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Pour suivre @Tina dans son idée d’écrire en s’inspirant d’une photo
Une orchidée prétentieuse se plaignait sans cesse du bruit occasionné par les plongeons incessants des tortues et des grenouilles dans le lac. Il lui fallait aussi acheter des lunettes noires pour ne pas être éblouie par le soleil de plus en plus agressif à son égard. L’arbre imbécile où elle avait daigné s’installer avait maintenant des branches rabougries qui ne faisaient plus assez d’ombre pour protéger ses pétales fragiles aux douces couleurs pastels. Le voisinage était souvent malodorant et patati et patata. Bref c’était une emmerdeuse caractéristique comme on en croise souvent partout. Tous ses voisins aquatiques ou non se seraient bien passés de cette voisine acariâtre. Ils s’étaient d’ailleurs réunis en AG pour régler le sort de cette excitée du bocage qui gâchait leur vie quotidienne par ses jérémiades incessantes, ses commentaires désobligeants, ses manières de star capricieuse, bêcheuse et asociale. Chacun y allait d’une solution extrême à l’autre, jusqu’à demander aux castors de venir abréger les souffrances de l’arbre qui abritait l’importune. Mais bien sûr, l’arbre bien que malade ne voulait pas en entendre parler, il estimait n’être pour rien dans le dilemme et n’avoir en rien mérité un tel sort. Tous réfléchissaient intensément à une solution rapide et peu couteuse, sans dégrader l’atmosphère ni augmenter les gaz à effet de serre. Mais leurs cogitations s’avéraient toujours être préjudiciables à autrui ou ne recueillaient pas la majorité relative des voix exigée en l’espèce. Certains se lançaient même dans des discours interminables pour exposer leur programme, hors sol, à côté de leurs pompes, à côté de la plaque, hétéronomes complets (ça y est je l’ai placé). Le soleil se couchait et Ils s’apprêtaient à en faire autant, fatigués par tant d’idées saugrenues, de brouhahas ingérables, de manifestations intempestives. Quand une grenouille qui avait sûrement de l’expérience vu son embonpoint eut une idée de génie : proposer à la nuisible une croisière artistique sur le fleuve voisin qui après quelques kilomètres se jetait dans l’océan. Tous furent enchantés par la trouvaille et ils décidèrent illico presto de mettre au point le stratagème pour mener la belle en bateau.
Rien n’était moins facile. En effet, l’orchidée était accrochée à l’arbre dont elle tirait sa subsistance vitale. Elle n’avait donc jamais voyagé sinon à l’état de graine et il fallait de plus trouver un hypothétique bateau. Toutes ces difficultés furent balayées par une tortue astucieuse qui se proposa volontairement et surtout gratuitement de transporter la perturbatrice vers d’autres cieux. Elle était en fait secrètement amoureuse de la demoiselle, de sa prestance, de sa délicatesse, de son teint de lys et de rose, de son port altier, de sa beauté fatale … etc (vous savez sans doute comment sont les amoureux transis et surtout secrets) et elle n’aurait pas voulu que l’on tirebouchonne ses tenues élégantes et encore moins qu’il lui arrive le moindre malheur. Il fallait encore que l’orchidée acceptasse la proposition et qu’elle abandonne ses habitudes de princesse inaccessible. C’était loin d’être joué. La proposition recueillit l’approbation générale, d’autant plus facilement qu’il n’y en avait pas d’autre. Un papillon qui l’avait butinée dans son jeune temps était chargé de l’indispensable et délicate approche pour lui présenter sous les meilleurs auspices les avantages d’un voyage organisé. Il était bien placé, lui qui voletait en tous sens, volage et sans attache. Ainsi fut dit et chacun retourna à ses pénates, soulagé du dénouement providentiel de l’affaire. Demain est un autre jour dit un chêne philosophe.
Le lendemain, curieux du déroulement final de l’action. Ils épiaient sournoisement l’orchidée vaquer à ses multiples occupations matinales : déplier lentement sa tige, nettoyer ses racines, dérouler et lisser ses feuilles, maquiller ses multiples pétales encore froissés par une nuit chafouine : des cauchemars, des rêves, une digestion difficile, des mauvais placements ? La belle avait ses humeurs, ce n’était apparemment pas le moment de lui conter fleurette.
Pour s’occuper intelligemment, une fois n’est pas coutume, en attendant l’instant fatidique, la stratégie fut peaufinée, améliorée, les acteurs entraînés, briefés, le parcours du voyage exploré dans toutes ses possibilités. Les trois coups pouvaient être frappés, le rideau se levait et la scène s’éclairait. L’attente était vous vous en doutez insoutenable, le suspens à son comble. Tous ceux qui le pouvaient, vu leurs morphologies aléatoires, trépignaient d’impatience, mais comme l’a dit le sage : « La stratégie est longue, l’action délicate et l’issue incertaine ». Il fallait que chacun vaque à ses occupations habituelles et ne fasse si possible ni plongeon acrobatique, ni vague intempestive, pour ne pas déranger la donzelle. Le grand chêne proposa même d’étendre au-delà du raisonnable ses branches pour lui faire un peu d’ombre. Bref tout était au point dans le marigot.
En attente, sans un bruit, sans la moindre perturbation atmosphérique, figé, extatique, chacun retenait son souffle. Soudain, venant de nulle part, dans un bruissement assourdissant d’ailes, un perroquet multicolore vint troubler ce bel agencement et se poser lourdement et surtout inopinément près de la belle. On s’était arrêté de respirer dans l’air, sous l’eau et dans les roseaux. Que venait faire cet hurluberlu inconnu dans le paysage à contrarier leur plan d’attaque si minutieusement mis au point ? Il commença à caqueter de plus en plus fort, à donner des nouvelles de celui-ci, de celui-là. On voyait bien qu’il agaçait la fleur qui ne lui avait pas demandé de faire l’oiseau de mauvaise augure. Et ça durait et ça durait. Tout y passait, les tremblements de terre, les hausses de l’électricité, la baisse des actions, l’augmentation du chômage….il en était maintenant à la météo après lui avoir vanté les machines à laver Vedette. Non mais je vous jure n’importe quoi !! Un malotru vraiment ! Soudain la tortue ingénue, préposée au transport eut une idée de génie, elle coupa quelques brins d’herbes et de roseaux qui entravaient malencontreusement sa route, les installa agréablement sur sa carapace pour en faire un coussin moelleux et alla se promener comme par inadvertance et par le plus pur des hasards sous l’arbre où la fleur était en proie aux diatribes volubiles de l’emplumée. Bien lui en pris, car celui-ci excédé par le mépris, l’arrogance et l’indifférence hautaine que faisait montre à son égard son auditrice qu’il estimait avoir privilégiée de ses connaissances étendues, ébouriffa soudainement et bruyamment ses plumes et lui lança quelques jurons pas piqués des hannetons : bachi - bouzouk…cercopithèque…analphabète….bayadère de carnaval….bidule…ectoplasme….chloroquine…. (Il avait lu tintin en français dans le texte et écouté le Professeur Raoult sur BFMTV). L’orchidée outrée par tant de grossièretés, d’impudence et d’insolence prit ses cliques et ses claques et dut perdre un peu de sa superbe pour sauter élégamment, tout de même, sur le coussin offert opportunément par la tortue. Après les excuses et civilités d’usage, celle-ci lui confia qu’elle voulait prendre le large, voir du pays, car la vie ici lui était devenue intolérable, ses voisins étaient des braillards, malotrus et sans gêne, que tout serait meilleur ailleurs plutôt que de supporter plus longtemps tant de désagréments. La tortue enchantée la rassura du mieux possible, lui demanda si elle était bien installée, si le coussin était assez souple, si ses racines avaient assez de place, si elle n’avait pas trop chaud, si le vent ne la décoiffait pas, si elle n’avait pas mal au coeur. Elle comprit enfin qu’il fallait se taire, apprécier l’instant et attendre que ses tendres sentiments soient enfin partagés. Ils s’éloignèrent enfin seuls, imperturbables et heureux vers des cieux plus cléments. Personne ne les revit jamais. On ignore leur destinée, certains prétendent qu’ils vécurent heureux, mais n’eurent pas d’enfants.
Ce conte n’a ni queue ni tête. Il n’a donc pas comme à l’accoutumée de morale. Chacun se fera la sienne. Mais pour ma part je crois que le changement d’air est bénéfique aux amoureux.
Mireille MOUTTE