂšs le dĂ©but de l'Ă©mission de France Culture par Michel Foucault que la libertĂ© des homosexuels ne fait pas encore consensus dans la sociĂ©tĂ© française et qu'interdire la pĂ©dophilie pourrait progressivement glisser vers l'interdiction de l'homosexualitĂ©. Les deux pratiques, homosexualitĂ© et pĂ©dophilie, sont Ă l'Ă©poque mises sur le mĂȘme plan.
Des publications comme #GaiPied, journal radical pro homosexuel dans lequel écrivent Jean-Paul Aron, Jean-Paul Sartre ou Michel Foucault, aux cÎtés de l'écrivain #TonyDuvert - pédophile revendiqué - et de Renaud Camus, deviennent ainsi des tribunes pour les pédophiles (la revue sera finalement suspendue en 1992).
Figure de mai 1968, Daniel #CohnBendit raconte alors ses gestes sexuels sur des enfants. Dans le livre Le Grand bazar (publiĂ© en 1975 chez Belfond), oĂč il Ă©voque son activitĂ© d'Ă©ducateur dans un jardin d'enfants "alternatif" Ă Francfort. Puis en avril 1982, sur le plateau d'Apostrophes, oĂč il dĂ©clare notamment : "La sexualitĂ© d'un gosse, c'est absolument fantastique, faut ĂȘtre honnĂȘte. J'ai travaillĂ© auparavant avec des gosses qui avaient entre 4 et 6 ans. Quand une petite fille de 5 ans commence Ă vous dĂ©shabiller, c'est fantastique, c'est un jeu Ă©rotico-maniaque..." Devenu dĂ©putĂ© vert europĂ©en, Cohn Bendit se dĂ©fendra dans les colonnes de LibĂ©ration en fĂ©vrier 2001, soutenu par des parents et des enfants, mais reconnaĂźtra en rĂ©union publique "des lignes insoutenables, intolĂ©rables ; avec ce que nous savons aujourd'hui sur la pĂ©dophilie, sur l' #abus sexuel".
Toujours dans les annĂ©es 1970, le chanteur #ClaudeFrançois se reconnaĂźt "obsĂ©dĂ©" par les filles mineures : "Les filles [de 18-30 ans] commencent Ă rĂ©flĂ©chir. Elles ne sont plus naturelles. Elles se sentent obligĂ©es de prendre position. Elles ne sont plus cette espĂšce de rĂȘve que reprĂ©sente pour moi la fille."
Et c'est Ă cette Ă©poque que Roman Polanski arrive en France.
Pour justifier leurs pratiques sexuelles avec des #enfants, beaucoup de pédophiles ont instrumentalisé ce mouvement intellectuel issu de mai 68 qui faisait la promotion de la liberté sexuelle et de la rupture avec la loi et les structures et qui voulaient à tout prix se défaire de la domination des adultes.
Ce qui était central dans ces années-là , c'était la question de savoir comment on pouvait rompre avec les normes pénales et familiales du XIXe siÚcle. Ce qui a ainsi fait le plus débat dans les années 1970, notamment du cÎté des mouvements homosexuels mais pas seulement, c'était la discrimination concernant l'ùge de la majorité sexuelle.
#JeanBérard, historien, maßtre de conférence à l'ENS Paris Saclay
Des écrivains comme Gabriel Matzneff mais aussi Tony Duvert ( #prixMédicis en 1973 pour son roman Paysage de fantaisie, publié aux éditions de Minuit et qui met en scÚne des jeux sexuels entre un adulte et des enfants) ou René Schérer ont ainsi cherché à présenter la pédophilie comme une attirance sexuelle acceptable du moment que l'enfant en était "consentant", comme en témoigne ce séminaire de 2013 organisé à l' #EHESS
Comment admettre qu'on a été abusé quand on ne peut nier qu'on a été consentant ? Quand, en l'occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s'est empressé d'en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m'y reconnaßtre.
Dans Le Consentement, Vanessa Springora témoigne de sa relation avec Gabriel Matzneff alors qu'elle avait 14 ans
Gabriel Matzneff a répondu à Vanessa Springora dans L'Express
Un décalage avec la société et... avec les féministes
Si une partie des intellectuels dĂ©fend ce mouvement pro-pĂ©dophile, ce nâest pas le cas de la sociĂ©tĂ©. "La majoritĂ© des personnes dans la sociĂ©tĂ© courante nây Ă©tait pas favorable", explique Virginie Girod, docteure en histoire, spĂ©cialiste de lâhistoire des femmes et de la #sexualitĂ©. Et cette vision, ce "noyau dur dâintellectuels" lâa "dĂ©fendue dans des journaux qui trouvaient gĂ©nial de soutenir ces fameux mantras 'il est interdit dâinterdireâ et âjouissons sans entraveâ. Dans la petite intelligentsia parisienne, on dĂ©fendait les valeurs de la libertĂ© absolue sans se poser de questions". Ce cĂŽtĂ© "transgressif, cette facultĂ© Ă bousculer les codes", ajoute lâhistorienne, a permis Ă certains intellectuels dont Gabriel Matzneff dâen tirer une "vĂ©ritable aura mĂ©diatique".
Puis il y a eu les mouvements fĂ©ministes qui ont dĂ©noncĂ© le #patriarcat et la domination masculine, "qui se traduit par cette prise de possession et cette domination du corps des femmes et des enfants", explique Anne-Claude #Ambroise-Rendu, historienne et professeure dâhistoire Ă lâuniversitĂ© de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
"Dans les mouvements qui luttaient contre lâidĂ©e dâune majoritĂ© sexuelle dans la seconde partie des annĂ©es 1970, il y avait lâidĂ©e que des rapports entre adulte et enfant pouvaient ĂȘtre envisagĂ©s, exempts des rapports de domination traditionnelle, en particulier de domination familiale", ajoute #JeanBĂ©rard, maĂźtre de confĂ©rence Ă lâENS Paris-Saclay. Un argument contestĂ©, en particulier par les mouvements #fĂ©ministes.
Dans les mĂȘmes annĂ©es, les fĂ©ministes luttaient pour la redĂ©finition du #viol et expliquaient que le rapport entre un mineur et un adulte est dĂ©jĂ dans un rapport de force, de domination, inĂ©gal et qui ne peut donc ĂȘtre considĂ©rĂ© selon le seul critĂšre du #consentement mais sur le critĂšre de lâĂąge.
Jean BĂ©rard, maĂźtre de confĂ©rence en histoire Ă lâĂcole normale supĂ©rieure Paris-Saclay.
Dâailleurs, certains parents des enfants ou adolescents qui frĂ©quentaient les pĂ©dophiles eux-mĂȘmes laissaient faire ces relations. "On peut s'interroger sur des parents pĂ©tris d'une idĂ©ologie soixante-huitarde dĂ©voyĂ©e, qui laissent leurs enfants avoir des relations sexuelles avec un homme nettement plus ĂągĂ©. Quelque part, il y a un cĂŽtĂ© un peu chic Ă voir sa fille dans le lit de quelqu'un reconnu comme un grand Ă©crivain Ă l'Ă©cole. Et cette pensĂ©e-lĂ dĂ©range aujourd'hui. Câest normal. Mais il faut aussi la concevoir pour pouvoir comprendre cette Ă©poque-lĂ ", confirme #VirginieGirod.
La bascule
Le vĂ©ritable tournant sâopĂšre dans les annĂ©es 1990. La France dĂ©couvre le vrai visage de la pĂ©dophilie avec lâaffaire #MarcDutroux dans la Belgique voisine. "Avec Matzneff et compagnie, on a une sorte de 'glamourisation' du cĂąlin enfantin, des amours enfantines. Câest chic, câest joli, câest la nymphette, les Ă©gĂ©ries dâHamilton⊠On est dans une esthĂ©tique qui existe dans la sociĂ©tĂ©", affirme Virginie Girod. Lâaffaire Dutroux dĂ©voile une toute autre facette de la pĂ©dophilie : "On a pour la premiĂšre fois une affaire de mĆurs Ă©pouvantable, dâun homme qui kidnappe les petites filles, les sĂ©questre, les viole et les assassine."
Câest la fin de lâillusion dâun hypothĂ©tique consentement, on se rend compte quâautour de la pĂ©dophilie, il y a tous les actes de la #criminalitĂ©.
Virginie Girod, docteure en histoire, spĂ©cialiste de lâhistoire des femmes et de la sexualitĂ©
DĂ©sormais, il devient impensable pour la sociĂ©tĂ© de dĂ©fendre la pĂ©dophilie. Le terme "pĂ©dophile" est employĂ© dans le langage courant et aujourdâhui, il est peu Ă peu remplacĂ© par celui de " #pĂ©docriminel", "on rajoute Ă la charge morale du crime pour bien signifier quâon ne laisse plus passer ces pratiques socialement", conclut Virginie Girod.
Et aujourd'hui ?... Encore et toujours la question du consentement !
Dans les annĂ©es 1980, Ă Paris, il existait des sortes de cercles de pĂ©dophiles anonymes oĂč des pĂ©dophiles se rĂ©unissaient pour s'entraider Ă ne pas passer Ă l'action. "On savait qu'il y avait une charge morale sur ces pratiques-lĂ et quelque part, il fallait se sentir un peu au-dessus des lois, soit parce qu'on Ă©tait un puissant, soit parce qu'on n'avait pas conscience que la justice pouvait rappliquer", explique la spĂ©cialiste de lâhistoire des femmes et de la sexualitĂ©.
Au début des années 2000, aprÚs le traumatisme de l'affaire Dutroux, certaines associations ont cessé de s'intéresser exclusivement aux victimes pour s'intéresser aux pédophiles et plus largement aux promoteurs, actifs ou passifs de la pédophilie. L'association l' #Angebleu par exemple est la premiÚre à entreprendre d'écouter les pédophiles, via une ligne ouverte et trÚs vite, ils le disent : les livres et émissions de télé qui font l'apologie des relations sexuelles avec des enfants les poussent à passer à l'acte.
#LatifaBenari est la fondatrice de l'association l'Ange bleu : "Ăcrire sur les Ă©bats sexuels avec des enfants ou des adolescents et dĂ©clarer qu'avec cette relation, l'enfant ou l' #adolescent peut ĂȘtre heureux, pour moi ils sont responsables. Un paumĂ© qui viole un enfant, cela reste une affaire isolĂ©e. Mais quelqu'un qui a une relation [avec un enfant] et qui en plus en fait la promotion sur des plateaux tĂ©lĂ©visĂ©s, je trouve cela criminel !"
Pour l'association Ange bleu, les #intellectuels sont responsables des drames pédophiles
En attendant, les anciens intellectuels signataires regrettent-ils aujourd'hui leur signature ? Libération a posé la question ici...
Pour justifier de tels actes, le mouvement pro-pédophile s'est toujours caché derriÚre le "consentement" des enfants et adolescents. "Personne n'a jamais défendu la possibilité de violer des enfants. (...) L'idée de la violence n'effleure pas les personnes qui conceptualisent cette pédophilie-là ", précise Virginie Girod.
Et dans les années 1980, la notion de "stranger danger", comme l'appellent les Américains, a fait son apparition. "La question du danger venu de l'extérieur devient prédominante et construit la peur du pédophile autour de la peur de celui qui va venir enlever et agresser les enfants", commente Jean Bérard.
Mais cela cache une autre rĂ©alitĂ© : une grande partie des actes pĂ©dophiles ont lieu dans le cadre intra-familial... Le Conseil de l'Europe Ă©value les #violencessexuelles intra-familiales sur mineurs entre 70 et 85% d'aprĂšs ce rapport du SĂ©nat datĂ© de mai 2019. Toutefois, les chiffres restent peu nombreux sur le sujet. Lors d'auditions au SĂ©nat pour la mission commune d'information sur la rĂ©pression d'infractions sexuelles sur mineurs, le rĂ©alisateur Ăric GuĂ©ret, auteur du documentaire Enfance abusĂ©e, indique Ă propos de ces violences sexuelles sur mineurs, qu'"il n'y a pas de chiffres français officiels, fiables. Cela raconte quelque chose de notre sociĂ©tĂ©. Une sociĂ©tĂ© qui ne veut pas voir un problĂšme se dĂ©brouille pour ne pas le quantifier." Il dĂ©nonce un "dĂ©ni" de la sociĂ©tĂ©, un "flĂ©au" qui a pour consĂ©quence des victimes "avec un extrĂȘme sentiment d'abandon", qui les pousse Ă "garder le silence" et parfois "Ă se suicider", avec dans tous les cas, le sentiment "que les institutions ne leur viennent pas en aide".