« Il faudra me passer sur le corps » : en Corée du Sud, la mobilisation continue après l’échec de la destitution du président | Mediapart
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Séoul (Corée du Sud).– « Si j’étais restée à la maison, ça aurait été un péché. » La voix de Minseo, 44 ans, tremble alors qu’elle évoque la raison de sa participation, ce dimanche 8 décembre, à la quatrième manifestation consécutive depuis le coup de force du président. La chorégraphe de profession, venue avec son mari, est bouleversée : « Comment en est-on arrivés là ? », se demande-t-elle en essuyant ses larmes.
La veille, le président de la République échappait de justesse au vote d’une motion de destitution à l’Assemblée nationale, portée par l’opposition. Sous les yeux de la foule atterrée, suspendue aux écrans de retransmission, les députés du parti présidentiel, le Parti du pouvoir au peuple (PPP), ont quitté l’hémicycle au moment de se prononcer.
Le président de l’Assemblée nationale, Woo Won-shik (Parti démocrate), a alors sommé les membres du parti conservateur de revenir. Les plus de 150 000 manifestant·es ont scandé en chœur les noms des déserteurs, mais rien n’y a fait. Peu avant 21 h 30, l’Assemblée nationale a dû clore le vote. Sur 300 sièges, il aurait fallu 200 participations au moins, l’opposition disposant d’une majorité de 192 sièges. Mais la politique de la chaise vide des membres du PPP a fait échouer la procédure. Résultat, la motion de censure n’a été ni adoptée ni rejetée.
Des dizaines de milliers de manifestants devant l'Assemblée à Séoul, en Corée du Sud, demandent la destitution du président, 8 décembre 2024.
Furieux, le Parti démocrate a fait savoir dans la foulée qu’il pousserait pour la destitution du président, « toutes les semaines » s’il le faut. Le chef du PPP promet de rétablir la situation politique du pays avec le « départ anticipé » de Yoon Suk-yeol. Dans le pays, plus de 73 % des Sud-Coréen·nes sont en faveur de sa destitution, selon un sondage de l’agence Realmeter réalisé au lendemain du coup de force.
Des manifestants venus de tout le pays
Jun-mi, père de famille de 43 ans, est hors de lui. Les excuses publiques de Yoon Suk-yeol, dans une allocution télévisée de deux minutes, quelques heures seulement avant le vote, n’ont fait qu’attiser sa colère : « [Le président] a commis un acte anticonstitutionnel. Il aurait dû être destitué. » Depuis les événements de la nuit du 3 au 4 octobre, sa fille, qui a 10 ans, a peur des policiers et des soldats. Après la déclaration de la loi martiale, l’armée s’est rendue au Parlement et a tenté de bloquer l’accès au bâtiment.
Certains députés ont dû escalader des barrières pour pouvoir voter contre l’instauration de la loi martiale. Sur place, militaires et citoyens ont eu de violentes altercations. « Mon enfant n’a jamais craint la police. Alors quand elle m’a dit ça, je me suis dit qu’il fallait que je manifeste. Je souhaite vivre dans une société où les enfants n’ont pas peur des forces de l’ordre. Lorsque j’étais plus jeune, dans les années 1980, j’allais à l’école accompagné par l’odeur des bombes lacrymogènes. Ça fait plus de trente ans que cela est terminé, pourtant j’ai l’impression d’un retour en arrière. »
Les Sud-Coréen·nes sont venu·es de tout le pays pour chasser le président du pouvoir. Ji-eun est employée d’un magasin, sur l’île de Jeju, au sud de la Corée. Elle a pris l’avion pour Séoul dès l’annonce de la loi martiale. La jeune femme traverse la place, flanquée d’écriteaux critiques de la politique du premier ministre (PPP) et du chef du parti présidentiel. Sur son dos, on peut lire en lettres rouge sang : « Over my dead body » (en français, « Il faudra me passer sur le corps »). « J’ai beaucoup pleuré hier. J’espérais une destitution. Maintenant, l’objectif est de continuer à suivre les informations en temps réel et de voir ce qu’il en est, quelle sera la stratégie [des partis politiques]. Les choses changent à chaque seconde en ce moment, mais je serai prête à réagir, à montrer le pouvoir du peuple. »
Plutôt que de dire que nous sommes frustrés et déçus, je veux mettre l’accent sur le fait que nous participons à ce rassemblement avec la conviction que nous allons gagner.
Seo Young, étudiante
Lampes torches, bougies, tapis de sol et bâtons lumineux utilisés lors des concerts de Kpop : les veillées organisées depuis le 3 décembre transpirent le pacifisme. Emmitouflé·es dans leurs longs manteaux d’hiver, les participant·es cachent des chaufferettes pour les mains au fond de leurs poches. Malgré le froid glacial, l’allée du Parlement est pleine à craquer, sur plus de 2,5 kilomètres.
Au-dessus de la foule, le drapeau de l’Association coréenne pour la promotion des étudiant·es flotte fièrement. Seo Young, 23 ans, est membre de l’organisation : « Plutôt que de dire que nous sommes frustrés et déçus, je veux mettre l’accent sur le fait que nous participons à ce rassemblement avec la conviction que nous allons gagner. » Souriante, l’étudiante de l’université de Hanshin est optimiste : « Nous étions là hier, nous sommes là aujourd’hui, nous serons là demain, et tous les jours suivants. Le peuple coréen ira jusqu’à la destitution [de Yoon Suk-yeol]. »
Les jeunes, peu nombreux lors des précédents rassemblements organisés en semaine, proportionnellement au nombre de séniors présents, sont surreprésentés ce dimanche. Minju, 19 ans, brandit le poing, après la prise de parole d’un activiste : « J’ai été scandalisé de voir que le parti au pouvoir n’a pas du tout participé au vote [trois députés seulement sur 108 ont voté – ndlr]. » L’étudiant avoue ne pas vraiment être intéressé par la politique. « Mais la déclaration de la loi martiale par le président et l’entrée des soldats dans l’Assemblée nationale sont clairement anticonstitutionnelles et doivent être sanctionnées. »
Même s’il n’avait que 10 ans à l’époque, Minju se souvient des veillées aux chandelles, les rassemblements pacifiques de 2016, qui ont conduit à la destitution de l’ancienne présidente Park Geun-hye (2013-2017). Celle-ci, accusée entre autres de corruption, s’est ensuite retrouvée sous les barreaux. Comme Minju, d’autres manifestant·es se sont vu·es projeté·es dans le passé. « Lorsque j’étais encore à l’école primaire, je suis sortie dans la rue, avec mes parents, pour exiger le départ de Park Geun-hye. C’est vraiment triste de devoir revenir huit ans après. » Jeong-hu, lycéenne, pense pouvoir « obtenir le même résultat qu’à l’époque, si tout le monde proteste avec ferveur ».
https://www.mediapart.fr/journal/international/081224/il-faudra-me-passer-sur-le-corps-en-coree-du-sud-la-mobilisation-continue-apres-l-echec-de-la-desti