Pr #FrançoisAlla : « J'ai dĂ©missionnĂ© du Haut Conseil de la santĂ© publique car les experts nâont pas jouĂ© leur rĂŽle durant la crise sanitaire »
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Publié le 24/01/2022
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Le 5 janvier, le journal officiel (JO) actait la démission du Pr François #Alla du Haut conseil de la santé publique (HCSP). Ex vice-président de la commission « maladies chroniques » du #HCSP, le praticien hospitalier, chef du service de soutien méthodologique et d'innovation en prévention au #CHU de Bordeaux, confie au « Quotidien » les raisons de son départ. Il considÚre que le « Haut conseil » ne dispose pas des moyens suffisants pour mener à bien ses missions. Et juge que les expertises des scientifiques du HCSP sont dévoyées par les politiques.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi avez-vous démissionné du Haut conseil de la santé publique ?
Pr FRANĂOIS ALLA : Je voulais tout dâabord dĂ©gager du temps pour remplir ma nouvelle mission Ă la prĂ©sidence de la ConfĂ©rence rĂ©gionale de santĂ© et de lâautonomie (CRSA) de Nouvelle Aquitaine. Mais jâai Ă©galement dĂ©missionnĂ© parce que les experts du HCSP et les agences ( #HAS, #SantĂ© publique #France, etc.) nâont pas jouĂ© leur rĂŽle durant la #crise #sanitaire. Celui-ci consiste Ă Ă©laborer de lâaide Ă la dĂ©cision, y compris quand elle ne va pas dans le sens du dĂ©cideurâŻ! Or, cette aide Ă la dĂ©cision sâest transformĂ©e en service aprĂšs-vente de dĂ©cisions qui Ă©taient dĂ©jĂ prises en amont.
Dernier exemple en date, l'article rĂ©cent sur lâimpact du passe sanitaire sur le taux de vaccination, la santĂ© et l'Ă©conomie. Il ne sâagit pas vĂ©ritablement dâune expertise, mais dâun « travail alibi ». Il a Ă©tĂ© portĂ© par le Conseil d'analyse Ă©conomique (CAE), qui est rattachĂ© Ă Matignon et prĂ©sidĂ© par Philippe Martin, ancien conseiller Ă©conomique dâEmmanuel Macron.
Parmi les signataires de ce papier, il y a aussi un membre du Conseil scientifique, le Pr Arnaud Fontanet, qui a militĂ© pour le passe sanitaire. Donc, ce nâest pas un travail scientifique indĂ©pendant, au sens dâabsence de conflits dâintĂ©rĂȘts avec le pouvoir politique. Dâautant plus que ce focus a Ă©tĂ© publiĂ© le 18 janvier, soit deux jours aprĂšs le dĂ©pĂŽt d'une saisine du Conseil constitutionnel sur le passe vaccinal.
En dehors du #passe sanitaire ou #vaccinal, en quoi lâexpertise #scientifique nâa pas jouĂ© son rĂŽle depuis le dĂ©but de la criseâŻ?
Souvenez-vous des positions sur le #masque au dĂ©but 2020. Le HCSP, comme les autres instances dâailleurs, a clairement suivi les positions publiques des politiques qui affirmaient que le masque ne servait Ă rien. Or, son rĂŽle dâinstance sanitaire aurait dĂ» consister Ă dire : « Le masque est nĂ©cessaire, câest un outil de rĂ©duction des risques ». Ce sont des choses que les experts savaient, mais ils se sont censurĂ©s pour "ne pas mettre le ministre de la SantĂ© en difficultĂ©", comme cela m'a Ă©tĂ© dit.
#Macron avait dit : "On est en guerre". Donc, on ne pouvait pas contredire les affirmations du directeur gĂ©nĂ©ral de la santĂ© ou du ministre qui avaient dit que câĂ©tait inutile, voire dangereux. Sur le masque, mĂȘme si on pensait autre chose, il ne fallait pas le dire. Dans lâavis que jâai Ă©crit en mars 2020, jâai parlĂ© du masque. Le ministĂšre de la SantĂ© mâa clairement fait remarquer que cela nâĂ©tait pas politiquement correct dâen parler.
On assiste aujourdâhui Ă un processus de dĂ©crĂ©dibilisation de toute voix discordante. Câest devenu trĂšs dur pour un expert de dire : "Je ne suis pas tout Ă fait dâaccord avec les politiques". Car on risque de nous faire entrer dans le camp des complotistes. Il est par exemple devenu difficile dâĂ©mettre le moindre doute sur la #politique de #vaccination. Les gens sont tĂ©tanisĂ©s, ils ont peur de passer pour des #antivax ou des #complotistes.
Dâautres raisons vous ont-elles poussĂ© Ă dĂ©missionnerâŻ?
Le HCSP manque cruellement de moyens. Ă titre dâexemple, jâai pilotĂ© un avis complexe, relatif aux bĂ©nĂ©fices-risques de la cigarette Ă©lectronique, publiĂ© en novembre dernier. 6âŻ000 articles sont sortis ces derniĂšres annĂ©es sur le sujet, jâai dĂ» me charger moi-mĂȘme de la revue de la littĂ©rature, le soir et le week-endâŻ! Pire, pour nous accompagner, nous avons un seul chargĂ© de projet salariĂ© du Haut conseil, mais il est mobilisĂ© sur dix avis Ă la foisâŠ
On ne peut pas sâappuyer uniquement sur du bĂ©nĂ©volat sur des sujets aussi complexes qui nĂ©cessitent de faire la revue de la littĂ©rature, des entretiens, de rĂ©diger, de communiquer sur lâavis. Durant la crise sanitaire, le HCSP a fourni un travail exceptionnel. Les experts ont travaillĂ© jour et nuit sur leur temps personnel, nâont pas pris de vacances. Cela nâest mĂȘme pas reconnu par le recrutement de deux Ă trois chargĂ©s de projet⊠Je pense aussi que le HCSP doit se donner les moyens au niveau de la prĂ©vention et de la promotion de la santĂ©.
Câest-Ă -direâŻ?
Un peu avant mon dĂ©part du HCSP, jâai militĂ© pour que lâon se dote Ă nouveau dâune commission dĂ©diĂ©e Ă la prĂ©vention. La France a des performances mĂ©diocres dans le domaine : mortalitĂ© prĂ©maturĂ©e extrĂȘmement forte, #inĂ©galitĂ©s sociales et territoriales importantes. Tout le monde est dâaccord pour faire ce virage prĂ©ventif qui nĂ©cessite une expertise sur la #prĂ©vention. Or, ce champ est aujourdâhui complĂštement vierge, car le HCSP et les agences sanitaires ne sâemparent pas du sujet. Câest dramatique.
Pourquoi affirmez-vous que le HCSP ne sâempare pas du sujet de la prĂ©ventionâŻ?
Parce que lâexpertise en prĂ©vention dĂ©range les dĂ©cideurs. Par exemple, sur le sujet de la couverture vaccinale, on sait que la moitiĂ© des non vaccinĂ©s ne sont pas des antivax, mais des personnes ĂągĂ©es isolĂ©es qui vivent loin des centres de vaccination, des SDF, des migrants qui parlent mal le français, des personnes qui nâont pas accĂšs Ă internet⊠Une politique de prĂ©vention efficace, câest aussi sâintĂ©resser Ă ces dĂ©terminants structuraux : lâamĂ©nagement du territoire, les inĂ©galitĂ©s socio-Ă©conomiques. Mais tout cela dĂ©range, car cela remet en question les politiques.
Durant la crise sanitaire, le HCSP a Ă©mis de nombreux avis techniques mais aucun avis stratĂ©gique. Il a pourtant, normalement, une mission stratĂ©gique mais câest le Conseil scientifique qui a fixĂ© les axes stratĂ©giques importants durant la crise : confinement, couvre-feu, stratĂ©gie de vaccination, etc. Le HCSP se contente dâĂ©mettre des avis techniques de mise en application. On assiste Ă un dĂ©voiement complet de lâexpertise.