#courbevoie

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LES CURIEUX HABITANTS

Le temps passa et rien ne bougea.

Plus personne n'avait envie d'en parler. Quand des invités venaient à la maison, si Papa ou Maman évoquait le sujet en fin de repas, ils répondaient tous :
« Oh ! non. Oublions cela ! Emmenez-nous plutôt nous promener du côté de la Défense ! »

Nous passions donc nos dimanches après-midi à admirer le béton en construction, à essayer de compter les étages des plus hautes tours, à tenter de deviner ce que représentaient les statues d'art moderne érigées au pied des tours…

Quant au vieux Courbevoie, plus personne ne le regardait, jusqu'au jour où Tata Lili demanda à aller voir ce qu'était devenu le quartier qui était entre le vieux Courbevoie et le cimetière (sauf qu'il ne s'appelait pas comme ça, en vrai ; c'était moi qui l'appelait comme ça, normalement).

Quelle drôle d'idée avait eue Tata ! Tandis que tous les promeneurs foulaient les sentiers bétonnés de la Défense, nous faisions du hors piste dans un vieux Courbevoie désert. C'est ainsi que nous fûmes les premiers à découvrir quelque chose de rigolo.

Pénétrant à l'intérieur du quartier qui était entre le vieux Courbevoie et le cimetière, nous nous aperçûmes qu'il était habité : il y avait des gens dans les maisons et du linge aux fenêtres… enfin, ce n'étaient pas vraiment des fenêtres puisque les ouvertures prévues à cet effet n'avaient pas de carreaux.

Maman murmura :
« Ys ont pas le droit, d'être là ! »

C'était très animé. Dans la maison juste à notre droite, un monsieur grondait. De la maison juste à notre gauche, une dame passa la tête et, s'inspirant de Maman, répondit au monsieur :
« On a autant le droit que vous, d'être là. »

Ces curieux habitants nous regardaient passer comme si notre présence en ce lieu était encore plus bizarre que la leur.

Tata dit :
« Oh ! les pauvres gens. Être obligé d'habiter là, de dormir là. J'pourrais pas ! J'f'rais des cauchemars. »

Maman, moins tendre, répondit :
« Tss ! ils savent qu'ils vont être relogés en HLM. Ils s'installent là exprès pour faire pression sur les pouvoirs publics. Ils sont malins ! »

Par la suite, quand Maman m'emmenait faire les courses dans ce coin-là, elle regardait de loin si le quartier qui était entre le vieux Courbevoie et le cimetière était toujours habité. Il l'était et ça ne plaisait pas à Maman qui, de fait, préférait ne pas s'en approcher.

Ça ne plaisait pas non plus aux locataires de l'immeuble qui se plaignaient que Courbevoie devenait mal famé.

Il sembla que ce fussent les habitants de Courbevoie mécontents qui eurent fait pression sur les pouvoirs publics, de sorte que les occupants du quartier qui était entre le vieux Courbevoie et le cimetière furent relogés en HLM.

Quand Maman m'emmena faire les courses dans ce coin-là, nous nous en approchâmes genre : Y a plus personne, on peut y aller.


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#Courbevoie #La Défense #promenade #béton #HLM

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ENTRE LE VIEUX COURBEVOIE ET LE CIMETIÈRE

Nani prit son air de grand penseur et conclut :
« Si Courbevoie est le passé et Cesson l'avenir, alors pour l'instant on vit dans le passé puisqu'on habite à Courbevoie. Profitons-en pour l'explorer !
- Non, ça se peut pas : on vit dans le présent. C'est forcé.
- Oui, tu as raison : on vit toujours dans le présent mais actuellement, on peut considérer que le présent se mêle au passé parce qu'en ouvrant les yeux et en regardant autour de toi, c'est une vision du passé que tu as. Explore-la ! Explore ce passé que tu vois, tant qu'il reste présent ! »

Moi, j'avais plutôt envie de repartir à Cesson explorer l'avenir. Il faut dire que, sur le plan pratique, Cesson, c'était les vacances, le grand air, la vie qui refleurit… et Courbevoie, c'était l'école : le tombeau des morts-vivants !

En fin de compte, je ne pus jamais trouver les délimitations d'un quartier portant le nom de vieux Courbevoie. Le vieux Courbevoie, il était partout, il était nulle part. C'était Courbevoie tout entier, sauf le béton ; c'était partout où il restait des clous dans les passages cloutés…

Néanmoins, mon exploration me conduisit à remarquer l'existence d'un quartier qui, s'il n'était pas le plus vieux, était sans doute le plus éloquent vestige de Courbevoie.

Ce quartier ne faisait même pas partie de ce que Maman appelait le vieux Courbevoie, tellement il était pittoresque. Il portait un autre nom, un nom dont je ne comprenais pas le sens, un nom que je n'arrivais pas à mémoriser. Déjà, les Castors, à Cesson, j'avais du mal !…

Ce quartier ne s'appelait pas vieux Courbevoie parce que, selon Maman, aucun vivant, aussi vieux fût-il, ne pouvait vouloir s'y installer. Ce quartier ne s'appelait pas non plus cimetière parce que, selon Maman, aucun mort n'y était enterré. Moi, comme je n'arrivais jamais à me souvenir son nom, je l'appelais : le quartier qui est entre le vieux Courbevoie et le cimetière (ce qui ne correspondait à aucune réalité géographique).

Un dimanche, Tonton Frédéric et Tata Lili vinrent à la maison. Après manger, nous allâmes nous promener et nous passâmes devant le quartier qui était entre le vieux Courbevoie et le cimetière.

Le voyant, Tata Lili s'indigna :
« C'est encore là, ça ! Qu'est-ce qu'ils attendent pour le raser ? »

Tel fut le point de départ d'un long blabla de grandes personnes qui revint plusieurs fois, même après la promenade. D'autres dimanches encore, j'en entendis parler, avec Tonton et Tata ou avec d'autres invités.

À ce que j'en entendis, ce quartier ne servait plus à rien parce qu'il était trop vieux, trop moche pour que des gens voulussent l'habiter. Il prenait de la place pour rien.

L'état aurait bien fait de le mettre en tête de ses projets de démolition mais il n'en faisait rien. Pourquoi ? Parce qu'il voulait garder cet affreux tas de pierres en tant que vestige historique.

De leur côté, les habitants râlaient parce qu'ils ne voulaient pas de ce sinistre décor dans leur environnement quotidien…

Ce n'était pas seulement à Courbevoie. Ces vestiges et leur polémique existaient pareillement dans d'autres villes, genre : Meudon. La grande question était de savoir qui finirait par avoir gain de cause, de l'état ou du peuple.

Moi, ce que je ne comprenais pas, dans cette histoire, c'est que la logique aurait voulu que les habitants se prissent en main et détruisissent eux-mêmes ce dont ils ne voulaient plus. En fait, ils ne pouvaient pas parce que l'état s'était octroyé le droit de le faire à leur place. Pas très clair !


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#Courbevoie #souvenir #promenade #quartier #vestige

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CHACUN SON FIL DU TEMPS

Je continuai donc ma discussion avec Nani la rapporteuse :
« N'empêche que, dis-je, à Cesson, y a " Nouveau Village " mais y a pas " vieux Cesson ".
- Ben si, c'est Cesson bourg. c'est le plus vieux quartier de Cesson.
- Justement : même le plus vieux quartier de Cesson, on n'a pas idée de l'appeler le vieux Cesson parce qu'il n'évoque pas la vieillesse. À Cesson, tous les noms de quartiers évoquent la vie : Grand Village, Nouveau Village, les Castors… à Courbevoie, comme quartiers, y a le vieux Courbevoie… et puis, c'est tout. Je vois même pas quel est le quartier qu'on appelle comme ça. Tout est vieux à Courbevoie, les gens, les maisons, les quartiers… on dirait que Courbevoie, c'est le passé et Cesson, c'est l'avenir.
- Tu as peut-être raison : peut-être qu'un jour, Papa et Maman déménageront et nous emmèneront vivre à Cesson.
- Ah bon ! »

C'était la première fois de ma vie que j'entendais parler d'une telle éventualité. C'était quand j'avais sept ans.
« On va déménager ?
- Pour l'instant, Papa et Maman n'en parlent pas mais si j'entends ma petite sœur dire que Courbevoie, c'est le passé et Cesson l'avenir, je me dis que c'est peut-être un signe.
- C'est pas ce que je voulais dire. je faisais juste une comparaison parce que Courbevoie, ça fait vieux ; quand on revient de Cesson, ça fait encore plus vieux. Tu trouves pas ?
- Je comprends ce que tu veux dire mais je sais aussi que c'est une vision que tout le monde ne partage pas. Il y a beaucoup de gens pour qui Courbevoie, c'est le modernisme, l'avenir, le progrès.
- Heu ! L'autre, eh ! Tu te moques de moi ?
- Non. Regarde les immeubles roses, à côté ! ils sont modernes. Regarde Charras !… »

Charras, c'est une grande galerie marchande qui venait d'être construite avec une piscine, une patinoire et un bowling.

« Regarde derrière Charras : les tours de la Défense qui s'élèvent une à une et, bientôt, l'ouverture de ce fameux RER dont tout le monde parle tant !
- C'est pas Courbevoie !
- Si, c'est Courbevoie. Pour beaucoup de gens, c'est ça, l'avenir tandis que Cesson, c'est juste un trou paumé avec des champs et des moutons.
- Alors, c'est moi qui dis n'importe quoi ?
- Non. C'est ta vision.
- Mais, à Cesson, y a plein de nouveaux quartiers. À chaque fois qu'on y va, on entend parler d'un nouveau projet de construction d'un quartier ; c'est ce que Papa et Maman disent toujours. À Courbevoie, à part la Défense, qu'est-ce qu'il y a, comme nouveau quartier ?
- Rien.
- Alors, tu vois.
- C'est pas pareil. À Cesson, y a de l'espace. Cesson bourg, c'est le noyau ; on n'y touche pas. On déboise autour pour implanter de nouveaux quartiers. On élargit l'espace habitable. Courbevoie, ça peut pas s'étendre. La ville remplit déjà l'espace qui lui est imparti. Ça se construit beaucoup mais à l'intérieur de ce qui existe déjà. Quand une vieille bâtisse s'écroule, on la remplace par du béton… et on l'oublie. Un jour viendra où le vieux Courbevoie aura complètement disparu et plus personne ne pensera qu'il a existé.
- Il a pas de famille ?… Euh ! non. J'ai encore cru qui tu parlais du vieux monsieur bossu… c'est parce que t'as parlé de vieille bâtisse qui s'écroule… »


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#sœur #Courbevoie #Cesson #temps #modernisme

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LE VIEUX COURBEVOIE

Quand on revient de vacances, on retrouve son quotidien avec un regard frais.

Quand on revient de vacances à Cesson et qu'on retrouve Courbevoie, ça fait un drôle d'effet.

Papa et Maman nous avaient déposés sur le trottoir avec les valises ; nous devions attendre là qu'ils eussent rangé la voiture dans le box.

J'observais cet étrange décor familier fait de grisaille, de pots d'échappement et d'âmes humaines quand je vis passer, sur le trottoir d'en face… devine qui ! le vieux monsieur bossu, avec sa canne et ses éternels habits noirs.

Le désignant, je fis la remarque :
« Tient ! rev'là le vieux Courbevoie. »

Cela fit marrer Caki, tandis que Nani opina :
« Ben ! t'es rosse de l'appeler comme ça, ce pauvre bonhomme. Il t'a rien fait !
- Ben quoi ? C'est pas lui qu'on appelle le vieux Courbevoie ?
- Bien sûr que non. Pourquoi on l'appellerait comme ça. On le connait pas.
- Mais si ! il arrête pas de passer et de repasser sur le trottoir d'en face. T'as pas remarqué ?
- Peut-être. Et alors ? Il a le droit. C'est pas une raison pour l'insulter… »

Oh là là ! des fois, elle n'était vraiment pas marrante, Nani.

Je n'avais voulu insulter personne, moi. À la maison, j'entendais souvent parler du vieux Courbevoie. Je m'étais mis dans la tête qu'il s'agissait de ce monsieur parce qu'il évoquait pour moi la vieillesse de Courbevoie.

Il y avait plein de vieux, à Courbevoie. À Cesson aussi, il y en avait mais ce n'étaient pas les mêmes. Les vieux de Cesson avaient l'air plus énergiques, plus vigoureux, plus présents à la vie.

Les vieux de Courbevoie, quand je les voyais passer dans la rue, j'avais l'impression que leur vie n'était plus présente en eux, qu'elle était derrière eux, bien rangée dans des tiroirs. Ils ressemblaient à des vestiges. Ce n'est pas péjoratif, c'est pathétique.

Dans les rues de Courbevoie, je voyais passer plein de vieilles dames aux cheveux blancs relevés en chignons et aux longues robes noires, toutes noires. Elles semblaient ne jamais sourire.

Les vieux de Cesson, c'étaient des paysans aux bottes en caoutchouc. Ça ne se voyait presque pas qu'ils étaient vieux. D'ailleurs, je n'avais jamais entendu parler d'un quelconque vieux Cesson.

Quand Maman nous rejoignit, Nani lui répéta ce que j'avais dit du vieux monsieur bossu.

Maman en fut mécontente. Elle me fit sa morale, genre :
« Ben enfin, ça va pas, non ! Qu'est-ce qui te prend d'être impolie avec les passants ? »

Cela m'énerva. Je ne pouvais jamais rien dire qui ne fût mal pris. En plus, ce n'était pas moi qui disais tout le temps du mal des gens sous cape, alors !… En plus, si le vieux monsieur bossu s'était retourné vers nous, c'était parce qu'il avait entendu Caki rire fort, alors !… Caki, on ne lui disait rien. C'était tout le temps moi qui prenais. En plus, je n'avais rien inventé : c'était Maman qui parlait tout le temps du vieux Courbevoie. Moi, je n'avais fait que répéter ses paroles, alors !…

« Si c'est pas ce monsieur-là que t'appelles le vieux Courbevoie, alors qui c'est ?
- Personne. »

répondit Maman en haussant les épaules.

Ben voyons !

« J'ai pas rêvé ! J't'ai bien entendue dire plein de fois : "le vieux Courbevoie". Tu vas pas me dire que c'est pas vrai ?
- C'est un quartier, le vieux Courbevoie. C'est un quartier de Courbevoie qu'on appelle comme ça.
- Ah ? »

Bon, d'accord. Je m'étais trompée.

« N'empêche que…
- Fiche-moi la paix ! tu me fatigues. »

interrompit Maman.


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#Courbevoie #Cesson #enfance #conflit #vacances