Ce projet de loi est une version « allégée » de celui présenté en mars 2022 : réduite à 16 articles car la majeure partie des mesures, notamment numériques, se trouvent dans un rapport annexé, approuvé par le seul article 1 ! Par ailleurs pour d’autres points, notamment sur l’affaiblissement de l’indépendance de la police judiciaire, il y a renvoi à un autre texte à venir.
Ce texte a été adopté en 2e lecture à l’Assemblée Nationale le 6 décembre dans une version sans doute définitive. Seuls les sénateur·trices écolos et communistes ont voté contre (il n’y a pas de LFI ni de RN), les socialistes, LR, macronistes pour. De leur côté, les député·es macronistes, LR, RN l’ont approuvé, les socialistes se sont abstenus, LFI, le PC et EELV s’y sont opposés.
Ci dessous la synthèse de différentes analyses.
Par ce texte (version après le vote à l’AN), Gérald Darmanin veut engager le « réarmement du ministère de l’Intérieur ». Le rapport annexé, véritable manifeste politique, fait la promotion d’une vision fantasmée et effrayante du métier de policier, où l’agent-cyborg et la gadgétisation technologique sont présenté·es comme le moyen ultime de faire de la sécurité.
Les diverses mesures (un article de Mediapart complète cette vision d’une « numérisation tous azimuts ») :
- 15 milliards € supplémentaires prévus sur la période 2023-2027, dont la moitié pour la transformation numérique.
- Policiers et gendarmes « augmenté·es » grâce à un « exosquelette » interconnecté, doté de « textiles intelligents capables de mieux résister et de thermoréguler », d’un « casque allégé », de « biocapteurs sur leur état physiologique », de tablettes NEO (utilisables en mission), généralisation des caméras piéton et de véhicules équipés de caméras embarquées, parc informatique modernisé (notamment « logiciels de retranscription »…), programme d’acquisition de drones, promotion de l’exploitation des données par intelligence artificielle... Sont même évoqués des casques de « réalité augmentée » permettant d’interroger des fichiers en intervention. Selon le communiqué de l’OLN (Observatoire des Libertés et du Numérique), « c’est le rêve d’un policier-robot qui serait une sorte de caméra mobile capable de traiter automatiquement un maximum d’informations. » Ce projet de robotisation va rendre plus difficile la communication entre les forces de l’ordre et la population.
- un « Réseau radio du futur (RFF) », à très haut débit, serait commun aux forces de l’ordre, pompiers et médecins du SAMU.
- Créer des « frontières connectées » avec contrôles biométriques, drones ou capteurs thermiques. Ces mesures sont alignées sur les investissements européens (de Frontex notamment).
-Étendre la vidéosurveillance, par le triplement du budget du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) qui subventionne les mairies, malgré l’inutilité démontrée et le coût considérable de ces équipements.
-Développer l’identité numérique du citoyen [qui rejoint le projet de portefeuille numérique européen], un « pivot du développement de services à l’usager », par le biais de l’application « Ma sécurité ». Celle-ci sera utilisable pour déposer une pré-plainte en ligne, signaler un lieu de vente de stupéfiants… et, à terme, pour suivre « en temps réel » son traitement. Elle « permettra aussi d’effectuer des actes de signalement [voie vers la délation tous azimuts ?] ou d’interagir par tchat avec des policiers ou des gendarmes » ainsi que « la diffusion d’informations et de notifications ». Les dépositions pourront être faites en visioconférence (qui devrait rester facultative).
- Lutter contre la cybercriminalité : création d’une « école de formation cyber », déploiement de 1 500 « cyberpatrouilleurs » et mise en place d’un numéro d’urgence « 17 cyber ». Les peines encourues pour « l’accès et et le maintien frauduleux dans un système automatisé de données », public ou privé, seront augmentées, notamment en cas de « circonstance aggravante » (10 ans de prison, 150 000 € d’amende), ou si cela « expose autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures ... ou de faire obstacle aux secours... » (10 ans , 300 000 €). Les hackers sont particulièrement ciblés !
- Les enquêteurs pourront désormais saisir sans l’accord préalable du juge des libertés et de la détention, les « actifs numériques » d’un suspect, Bitcoin ou autre monnaie virtuelle.
- Pour chapeauter ce dispositif, nomination d’un secrétaire général adjoint au ministère, et création d’une agence du numérique des forces de sécurité qui devra développer de nouveaux outils.
- Des moyens plus classiques sont aussi mobilisés : doublement de la présence des policiers et gendarmes sur le terrain, avec 200 nouvelles brigades de gendarmerie dans les zones rurales et périurbaines, anti-rebeu, anti-gilets jaunes...
Comme l’ex député LREM de la Loire, Jean-Michel Mis, l’avait proposé dans un rapport, la Coupe du monde de rugby de 2023 et les Jeux olympiques de 2024 à Paris seront l’occasion d’un test grandeur nature de ces différents dispositifs, 295 millions d’€ au moins y seront consacrés et 11 unités de forces mobiles (UFM) seront créées « pour mettre fin à des affrontements violents ». Le collectif Saccage 2024 appelle à une action pour « faire la fête au Comité d’Organisation des JO » (COJO). Luttons contre les JO et le monde sécuritaire qu’ils amènent avec eux !
- Affaiblir les voies de recours contre l’arbitraire
Ce projet de loi vise à supprimer tout ce que la procédure pénale compte de garanties contre l’arbitraire de la police. La procédure pénale est décrite comme « une lourdeur administrative inutile et inefficace », détachée du « cœur de métier » du policier. On peut d’ailleurs s’étonner que le texte soit porté par le seul ministère de l’Intérieur alors qu’il induit une refonte importante de la procédure pénale, donc relevant du ministère de la justice.
Un autre texte est prévu en 2023 qui, comme le décrivent des syndicalistes, juges, avocats et la LDH, vise à enterrer l’actuelle police judiciaire. Il départementaliserait ces services, ce qui entraînerait une perte d’indépendance de la police judiciaire, jusque là contrôlée par les juges.
Le texte banalise des opérations de surveillance en les rendant accessibles à des agents moins spécialisés et en les soustrayant au contrôle de l’autorité judiciaire. Il crée des assistants d’enquête (personnels administratifs qui auront désormais accès aux fichiers de police, à la notification des droits aux personnes placées en garde à vue, retranscrire des enregistrements...).
Il facilite l’accès au grade d’officier de police judiciaire (OPJ, accessible désormais à un simple gardien de la paix, dès la sortie de l’école). Ceux-ci pourront procéder à des perquisitions, gardes à vue, « constatations et examens techniques » et à l’ouverture des scellés sans réquisition du procureur.
Les procureurs (nommés par décret du président de la République) pourront délivrer des instructions générales (pour crimes et délits punis d’au moins un an de prison), et non plus pour chaque procédure, autorisant les OPJ à demander la remise d’enregistrement de vidéosurveillance, la recherche de comptes bancaires d’un suspect, les données d’état civil ou encore « les données relatives à la lecture automatisée de plaques d’immatriculation ».
La possibilité de mobiliser des « techniques spéciales d’enquête » (microns-espions dans des lieux privés, captation de données informatiques, captation d’images ou infiltration numérique) est élargi aux « abus de faiblesse en bande organisée » (contre les phénomènes sectaires, la quête de fugitifs recherchés pour criminalité organisée et pour les homicides et viols en série).
Les interconnexions et accès aux fichiers policiers seront facilités (notamment la collecte de photographies et l’utilisation de la reconnaissance faciale dans le fichier TAJ, ainsi que l’analyse de l’ADN dans le FNAEG), conduisant au fichage massif et au contrôle de plus en plus inquisiteur des populations.
L’article 12 attribue une présomption d’habilitation. C’est l’« effet cliquet » : après avoir multiplié les fichages en prétextant des garanties, on supprime l’ensemble des garanties au nom de la « simplification ».
Yoann Nabat (Université de Bordeaux) analyse notamment l’allégement, voire la suppression de l’habilitation conditionnelle : celle-ci est indispensable par les connaissances spécifiques qu’impose l’usage de bases massives de données confidentielles et face au risque de diffusion de ces informations (illustré notamment par l’affaire Haurus). Or le texte veut instaurer une présomption d’habilitation de tous les policiers et gendarmes, quelles que soient leurs compétences, ancienneté, grades. Par ailleurs, ils n’auront plus à indiquer le fondement juridique leur permettant de consulter le fichier. Seul un « contrôle spontané » d’un magistrat les obligerait à une justification, mais vu leur charge de travail…
L’amende forfaitaire délictuelle (AFD), arme de répression ciblée
Créée en 2016, celle-ci voit son champ étendu (Darmanin voulait l’étendre à tous les délits punis par moins d’un an de prison, soit plus de 3 400 infractions !). Elle est passée de 11 à une trentaine de délits, suite à un avis du Conseil d’État. Ce nombre est susceptible de s’allonger après un « rapport d’évaluation », prévu par la loi d’ici au 1er janvier 2026.
Il s’agit ici d’une inversion du droit : la présomption d’innocence devient présomption de culpabilité car la contestation de l’AFD devient impraticable vu la lourdeur de la procédure, vu l’obligation de la consignation et vu l’absence de notification de l’intégralité du procès- verbal de constat du délit (dixit Syndicat de la Magistrature - Syndicat des avocats de France et LDH).
L’alourdissement des amendes (de 200 à 500 € forfaitaires) vise bien sûr les moins aisé·es, et en fait une arme contre gilets jaunes, militant·es écolo dits « radicaux » (types Extinction Rebellion, anti-mégabassine...), celleux de mouvements lycéens, jeunes de banlieue, manifestant·es contre le pass sanitaire… toutes et tous déjà lourdement frappé·es (jusqu’à la faillite personnelle pour certain·es d’entre eux/elles, cumulant jusqu’à 20 000 euros d’amende !).
Des amendements ciblent particulièrement les dégradations type tags, la filouterie de carburant, la détention de chien d’attaque non stérilisé, la vente à la sauvette et au déballage, l’intrusion dans un établissement scolaire, l’introduction d’alcool dans un stade, les délits de chasse, le port d’armes de catégorie D (matraque ou bombe de défense par exemple), exercice illégal de taxi ou de VTC, entrave à la circulation ferroviaire (Tarnac ?) et à la circulation routière (Gilets jaunes ?), usage injustifié du signal d’alarme dans un train…
L’OLN dénonce l’industrialisation de la justice pénale qui verbaliserait de manière arbitraire des personnes, lesquelles n’auraient alors pour seul recours que de prendre le risque d’être condamnées devant un juge.
D’autres sanctions sont renforcées
- refus d’obtempérer, désormais punissable de trois ans de prison et 30 000 € d’amende, contre deux ans et 15 000 € actuellement.
- rodéos urbains, jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 € d’amende contre un an et 15 000 € actuellement. Les forces de l’ordre pourront saisir plusieurs véhicules de la personne interpellée, et non plus le seul impliqué.
- outrage sexiste et sexuel aggravé (commis sur un·e mineur·e de moins de 15 ans, une personne vulnérable, dans un transport collectif ou commis en groupe, en raison de l’identité de genre), amende de 3 750 €. Les menaces de mort seront punies de trois ans de prison et 45 000 € d’amende. Un rapport devrait être rendu (d’ici le 31 décembre 2023 ?) sur l’opportunité de créer des « brigades spécialement dédiées à la lutte contre les outrages sexistes et sexuels et chargées d’assurer des patrouilles » dans l’espace public.
- violences contre les élu·es, liste des circonstances aggravantes augmentée.
- dérives sectaires, sept ans de prison et trois millions d’€ d’amende, lorsque celui-ci est commis « en bande organisée » contre trois ans et 375 000 €.
Une « lutte renforcée contre les groupuscules violents » est aussi à l’ordre du jour, concentrée par un amendement sur ceux « notamment d’extrême droite et d’extrême gauche ».
Vers des états d’urgence locaux ?
Le texte évoque une multiplication des « crises », qu’elles soient sanitaires, climatiques, « cyber » ou « hybrides » (cumulant plusieurs causes). La volonté est de renforcer les pouvoirs des préfets « lorsqu’interviennent des événements de nature à entraîner un danger grave et imminent pour la sécurité, l’ordre ou la santé publics, la préservation de l’environnement, l’approvisionnement en biens de première nécessité ou la satisfaction des besoins prioritaires de la population », définition très large permettant toutes les interprétations…
Pour une durée maximale d’un mois, le préfet pourrait alors « diriger l’action de l’ensemble des services et établissements publics de l’État ayant un champ d’action territorial », et pourrait prendre « les décisions visant à rétablir l’ordre public ».
Sources : Halteaucontrolenumérique
Article sur la quadrature du net : *Examen de la LOPMI : Refusons les policiers programmés
*
Tract anti LOPMI : https://halteaucontrolenumerique.fr/wp-content/uploads/2023/01/TractLOPMI.pdf