Nous ne le longeùmes pas comme autrefois, nous le traversùmes carrément, comme lors de notre promenade avec tonton Frédéric et tata Lili.
Le chemin n'Ă©tait pas plat. Il fallait escalader des pierres et des murets. Ăa me faisait penser aux rochers de la forĂȘt de Fontainebleau. J'aimais bien.
Il y avait quelque chose de mystérieux, dans le quartier qui était entre le vieux Courbevoie et le cimetiÚre : quand nous y étions et que quelqu'un arrivait en face, au lieu de voir en lui un simple passant, je voyais⊠euh⊠quelqu'un qui entrait dans le décor. On aurait dit que le décor avait le pouvoir de rapprocher les gens qui étaient en lui.
En plus, à cause de la disposition des murs et des pierres, on ne voyait pas arriver le passant de loin. Il apparaissait soudainement dans le décor, juste devant nous, avec une drÎle de proximité dans le regard.
Ă chaque fois qu'on passait par lĂ , j'avais l'impression que les gens allaient s'arrĂȘter, s'asseoir et se parler.
Ă chaque fois, pourtant, les gens baissaient les yeux et passaient en silence, jusqu'au jour oĂčâŠ
En entrant dans le quartier qui était entre le vieux Courbevoie et le cimetiÚre, je vis des grands, de l'ùge de Caki et Nani, une dizaine de garçons et de filles assis sur un muret. Ils parlaient, riaient, chahutaient ; ils avaient l'air de bien s'amuser.
Un monsieur apparut dans le décor et cria vers les grands :
« Vous n'avez pas honte de venir vous agiter ici ? Vous n'avez aucun respect ! »
Un grand lui répondit :
« Qu'est-ce qu'il y a, pépé ? C'est un cimetiÚre, ici ? Des morts y sont enterrés ? »
Le monsieur redoubla de colĂšre :
« Vous n'avez aucun respect. Vous devriez avoir honte. »
Un autre grand, plus calme, dit Ă son tour :
« On fait rien de mal. On est juste assis sur un muret. C'est pas sacrilÚge. »
Le monsieur n'en démordit pas :
« Vous avez bien d'autres endroits pour aller vous asseoir. Fichez le camp d'ici ! Respectez la mémoire des anciens ! »
Les grands tinrent tĂȘte au monsieur et il me sembla les entendre dire un truc genre :
« Nous, on respecte ce lieu car c'est lui qui nous appelle Ă nous asseoir et Ă nous regarder. Alors que vous, vous baissez les yeux, vous n'Ă©coutez que vous-mĂȘmes et ne respectez que vos propres pensĂ©es. »
Bravo ! le message du lieu venait d'ĂȘtre exprimĂ© par une voix humaine. L'esprit du lieu se servait des grands pour communiquer son message aux adultes.
En vain ! le monsieur persista Ă traiter les grands d'insolents sans respect.
Ă mon tour, je fis sortir ma petite voix aussi fort que je pus :
« C'est l'endroit qui veut ça. D'une façon ou d'une autre, il faut que ça explose. »
M'ayant entendue, une dame alla dire aux grands :
« Ăcoutez, les p'tits jeunes ! vous faites ce que vous voulez mais, surtout, ne venez pas ici la nuit ! On sait pas ce qui pourrait se passer. »
Vexé, un grand se rebiffa :
« Vous croyez qu'on a le droit de sortir, la nuit ? Je suis un jeune homme de bonne famille, moi, madame »âŠ
Sur ce, je m'aperçus qu'on disparaissait de ce décor aussi vite qu'on y apparaissait : ayant enjambé un dernier muret, j'en étais sortie et ne pouvais plus assister à la scÚne.
Quand, par la suite, je revins avec Maman dans le quartier qui Ă©tait entre le vieux Courbevoie et le cimetiĂšre, les p'tits jeunes n'y Ă©taient plus ; les grandes personnes aux yeux baissĂ©s y imposaient leur silence ; jusqu'au jour oĂčâŠ
SEX AND DESTROY un nouveau son rock ?
1Ăšre partie : DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Chapitre 5 : Génération précoce
section 5 sur 13
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