Je viens de France et pour moi le mot France a un Ă©clat universel. Je viens dâun vieux pays humain, sensible, intelligent et bon. Il ne vous est pas inconnu, câest un pays oĂč les honnĂȘtes gens ont cru devoir faire en eux la paix, paix avec leur conscience et paix envers tous les hommes. Câest un pays oĂč les hommes les plus grands, les meilleurs ĂȘtres de raison ont dĂ©masquĂ© en eux-mĂȘmes la passion qui nourrit les guerres, la bĂȘtise et les paroles de mort. Câest le pays de la rĂ©volte contre lâorgueil infĂąme, câest le pays des rĂ©volutions, et qui ne sĂ©pare pas le progrĂšs moral du progrĂšs matĂ©riel.
Un vieux pays, mais la GrĂšce aussi est un vieux pays, mais qui de vous ne vit encore de sa logique, de sa lumiĂšre ? Et pourtant, la France comme la GrĂšce sont la proie aujourdâhui dâune pensĂ©e indĂ©cise, obscure et vile, qui tend Ă transformer tout or en plomb, tout soleil et toute eau pure en nuit et en boue.
Nous nous mĂȘlons de ce qui nous regarde, car ce qui nous regarde est le bonheur de lâhomme, qui est notre bonheur. Nous ne voulons pas, comme le dit Romain Rolland, « que quelques milliers de privilĂ©giĂ©s, de toute caste, de toute race, grands seigneurs, parvenus, junkers, mĂ©tallurgistes, trust de spĂ©culateurs, fournisseurs des armĂ©es, autocrates de la finance et des grandes industries puissent, pour leurs sordides projets, jouer de tous les bons et de tous les mauvais instincts de lâhumanitĂ© ».
Pour moi, je ne suis poĂšte que parce que je suis solidaire des opprimĂ©s, tributaire des hommes qui peinent et qui espĂšrent, de ces hommes qui ont tout Ă©prouvĂ© et qui nâont rien Ă perdre que leurs chaĂźnes. Je ne me sĂ©pare pas du monde oĂč je vis. Jâessaie de savoir qui je suis et, le sachant, qui sont les autres. Jâessaie de connaĂźtre autrui et, le sachant, qui je suis. Ma voix est vraiment commune. La vĂ©ritĂ© des poĂštes est comme la vĂ©ritĂ© philosophique. Elle sâimpose par les faits, par la vie, par la raison sans compromis, par la raison ardente. Elle est le chant sans dĂ©faillance, la flamme qui ne veut pas sâĂ©teindre. Nâen dĂ©plaise aux contempteurs de la vie : elle est utilitaire. Elle sert, elle est la pensĂ©e qui se veut objet domestique.
Les menaces, affirment les poĂštes, seront toujours les mĂȘmes jusquâau jour oĂč nous aurons ralliĂ© les hommes. Ils ne pensent quâĂ cela, ils savent les secrets de hommes, ils connaissent ceux qui passent si bien du « je » au « nous ». Leur tragĂ©die est celle de tous, leur imagination est inspirĂ©e et mise en scĂšne par le monde oĂč ils vivent. En chantant leur propre histoire, ils chantent lâhistoire du premier venu, pris dans la rue, dans sa maison, dans son dĂ©bat, homme, femme ou enfant, avec les gestes de tous et, comme une flamme, soudain, les gestes de personne, dans nos pays pris aux piĂšges des frontiĂšres et des maĂźtres. Ils sâinsurgent contre leur propre faiblesse, contre lâinjustice et la mort. Ils avouent leurs mĂ©rites et leurs fautes, leur valeur et leurs bonnes actions, leur malheur, leurs dĂ©sirs et leur amour de la vĂ©ritĂ©, une vĂ©ritĂ© tour Ă tour misĂ©rable et glorieuse. Ils se montrent et ils montrent les autres tels quâils sont, avec une audace tranquille, bouleversante. Montrez-moi un vrai poĂšte qui ait menti, menti au cĆur des autres et Ă son propre cĆur, une seule fois ! [âŠ]
Je jure, et je vous demande de jurer avec moi quâun cĆur nâest juste que sâil bat au rythme des autres cĆurs. Je jure que la justice est de ce monde, car elle est le dĂ©sir unanime des hommes sur la terre.
Câest Lincoln qui lâa dit : « Aucun homme nâa le droit de commander Ă un autre homme, sans le consentement de celui-ci. » LĂ est la clĂ© du bonheur proche. Les hommes veulent disposer dâeux-mĂȘmes, ils refusent dâĂȘtre assujettis aux puissance du mal. Partout, dĂ©jĂ , ils nâobĂ©issent quâĂ leur conscience. Partout le mal va faire place au bien.
Luttons !
Eluard, 1949