à Douarnenez, au début du 20e siÚcle, l'industrie sardiniÚre employait des femmes, parfois trÚs jeunes, pour préparer les sardines avant de les mettre en boßtes - Wikimedia Commons - Domaine public - Source : Collection personnelle - Author : anonyme
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Douarnenez, 1924. Les hommes sont en mer et les femmes à terre, les mains dans le poisson, travaillant dans les nombreuses conserveries que compte la ville. à la clé, des journées interminables et des salaires dérisoires pour celles surnommées les « Penn Sardin ».
Avec :
- Fanny Bugnon Historienne à l'Université Rennes 2, autrice
- ThĂ©o Bernard Doctorant en histoire Ă l'UniversitĂ© d'Ăvry Val d'Essone, auteur d'un mĂ©moire intitulĂ© "La grĂšve des sardiniĂšres et des manĆuvres des usines mĂ©tallurgiques et des fabriques de conserve de Douarnenez (1925-1925). StrateÌgies politiques et identiteÌs ouvriĂšres"
- Alain Le Doaré Historien, conférencier, spécialiste de la Bretagne, commissaire d'exposition, auteur
- Anne-Denes Martin Ăcrivaine
- Marie-Aline Lagadic Chanteuse
- Klervi RiviĂšre Chanteuse
En novembre 1924, une grÚve débute. Elle sera longue, agitée et finalement victorieuse. Récit de cette lutte à travers ses chants, mémoires et évÚnements.
Depuis l'installation des premiĂšres conserveries de poisson Ă Douarnenez (FinistĂšre) au milieu du 19e siĂšcle, la ville voit sa population grossir. Venue notamment des campagnes environnantes, la main d'Ćuvre arrive, et dans les usines, une majoritĂ© de femmes travaillent. Les ouvriĂšres commencent souvent jeunes, Ă douze voire dix ans, et peuvent travailler jusqu'Ă 18 heures d'affilĂ©e pour des salaires minuscules, Ă la merci des arrivĂ©es de poissons. Nettoyer, vider, faire frire, mettre en boĂźte, le travail est dur. Alors, pour se donner du courage, elles chantent souvent.
Les chants, en français et en breton, font partie prenante de la culture ouvriĂšre, qu'ils soient ou non directement politique comme Saluez riches heureux, souvent interdit dans les usines. Ils se transmettent de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration comme le montrent encore aujourd'hui, Ă Pont L'abbĂ© (FinistĂšre sud), Marie-Aline Lagadic et sa fille Klervi RiviĂšre, toutes deux chanteuses. Elles ont appris principalement ces chants patrimoniaux via la mĂ©moire familiale. Leur tante, leur mĂšre, leur grand-mĂšre ont travaillĂ© dans des conserveries du Pays bigouden et leur ont transmis ces airs, qu'elles-mĂȘmes entonnaient en travaillant.
En 1905, la grÚve a déjà porté ses fruits : le salaire est désormais payé à l'heure, et non « au mille » de sardines travaillées. Mais il reste ridiculement bas, 80 centimes de l'heure pour les femmes. En novembre 1924, la grÚve gagne les usines. Les ouvriÚres réclament d'abord 1 franc de l'heure puis 1.25, les fameux Pemp rel a vo (en breton), slogan qui envahit les rues lors des manifestations devenues quotidiennes.
Ă Douarnenez, depuis 1921, la ville est communiste â l'une des premiĂšres en France. Daniel Le Flanchec, le maire nommĂ© Ă la suite du dĂ©cĂšs brutal de SĂ©bastien Velly, est un personnage atypique, « borgne et tatouĂ©, [portant] un "mort aux vaches sur la main" comme le dĂ©crit son biographe Jean-Michel Le Boulanger. TrĂšs vite, des syndicalistes -Marie Le Bosc, Charles Tillion ou Lucie Colliard- arrivent pour appuyer le mouvement. Les marins arrĂȘtent de sortir en mer, les soutiens financiers affluent de la France entiĂšre.
AprÚs l'échec des négociations entre les grévistes et les usiniers, organisées par le ministÚre à Paris, des grÚves éclatent dans les autres ports de la région.
« Devant chaque usine on sâarreÌtait et on leur chantait quelque chose. (âŠ) On nâavait haÌte quâaÌ une chose, lâheure de la reÌunion et de la manifestation. On cassait deux aÌ trois paires de sabots dans la semaine. » Extrait de Les ouvriĂšres de la mer, Anne-Denes Martin (L'Harmattan, 1994)
Le tournant de la grÚve se joue le 1er janvier 1925 : le maire et son neveu sont blessés suite à des coups de feu, tirés par des « jaunes », des casseurs de grÚve payés par les patrons. Le 6 janvier, un compromis est trouvé, c'est la victoire pour les grévistes !
PrĂšs de 80 ans plus tard, en 2005, Claude Michel Ă©crit avec des lycĂ©ens, une chanson en mĂ©moire de cette lutte historique, Penn Sardin, depuis rĂ©guliĂšrement chantĂ©e dans des manifestations dans toute la France. En fĂ©vrier 2024, la chorale Kanit'Ta, emmenĂ©e par Manon Hamard, l'entonne sur la place des Halles : Ăcoutez claquer leurs sabots / Ăcoutez gronder leur colĂšre / Ăcoutez claquer leurs sabots / C'est la grĂšve des sardiniĂšres.