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[France Culture - Les Pieds sur Terre] Eleveurs enchaines : "Je veux sortir du monde agricole mafieux"

Sous contrat avec des multinationales de l’agroalimentaire, un producteur de lait et une éleveuse de veaux racontent l’envers d’un système économique dont ils sont devenus dépendants. Un récit signé Inès Léraud.
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Lorsque Sophie et son mari décident de se lancer dans un élevage bovin uniquement en plein air, les banques s'opposent à ce projet "pas assez rémunérateur" et leur demandent de monter, en plus, un élevage de veaux de boucherie hors-sol. Une multinationale agroalimentaire propose alors au couple un système dit "d'intégration". Il s'agit d'un contrat dans lequel la société vend aux agriculteurs les jeunes animaux, les aliments pour le bétail, les pesticides, les engrais, encadre les pratiques des éleveurs, et achète leur production à un tarif non négociable. "J'ai fait confiance à la banque et aux intégrateurs de la société agroalimentaire, qui nous ont vendu du rêve en nous faisant visiter des bâtiments où tout allait bien." Sophie
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Par la suite, Sophie découvre les pratiques imposées par l'entreprise : "Les veaux sont habitués à téter la mamelle de la mère la tête en haut, mais séparés de leur mère, on leur demande de boire dans un seau, donc la tête en bas, ce qui les rend malades et les fait gonfler. On se retrouve dans l'obligation de les sonder pour les soulager. Sur un veau, ce n'est pas long, mais sur 60, ça commence à être plus compliqué." Sophie
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Sophie explique qu'elle se sent comme un "petit soldat", là pour "engraisser" les bêtes en faisant fi du bien-être animal… "Les 400 derniers veaux reçus étaient minables. Ils étaient couchés, dormaient tout le temps, ne voulaient ni boire ni manger. Ça a été la dégringolade à partir de janvier 2022 : il y avait tous les jours un ou plusieurs morts sur le sol." Sophie
Intérieur bâtiment des veaux Intérieur bâtiment des veaux © Radio France - Inès Léraud
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"Le vétérinaire déposait des traitements que l'éleveur devait appliquer. Mon mari piquait les veaux du matin au soir tout au long de l'engraissement. On s'est dit qu'on était en train de les empoisonner" Sophie
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C'est cette livraison de veaux de mauvaise qualité qui a fait chuter gravement les revenus de Sophie et de son compagnon. Avec plus de 70 veaux décédés, la plus-value sur laquelle Sophie comptait était perdue. "Pour ces grandes firmes, les animaux et les éleveurs ne sont que des pions sur lesquels ils misent plus ou moins d'argent. L'animal n'est qu'une machine pour eux. Aujourd'hui, je veux sortir du monde agricole mafieux." Sophie
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Christophe est éleveur de vaches laitières depuis plus de 30 ans, dans les Côtes-d'Armor. Comme Sophie, il entre dans un système d'intégration lui paraissant avantageux, mais qui le force à se plier aux contraintes imposées par l'entreprise agroalimentaire, et à vendre son lait à un prix fixé par cette dernière, et, non négociable.
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Christophe découvre un jour que l'entreprise administre par erreur plusieurs antibiotiques à ses vaches. "Un cadre m'a assuré qu'il n'y avait aucun antibiotique dans les aliments distribués à mes vaches. Or, moi, j'avais déjà envoyé des prélèvements de granulés à un laboratoire qui m'avait confirmé la présence de six antibiotiques différents dont deux interdits aux vaches laitières." Christophe
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"Quand ils ont compris que j'avais des preuves, ils ont fait une seconde analyse et ont trouvé trois antibiotiques. J'ai perdu 25 vaches d'hémorragie. Il y a eu une trentaine d'avortements de vaches qui étaient en fin de gestation. Il a fallu remplacer une grande partie du troupeau. Mes pertes s'élèvent à 90 000 € environ, sans compter le préjudice moral. Je n'ai jamais perçu d'indemnisation." Christophe
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"On a fait un procès en 2018, qui est toujours en cours. Aujourd'hui, ça fait cinq ans que nous sommes en litige avec la coopérative. Je dois rembourser un emprunt de 600 000 €. J'ai songé au suicide parce que j'avais peur de couler, et que je ne voyais pas d'autre issue. Mais j'ai tenu grâce à mon entourage…" Christophe
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Aujourd'hui, en parallèle de son contrat avec la multinationale agroalimentaire, Christophe fait ses propres fromages, et les vend. "La vente directe était une issue pour sortir la tête de l'eau. On vend 10 % de notre production en vente directe. Aujourd'hui, je suis fier de voir mes produits élaborés. Mon but est d'être indépendant et de m'affranchir de ces entreprises agroalimentaires." Christophe
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Reportage : Inès Léraud
Réalisation : Clémence Gross
Mixage : Pierre Henry
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Merci à Sophie Cardouat, Christophe Thomas, et Alice Sternberg.

#FranceCulture #LesPiedsSurTerre #Agro-Industrie #Agriculture #MondeAgricoleMafieux #FNSEA #Mafia #Elevage #Eleveur #Veaux #Integrateur #Cooperative #Engrais #Pesticides #Semences #Lait #Bovin

guillaume_f@diaspora.psyco.fr

Celles et ceux qui changent le monde : l’inspectrice du travail de Téfal

Résumé
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De simples citoyens se battent pour changer le monde et y parviennent, menant des combats victorieux pour le bien commun. Laura Pfeiffer raconte comment une inspection de l'entreprise Téfal qui tourne au calvaire la conduit à devenir lanceuse d'alerte sur les pressions subies par sa profession.
En savoir plus
"On remettait en question les fondements de ma profession"
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Quand elle prend son poste d'inspectrice du travail à Annecy, dans une des régions les plus riches de France, Laura Pfeiffer sent qu’elle met les pieds dans un terrain miné.
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"Faire son métier d'inspecteur du travail, c'est-à-dire aller titiller le patronat qui ne respecte pas forcément la réglementation, j'ai senti que ça allait être compliqué." Laura Pfeiffer
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Malgré les mises en garde, y compris de la part de son propre supérieur hiérarchique, elle n’hésite pas à dénoncer les mauvaises pratiques de l’entreprise Tefal sur le site de Rumilly.
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“Chez Tefal, les agents de maîtrise faisaient beaucoup d’heures supplémentaires non payées. Tefal a décidé de leur faire signer des conventions de forfait de 41 heures. Ils leur mettaient une énorme pression pour qu’ils signent tous cet accord, qui n’était pas valide. Alors je leur ai dit qu’il fallait refaire un accord légal.”_ Laura
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L’entreprise n’apprécie guère les remarques de l’inspectrice et tente de lui mettre la pression. Toutefois, impossible pour Laura de s’appuyer sur l’inspection du travail : ses propres directeurs sont du côté de Tefal, et lui enjoignent de laisser tomber l’affaire, sous peine de mettre sa carrière en péril… De telles menaces et chantages entament fortement la santé mentale de Laura.
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“Tout ce qu’ils m’ont dit ont saboté les fondements de ma profession. Tout ce que j’avais appris en trois ou quatre ans d’expérience, on le remettait en question. Je me suis dit que tout était de ma faute.”_ Laura
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Jusqu’au jour où elle reçoit un mail anonyme lui transmettant une série de documents très compromettants pour Tefal et le groupe SEB…
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“J’ouvre les documents, et là j’ai un choc. D’un coup, tout s’explique.” Laura
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Condamnée pour avoir fait son travail
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C’est un salarié de Tefal qui a découvert par hasard ces documents. En les transmettant à Laura, il devient lanceur d’alerte sur la corruption qui existe entre l’inspection du travail, le MEDEF et le groupe SEB. Comprenant qu’elle est victime d’un complot, Laura décide alors de communiquer les documents à ses syndicats et à la presse…
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“C’est là que les vrais ennuis ont commencé. C’était en mai 2014. Ils sont allés retrouver le lanceur d’alerte, lui ont mis les menottes devant tous ses collègues et l’ont mis en garde à vue. Il a tout perdu.” Laura
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Le lanceur d'alerte est licencié pour faute lourde. Quant à Laura, elle vit du harcèlement moral au sein de l’inspection du travail. Quelques semaines plus tard, tous deux sont convoqués au tribunal d’Annecy…
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“C’était un cauchemar. Il n’y avait aucun espoir. Je savais que je serais condamnée. ” Laura Pfeiffer

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/celles-et-ceux-qui-changent-le-monde-l-inspectrice-du-travail-de-tefal-9852908

#InspectionDuTravail #LauraPfeiffer #LanceurDAlerte #LR #Crapultalisme #Capitalisme #Medef #Tefal #Travail #Travailleurs #ModeDuTravail #CodeDuTravail #FranceCulture #LesPiedsSurTerre

legeneralmidi@diaspora.psyco.fr

Mathilde et Charles ont tous deux connu les "bullshit jobs", et s'en sont sortis.

par #SoniaKronlund

Mathilde et Charles ont tous deux connu les #bullshitjobs, et s'en sont sortis.

Ils sont jeunes et ont débarqué dans le monde du travail en découvrant l'enfer de ce que l'on appelle les "bullshit jobs". Remplir des tableaux Excel, démarcher des clients à longueur de journée ou exécuter des tâches aux noms anglicisés, sans même comprendre ce qu'on leur demandait. Charles et Mathilde racontent ce qu'ils ont vécu, entre Paris et Berlin, avant de démissionner, épuisés par tant de non-sens.

Charles était journaliste free lance jusqu’en 2016 avant de se reconvertir dans le #marketing. Contrairement aux rémunérations de son ancien travail, le salaire dont on lui parle est plus conséquent. L'idée germe en lui après en avoir discuté avec une amie.

Je me suis vraiment dit que mon amie était dans le vrai et que j’étais dans l’errance.

Sans avoir de formation, Charles devient ainsi chargé d’études qualitatives dans un institut. Lors de son premier jour, il est volontaire et motivé. On lui demande de faire un benchmark, une recherche internet.

On m’a dit : « Un #benchmark, c’est simple : tu colles les images, tu colles les mots. Ça doit aller très très vite. » Tout devait aller très vite. Il fallait être toujours à fond, être très efficace.

Charles réalise beaucoup d’interviews pour son travail, et beaucoup de #travail vain, qu’il a à cœur de faire correctement. Mais, très rapidement, il prend conscience de l’inanité d’un tel emploi :

Quand j’étais devant mon ordinateur, j’étais dans des abîmes de perplexité.

La désillusion progresse quand un de ses amis lui a « torché » son travail en cinq minutes, un week-end. Et ce bâclage n’est pas sans lui évoquer une autre anecdote :

Un jour, notre directeur d’études est venu. Il a dit : « Bon, là on a un truc, le budget n’est pas terrible, faut le faire rapidement. Donc on va faire ce qui s’appelle « chier propre » : et tu sais ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’on va faire de la merde, mais sans éclaboussure. »

Le temps passe et Charles éprouve le vertige du néant. Les insomnies et les crises d’angoisses se multiplient, jusqu’à une séance de sémiologie. Lors d’un rendez-vous chez le médecin, il apprend qu’il a développé un zona.

Je suis sorti de là avec des neuroleptiques.

Depuis, l’ancien journaliste s’est réorienté, pour trouver un métier utile et plus gratifiant…

Avoir 20 ans en 21 : trouver du sens
En 2011, alors qu’elle est âgée de 23 ans, Mathilde s’installe à Berlin sans avoir d’idées fixes quant à son avenir professionnel. Son premier job dans une start up relève, dit-elle, du hasard. Elle fait alors ses premiers pas dans un open space en tant que free lance.

Personne n’avait vraiment pris le temps de m’accueillir. J’avais des consignes par mail alors que la personne qui devait m’accueillir était là, dans l’ #openspace.

J’étais "success custom manager". On était en charge de la satisfaction client, en fait. C’était déguisé sous un terme exagérément positif et bienveillant. J’avais un #job de commerciale sans aucune formation, je devais appeler des gens. C’est un travail ingrat, inintéressant. On appelle des gens qui ont d’autres choses à faire, qui n’ont pas envie de vous parler ; on se fait jeter, on remplit des bases de données.

Hautement déçue, Mathilde profite de son statut de free lance et part au bout de dix jours. Elle signe ensuite un nouveau contrat dans une boîte spécialisée en design et matériaux. Pour 1400 euros brut par mois, elle est « content #manager » - elle gère le contenu du site internet français. Là encore, c’est la désillusion : tâches répétitives, déceptions.

Dans toutes les #start-ups ou j’ai été, tout ce que j’ai fait était des bullshit jobs : écrire des newsletters pour vendre un produit absolument inutile, remplir des bases de données de fichiers clients, faire du copier-coller toute la journée pendant neuf heures, appeler des clients pour vendre des produits dont ils n’ont pas besoin.

Mathilde se rappelle avoir craqué maintes fois :

Cela n’avait aucun sens, ni pour moi ni pour les autres. J’avais un BTS de #communication visuelle, j’étais #graphiste. Et je me demandais pourquoi j’avais fait des études. On finit par se sentir bon à rien, sans perspective, car tout ça se répète.

Vient un moment où ses deux collègues et elle décident de démissionner en même temps. Ils dénoncent, entre autres, les techniques de #management et la surveillance abusive :

Je sentais qu’on était tous comme des clowns : on devait travailler sur notre image, se mettre en avant, et tout ça nous avait profondément écoeurés.

Le PDG reçoit leur demande. Au moment de prendre la porte, les trois anciens employés se sentent libérés de cette « servitude volontaire »…

#LesPiedsSurTerre

Reportage : #ÉmilieChaudet
Réalisation : Emily Vallat
Merci à Charles et Mathilde, et Joseph.

Musique de fin : "Arbeit", Oehl, 2021.

Pour aller plus loin :
Mathilde Ramadier a son propre site internet que vous pouvez consulter : mathilderamadier.com.
"J’occupe un job à la con, et j’en suis pleinement conscient", VICE, 5/05/2015.
"Dans l'Enfer des jobs à la con", Le Monde, 22/04/2016.

legeneralmidi@diaspora.psyco.fr

https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/yasmine-motarjemi-seule-contre-nestle

Yasmine Motarjemi, seule contre Nestlé

#lespiedssurterre  #SoniaKronlund

De simples citoyens, salariés, parents d'élèves, conseillers municipaux, se battent pour changer le monde et y parviennent. Ils mènent des combats victorieux pour le bien commun.

Directrice de la sécurité alimentaire devenue #lanceusedalerte, Yasmine Motarjemi revient sur son parcours vertigineux. 

Alors qu'elle travaille à l'OMS, Yasmine Motarjemi est recrutée par Nestlé comme directrice de la sécurité alimentaire au niveau mondial. Nous sommes en 1999. Yasmine Motarjemi est enthousiaste à l'idée d'occuper un tel poste au sein de la plus grosse #industriealimentaire du monde. Mais à son arrivée, ce qu'elle remarque immédiatement, c'est la culture de la peur.

Dès le début, j'ai été choquée par la culture de la peur qui régnait dans l'entreprise. Lorsqu'on m'a présentée à mes collègues, c'était le silence complet : personne n'osait parler ou poser de questions. Tout le monde semblait considérer le PDG de l'époque comme l'Empereur de Chine. 

En 2002, deux premières plaintes contre la #multinationale sont déposées par des consommateurs, dont les nourrissons se sont étouffés avec des biscuits commercialisés par Nestlé. Yasmine Motarjemi veut retirer ces biscuits du marché, sans succès. En 2009, une histoire similaire se produit dans des proportions plus graves encore. Aucune leçon n'a donc été tirée des premières plaintes, et pour cause : 

A ce moment-là, les managers se voient encouragés, par un système de bonus, à ne pas retirer les produits du marché même s'ils sont contaminés. Cela incite les managers à prendre des risques. 

Au même moment, le directeur de la #sécuritéalimentaire France, responsable des produits incriminés, obtient une promotion et devient le responsable hiérarchique de Yasmine Motarjemi. Pour elle, les choses se compliquent.

Suite à nos différences d'opinion, et étant donné que j'étais une menace pour son bonus, il commence un processus de harcèlement, de représailles à mon encontre. Il me dénigre, démantèle mon équipe, fait barrage à tous mes projets. 

Plus tard, Nestlé est impliqué dans l'une des plus grandes intoxications alimentaires du monde : 300 000 bébés sont intoxiqués en Chine, au moins 13 d'entre eux meurent. Une enquête est menée. Nestlé est contraint de retirer ses produits mais est disculpé. Ce qui n'enlève rien, d'après Yasmine Motarjemi, à la responsabilité qui incombe à l'entreprise : 

Si Nestlé avait vérifié ses produits comme toute entreprise responsable doit le faire, elle aurait découvert la contamination et aurait pu donner l'alerte. #Nestlé avait l'opportunité de prévenir la plus grande #intoxication de l'histoire de la sécurité alimentaire. Lorsqu'on parle de la sécurité sociale de l'entreprise, quelle plus grande responsabilité que de contribuer à la surveillance de la sécurité de la chaine alimentaire ?

Suite à ce scandale, une réunion de crise est organisée. On "oublie" d'inviter #YasmineMotarjami, qui constate par ailleurs que son nom a disparu de l'organigramme. Elle ne tarde pas à être licenciée. 

Le seul moyen pour moi de révéler ce que je savais était alors de faire un procès, de présenter mes informations au tribunal. 

Au-delà du combat mené contre la multinationale et ses défaillances, Yasmine #Motarjemi se retrouve  à mener un autre combat, un combat avec elle-même cette fois-ci, pour garder espoir. 

On parle souvent du combat des lanceurs d'alerte. L'un d'entre eux, c'est de préserver sa santé mentale. C'est un grand combat. Je dois tout le temps mettre mon âme dans une camisole pour qu'elle se comporte comme il faut, pour que je ne devienne pas hystérique. 

J'ai perdu toute ma vie, ma carrière, 35 ans d'expériences, ma famille a souffert. Tout ça pour rien. J'aimerais que les consommateurs sachent que la façon dont on a traité mon affaire fait que personne d'autre ne parlera. Et ce sont eux, les consommateurs, qui seront les victimes des prochains accidents. 

#franceculture #france-culture #podcast #baladodiffusion #injustice #lanceurdalerte #bonnenouvelle